La Nativité est un événement historique, non une fable. Le Verbe s’est fait chair dans un lieu et un temps précis. L’Évangile, à ce dessein, multiplie les précisions : « En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste… Quirinius était gouverneur de Syrie… Joseph monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem… » Et néanmoins, par tradition, le fait historique de la Nativité invite aux contes de Noël.
Pourquoi ce retour de l’imaginaire ? Ne s’agit-il que d’un détour utile, pédagogique, qui deviendrait dangereux si on le prolongeait au-delà de l’enfance ? Ouvrez la porte à la féerie et, au lieu du Credo, vous régressez vers les mythes, pire : vous finissez par croire au Père Noël…
Pourtant, le Jésus de l’histoire raconte des histoires. Il parle en paraboles. La Bible rapporte les péripéties d’un prophète récalcitrant avalé par une baleine ou d’un garçon qui voyage entre un ange et un chien. Et si le conte était essentiel à la foi chrétienne ? Si sa naïveté, ou son irréalisme, était comme l’art des icônes par rapport à la peinture classique – chargé de symboles, et capable de nous tourner vers des réalités plus larges et plus profondes ?
Les contes sont, il me semble, ce qu’il y a de plus sérieux dans le travail littéraire. Mais la plupart des gens ne me prennent pas au sérieux. Ils se figurent un « livre pour enfants », alors qu’il s’agit de réinventer la table où trois générations peuvent écouter ensemble une histoire de libération qui ranime l’espérance – comme la Haggadah de Pessah, récit de la Pâque juive, dont le chant commence avec la question du plus jeune : « Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? »
Dans Temps difficiles de Dickens, Mr Gradgrind prétend éduquer les enfants de manière scientifique et s’ingénie à détruire leur imaginaire, lequel ne serait qu’une fuite devant la réalité : « En toutes choses, vous devez vous régler, vous laisser diriger par les faits. Nous espérons avoir avant longtemps un Comité des faits, composé de commissaires des faits, qui forceront les gens à ne considérer que les faits et rien que les faits. Vous devez exclure de votre vocabulaire le mot imagination. » Un tel personnage paraît immédiatement ridicule aux yeux du lecteur anglais. Qu’en est-il du lecteur français ?
La France chrétienne n’a pas de Tolkien ni de C.S. Lewis. Sa modernité philosophique, avec Pascal non moins que Descartes, l’a incitée à se méfier de l’imagination, « maîtresse d’erreur et de fausseté ». Mme de Genlis – préceptrice de Louis-Philippe et auteur des Veillées du château, cours de morale à l’intention des enfants – estime que les contes de fées sont peut-être bons pour les « femmes de chambre » mais que la bonne éducation exige de ne relater que les merveilles de la nature et les hauts faits de l’Histoire. Le retour du refoulé est inévitable : l’Histoire ainsi contée échappe insensiblement à l’exactitude de la science, repousse les zones grises, et glisse peu à peu vers la légende.
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— Fabrice Hadjadj, L’attrape-Malheur. T1 : « Entre la meule et les couteaux », 278 p., 17,90 €. T 2 : « Des forêts aux foreuses », 280 p., 22,90 €. T3 : « Un berceau dans les batailles », 456 p., 22,90 €. , éd. La joie de lire.
— Fabrice Hadjadj, L’attrape-Malheur. T1 : « Entre la meule et les couteaux », 278 p., 17,90 €. T 2 : « Des forêts aux foreuses », 280 p., 22,90 €. T3 : « Un berceau dans les batailles », 456 p., 22,90 €. , éd. La joie de lire.