Certaines langues n’ont pas de termes équivalent au mot anglais « conscience ». Le latin « conscientia » peut signifier soit « connaissance, prise de conscience », soit « sens moral ». Dans les langues dérivées du latin, la situation est similaire. Le mot français « conscience » et le mot espagnol « conciencia » ont un double sens, comme le mot latin. En anglais, il y a une nette différence entre « consciousness » (en français : être conscient de), qui habituellement n’a pas de connotation morale, et « conscience » (en français : conscience au sens moral) qui en a une. En allemand aussi, « Gewissen » est spécifique à la sensibilité morale, alors que « Bewußtsein » a la même signification que l’anglais « consciousness ». Donc, dans certaines langues, le contexte doit indiquer si le mot est utilisé au sens moral alors que dans d’autres l’équivoque est impossible.
Le phénoménologue français Jean-Paul Sartre, dans « L’Être et le Néant » et dans d’autres ouvrages, écrit beaucoup à propos de la conscience (en français) dans le sens général de prise de conscience, et il insiste, au contraire de certains courants subjectivistes de l’idéalisme philosophique, que cette conscience est toujours reliée à un objet, pour le dire autrement qu’elle est essentiellement prise de conscience de quelque chose.
Nous pouvons dire la même chose de la conscience au sens anglais du terme, c’est à dire au sens moral. La conscience n’est pas seulement une expérience intérieure ou un ressenti, mais est essentiellement relation à un « objet », l’objet étant dans ce cas un acte spécifique, la mise en application d’une loi ou d’une règle. Si nous disons que « la conscience nous oblige à ceci, ou nous permet cela », la question pertinente est « quelle loi ou devoir avez-vous à l’esprit, et à quel cas l’appliquez-vous ? »
Thomas d’Aquin, dans la Somme Théologique (I,Q.79), déclare que la conscience débute toujours avec quelque principe pratique concernant le bien et le mal et s’achève avec la mise en application à quelque cas particulier. Comme on pouvait s’y attendre, la conscience, quand elle s’égare, le fait lors de la mise en application. Il donne en exemple l’avertissement de Jésus à ses Apôtres (Jean 16:2), quand il déclare qu’ils rencontreraient des persécuteurs qui croiraient « rendre un culte à Dieu » en les tuant. Thomas d’Aquin explique que l’erreur ne consiste pas dans les prémices, le devoir de rendre un culte à Dieu, mais dans une mise en pratique faussée aboutissant au meurtre des Apôtres.
Mais comment en arrive-t-on à faire le mal absolu en voulant appliquer de bons principes ? Les ennemis du christianisme peuvent-ils sincèrement croire qu’ils rendent service à Dieu en tuant les chrétiens ? Est-ce qu’à un certain point, ils ne font pas l’expérience de « l’aiguillon » de la conscience, que Saint Paul a expérimenté sur le chemin de Damas (Actes 9:5, 26:14) quand il persécutait les chrétiens ?
Pour prendre un exemple actuel, est-il concevable que les islamistes auteurs d’attentats-suicides croient réellement être agréables à Dieu en faisant sauter des « incroyants » – homme, femmes et enfants ? Comme David Garrison le rapporte dans son livre, « A Wind in the House of Islam : How God is drawing Muslims around the world to faith in Jesus Christ » (Un souffle dans la maison de l’islam : comment Dieu conduit des musulmans du monde entier à la foi en Jésus-Christ), la majorité des conversions actuelles de musulmans sont motivées par un rejet du militantisme violent de l’islam lui-même. Peut-être que la haine anormale motivant les jihadistes à tuer cause des prises de conscience douloureuses, aidant heureusement certains à rechercher la vérité.
La justesse de la conscience se juge en définitive par les mises en application. Dans le Nouveau Testament, Saint Paul déclare aux Corinthiens (1 Corinthiens 10:28) que même si les chrétiens sont libres de manger de la viande sacrifiée aux idoles, « par motif de conscience », ils ne doivent pas le faire pour éviter de scandaliser des nouveaux convertis fragiles ; et il morigène les Romains (Romains 13:6) : puisque l’autorité civile est donnée par Dieu, ils doivent payer leurs impôts.
Lors d’une conférence de presse donnée le 16 octobre dans le contexte du synode sur la famille à Rome, l’archevêque de Chicago, Mgr Blase Cupich, questionné au sujet de la communion pour les divorcés remariés et les catholiques homosexuels, a dit que la conscience était « intangible » et que leur décision prise « en accord avec leur conscience » devait être respectée.
Mais si la conscience est toujours en lien avec l’application d’une loi, d’un devoir ou d’un principe, la question pertinente est : quelle loi, devoir ou principe applique-t-elle ? Si des catholiques divorcés et remariés prétendent que leur premier mariage était invalide, cela pourrait être vérifié en allant au tribunal diocésain. Si le premier mariage n’était pas sacramentel, le Privilège Paulinien ou Privilège Pétrinien pourrait être invoqué. Mais dans les mariages sacramentels, en raison de l’admonition de Jésus « de ne pas séparer ce que Dieu a uni », une délibération sérieuse s’impose. Quelle règle ou loi applique-t-on là ? Les règles du droit canon relatives à l’impuissance, la consanguinité, les mariages forcés, etc. ? Ou juste le sentiment que « je ne me sens pas coupable d’avoir pris cette décision » ?
De même, en ce qui concerne les homosexuels recevant la communion en toute bonne conscience, la question flagrante est : « sur quelles bases » ? Sans doute le célibat ? Mais la fidélité à un « partenaire unique » dans un « mariage » ? Est-ce que l’application de ce principe serait reçue même par l’archevêque Cupich ?
L’archevêque Blase Cupich et certains de ses confrères défendant « la conscience » peuvent être en partie excusés s’ils ne faisaient que suivre l’Instrumentum Laboris préalable au synode, qui, citant l’exemple de Humanae vitae et de la contraception conseillait :
Un élément est le rôle de la conscience comprise comme étant la voix de Dieu résonnant dans le cœur de l’homme qui est entraîné à écouter. L’autre est une norme morale objective qui ne permet pas de considérer l’acte qui mène à l’engendrement comme pouvant être décidé arbitrairement, sans respecter le plan divin pour la procréation humaine. Une personne donnant trop d’importance à l’aspect subjectif court le risque de faire facilement des choix égoïstes. Donner trop d’importance à l’autre aspect amène à voir la norme morale comme un fardeau insupportable et indifférent aux besoins et possibilités d’une personne. La combinaison des deux, sous la conduite régulière d’un « guide spirituel compétent » aidera les gens mariés à faire des choix qui soient humainement gratifiants et conformes à la volonté divine.
Illustration : bonne direction / mauvaise direction
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/11/25/conscience-and-objectivity/
Donc, en ce qui concerne la contraception, nous rencontrons la nécessité de « combiner » la conviction purement subjective de la conscience individuelle avec une norme objective apparemment récalcitrante. Et l’espoir fleur bleue semble être que quelque « guide spirituel compétent » (le prêtre de la paroisse ?) soit capable de réaliser l’alchimie d’accorder la pure subjectivité avec l’objectivité (souvent inflexible) en ce qui concerne la contraception -– et sans doute aussi les cas tels que la communion pour les catholiques remariés ou homosexuels.
C’est charger les individus d’un fardeau de responsabilités pour lequel ils ne sont souvent pas préparés, et que seul un enseignement plus clair et plus réaliste venu de Rome peut lever.