Dans un précédent article, j’ai suggéré qu’une grande part de notre embrouillaminis à propos du gender vient de notre tendance moderne à séparer l’esprit du corps d’une manière introduite par le penseur français René Descartes. Tandis que certains voient le sexe uniquement en terme de corps, ou de certaines parties du corps, d’autres considèrent que c’est seulement une fonction de l’esprit : si je pense que je suis une femme, je suis une femme – qu’importe ce que dit mon corps.
La tradition catholique, et Thomas d’Aquin en particulier, a une approche très différente. A cause du récit de la création dans la Genèse, où toute la création, incluant la partie matérielle, est déclarée « bonne, très bonne », à cause de l’Incarnation, où le Verbe Incréé devient « chair », à cause de la doctrine de la résurrection de la chair, la foi catholique a toujours été une religion très charnelle. La tradition catholique a oeuvré durement pour éviter la constante tentation gnostique de vilipender le corps. Mais elle doit travailler tout aussi dur pour éviter la tentation moderne de réduire toutes les réalités spirituelles à la simple matière.
Quand nous associons l’esprit avec le cerveau, nous avons tendance à oublier l’importance de choses comme les passions, les appétits, les émotions, puisqu’elles sont si clairement associées à nos corps. Et même, quand nous associons notre personnalité trop exclusivement avec notre corps, ou avec des fonctions spécifiques de notre cerveau, nous tendons à oublier l’importance de choses comme la signification, le projet, la valeur et nous devenons une mécanique de rouages et de leviers, qu’on manipule avec des drogues ou d’autres correctifs psycho-thérapeutiques.
Le génie particulier de Thomas d’Aquin, suivant l’intuition du philosophe Aristote, est de reconnaître que la personne humaine est une unité indissociable composée du corps et de l’âme — c’est-à-dire que le corps est la forme solide de l’âme.
Ce qui signifie concrètement que, contrairement à la tendance moderne depuis Descartes qui voit l’esprit seulement en relation avec le cerveau, Thomas d’Aquin affirme qu’il n’y a pas une cellule du corps humain d’où l’âme est absente. Bien que nous soyons faits de divers organes, nous ne sommes pas un simple tas de cellules. Nous avons une unité fondamentale incorporée. Et ce qui crée cette unité de la personne vivante est précisément son âme humaine.
Une faculté particulièrement importante de l’âme humaine, qui est absente du principe intégrateur (ou « âme ») des plantes et des animaux, est que les humains ont conscience d’eux-mêmes et possèdent une puissance intellectuelle. Mais affirmer qu’une des caractéristique de la personne humaine est sa puissance intellectuelle (comme le fait Thomas d’Aquin) est très différent de l’idée de Descartes qui est : je suis essentiellement une « chose pensante » logeant (comme une sorte d’hôte étranger) dans ce corps matériel distinct.
Tandis que pour Descartes, l’esprit et le corps sont deux réalités différentes qui se retrouvent unis de façon fantasque dans le cerveau, Thomas d’Aquin affirme qu’il y a une unité fondamentale entre les deux. Je ne suis pas essentiellement un esprit habitant un corps de hasard, ni non plus un corps avec un cerveau qui fait des choses que nous nommons « esprit ». Je suis un esprit incarné.
Puisque le corps est la forme de l’âme et que l’âme n’est absente d’aucune partie vivante du corps, il n’est pas possible de dire que j’ai une certaine âme mais pas le corps qui va avec. Seul un homme ayant perdu un pied et ayant pris par inadvertance à l’hôpital la mauvaise prothèse peut dire en vérité : « Je n’ai pas le bon pied. » Mais un homme ne peut pas regarder son pied de chair et dire : « Je n’ai pas le bon pied. » Et il peut encore moins se regarder dans le miroir et dire : « Je n’ai pas le bon corps. »
Je ne peux pas dire que je possède ce corps que la même manière que je dis posséder un certain modèle de portefeuille, de manteau ou de pantalon. L’homme au membre artificiel peut désigner la nouvelle prothèse qu’il vient d’acheter et dire : « j’ai un pied ! » Cela ne veut pas dire la même chose que l’enfant qui désigne son propre pied et dit à sa mère : « j’ai un pied ! » Le pied de l’enfant n’est pas le sien au sens de la propriété, mais dans le sens qu’il désigne une partie organique de lui-même. De la même manière, je ne suis pas le propiétaire de mon corps, ce corps est mon corps dans le sens qu’il est une partie de moi-même.
Les nouvelles méthodes de commercialisation cherchent à persuader les gens que changer leur style d’habillement ou leur crème à raser leur fera obtenir une personnalité différente, voire même meilleure. Mais c’est une stupidité d’adolescent. Je ne change pas qui je suis simplement en changeant d’eau de cologne ou de style de chemise. Les entreprises se sont pourtant fait beaucoup d’argent en vendant cette idée aux adolescents.
La culture qui a incité les jeunes à penser qu’ils pouvaient devenir une autre personne en changeant de marque de vêtements les pousse maintenant à croire qu’ils peuvent devenir une nouvelle personne en changeant d’organes sexuels comme on change de pardessus. Les adolescents se trouveront-ils mieux de cette « liberté » nouvellement octroyée qu’ils ne l’ont été de celle consistant à se refaire à peu près chaque année une personnalité à base de chaussures et jeans neufs ? C’est peu probable.
Le résultat ne sera probablement pas bon si votre but premier est de vous débarrasser de vous-même – de tout ce qui fait que vous êtes vous — dans le but de pouvoir devenir quelqu’un d’autre, n’importe qui sauf vous-même. Le philosophe danois Kierkegaard décrit ce refus comme « la maladie qui conduit à la mort. » Son aboutissement naturel est le suicide et le désespoir.
Seul Dieu peut dire en toute simplicité : « Je suis qui je suis. » Nous devons dire en toute confiance : « Je veux devenir celui que Dieu a prévu que je sois. »
Randall B. Smith est professeur à l’université Saint Thomas, où il a obtenu récemment la chaire Scanlan de Théologie.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/cartesian-gender-confusions-continued.html