La Conférence des Evêques de la Région Nord de l’Afrique (CERNA) s’est réunie à Rome du 6 au 9 octobre 2013. Y ont pris part les évêques et leurs collaborateurs ainsi que le préfet apostolique de Laayoune, à l’exception de Mgr Santiago Agrelo Martinez, archevêque de Tanger, pour raison de santé. Mgr Domenico Mogavero, évêque de Mazara del Vallo, nous a rejoints pendant deux jours. Mgr Vincent Landel, archevêque de Rabat et président de la CERNA, a conduit cette réunion. Nous avons bénéficié avec joie de l’hospitalité du Séminaire Français, ce qui nous a donné entre autres l’occasion de vivre une belle soirée d’échanges avec les séminaristes.
Le mercredi 9 octobre, nous avons participé à l’audience publique sur la place saint Pierre. Le pape François a donné une belle catéchèse sur la catholicité de l’Eglise insistant sur la communion dans les diversités. Il a salué les évêques du nord de l’Afrique et nous a encouragés à « consolider nos relations fraternelles avec les musulmans ». Un repas avec le P. Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, nous a permis d’apprécier de plus près la personnalité du pape François et le nouveau souffle qu’il apporte à l’Eglise et au monde. Cela conforte notre manière de faire Eglise au plus près des personnes avec lesquelles nous vivons, tâchant d’être signes du Christ qui aime les habitants du Maghreb. L’invitation du pape François à aller vers les « périphéries » nous stimule à vivre l’appel de l’incarnation, dans l’humilité, le service et l’espérance.
Comme à chaque conférence, les évêques ont partagé ce que vivent leurs Eglises, et on a pu noter un contraste très fort entre la Libye et les autres pays.
Le manque de sécurité qui règne en Libye a eu pour conséquence que la plupart des communautés de religieuses venues travailler dans la santé publique à la demande des pouvoirs publics libyens ont été priées de quitter le pays. Le vicaire apostolique de Tripoli nous confiait : « Je ne pensais pas que la Libye pourrait un jour connaître une telle situation et qu’on nous demanderait de partir, nous qui n’avons rien fait contre elle. C’est pour moi une souffrance terrible. Même si je ne comprends pas le dessein de Dieu à travers tout cela, avec mes frères et sœurs qui sont encore là, je m’efforce de tenir dans l’espérance. »
Les suites du processus révolutionnaire en Tunisie placent le pays dans une situation d’incertitude et d’attente, dans laquelle néanmoins l’ordre public n’est pas mis en péril. Sur fond de difficultés économiques et sociales croissantes, le pays cherche son chemin sur le plan politique, toujours dans l’attente d’une constitution deux ans après les élections. L’Eglise dans ce contexte vient d’accueillir un nouvel archevêque en avril dernier : Mgr Ilario Antoniazzi a pu d’ores et déjà visiter l’ensemble des régions et communautés du pays, à la rencontre d’une Eglise réputée « des catacombes » et qu’il découvre « mosaïque, jeune et vraie. »
L’Algérie vit aussi un temps d’incertitude dans l’attente des prochaines élections présidentielles. Le Diocèse d’Oran a accueilli son nouvel évêque, le père Jean-Paul Vesco, le 25 janvier : il retrouve avec joie un diocèse qu’il a connu comme vicaire général. Le Diocèse de Constantine et Hippone, à l’occasion de la rénovation de la basilique Saint Augustin d’Hippone et des cent ans de son élévation comme basilique, vit cette année 2013-14 à la lumière de St Augustin. Le Diocèse de Laghouat-Ghardaïa se réjouit de l’arrivée de plusieurs communautés religieuses. Et les quatre diocèses d’Algérie commencent à vivre une année interdiocésaine sur les traces des disciples d’Emmaüs.
Au Maroc, la nouvelle constitution se met en œuvre peu à peu, sur un fond d’incertitudes dues à la crise économique mondiale. Un débat émerge sur la question de la liberté de conscience, à laquelle l’opinion publique ne semble pas encore prête. Le Diocèse de Tanger se réjouit de l’arrivée de plusieurs Frères Franciscains, de Filles de la Charité et de Carmélites, et de la signature d’une convention entre le diocèse et la Custodie franciscaine. La collaboration entre les deux diocèses s’intensifie dans l’accompagnement des étudiants et des migrants. Et le Diocèse de Rabat vient de créer avec l’Eglise Evangélique au Maroc l’institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa dont une quarantaine d’étudiants catholiques et protestants suivent les cours ; parmi eux, douze ont été appelés au service de paroisses catholiques et protestantes en manque de prêtre ou de pasteur. Le Sahara Occidental, toujours dans l’attente d’une solution politique durable, vient de recevoir un nouveau Préfet apostolique, le P. Mario León Dorado, qui en était l’administrateur depuis 2 ans. La venue de nombreux touristes dans le sud de la région a conduit à un nouvel essor de la paroisse de Dakhla.
Nous avons longuement travaillé sur un projet de document qui dise l’actualité de la présence et de l’action de notre Eglise au Maghreb. Après le document « les Eglises au Maghreb en l’an 2000 », il nous paraît important d’actualiser le sens de notre présence de disciples de Jésus dans un contexte régional et ecclésial en pleine évolution, et d’aider les fidèles à s’insérer dans nos Eglises ou à y persévérer. Une équipe de rédaction a été désignée à cette fin.
Le Cardinal Tauran nous a reçus au Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux, et nous a entretenus de l’action du Conseil dans le cadre du nouveau Centre du dialogue interreligieux de Vienne (KAICIID). Nous avons échangé sur l’actualité du dialogue, dans un contexte où les musulmans eux-mêmes se trouvent davantage confrontés à leurs diversités. Nous souffrons de ce que beaucoup d’Eglises manifestent une certaine peur de l’islam. Il est vrai que le dialogue n’est pas facile, mais nous réaffirmons notre conviction qu’envers et contre tout, c’est notre vocation chrétienne que de chercher les chemins de la rencontre de l’autre et du dialogue.
Une visite au Conseil Pontifical pour les migrants et itinérants nous a permis de rencontrer le Cardinal Veglió et ses collaborateurs avec lesquels nous désirions fortement évoquer la présence de nombreux étudiants subsahariens dans nos pays et nos Eglises, car le monde des étudiants à l’étranger relève de la mission de ce Conseil. L’apport de chaque pays a vivement intéressé nos hôtes : grâce aux étudiants venus de presque tous les pays d’Afrique, nous ré-ouvrons des communautés, nos Eglises rajeunissent, ces jeunes sont, au cœur de l’université,t acteurs d’un dialogue Nord-Sud et interreligieux que l’Eglise ne peut vivre en ces lieux que par eux, ouvrant à un plus grand respect mutuel et à une évolution réciproque des mentalités. A l’écoute des nombreuses et diverses initiatives de formation humaine et chrétienne que nous proposons aux jeunes et à leurs accompagnateurs, le Conseil nous a généreusement proposé son appui.
Les personnes migrantes sont nombreuses dans nos pays et aussi dans nos communautés chrétiennes, et dans le contexte du drame de Lampedusa, nous avons voulu rencontrer « Caritas Italiana » avec laquelle nous entretenons depuis de nombreuses années un étroit partenariat, notamment sur cette question. M. Silvio Tessari, responsable pour « Caritas Italiana » des relations avec les Caritas du Maghreb et du Moyen-Orient, est venu nous entretenir des enjeux d’une pastorale de la migration : cette pastorale sociale et spirituelle est de notre responsabilité. Il en a souligné les trois dimensions : Agir, Former, Promouvoir. Pour dépasser la simple assistance qui demeure indispensable en cas d’urgence (la pastorale du Bon Samaritain), il convient de considérer le phénomène migratoire dans sa globalité, ses causes, ses effets, ses conséquences, et de discerner les justes moyens pour soutenir les personnes migrantes ; à ce titre nous constatons que nos pays deviennent des pays d’immigration et non plus seulement des pays d’émigration et de transit ; en particulier, nous nous réjouissons de ce que le Maroc ait décidé d’une politique migratoire visant l’intégration des personnes migrantes, sous le signe des droits humains. Il convient aussi de sensibiliser l’opinion publique sur ces thèmes trop souvent ignorés ou médiatisés seulement dans le cas de terribles drames comme celui de Lampedusa. Il nous est essentiel d’entretenir et d’accentuer le partenariat avec les associations et organismes locaux qui agissent sur le terrain auprès des migrants. Grâce à ce travail de plaidoyer, nous notons avec satisfaction que plusieurs de nos pays accueillent dans leurs écoles les enfants migrants et dans leurs hôpitaux les migrants malades, même s’ils sont en situation irrégulière.
Au lendemain de l’annonce d’un synode extraordinaire sur la famille, Monseigneur Paglia, Président du Conseil Pontifical pour la Famille, est venu partager notre repas, très désireux d’entendre nos préoccupations en ce domaine : nous avons longuement échangé, en particulier à propos des familles islamo-chrétiennes, du mariage coutumier auquel le mariage religieux semble parfois faire doublon, et des nullités de mariage dont la procédure nous semble bien trop complexe. La prochaine CERNA consacrera un long moment à travailler ce dossier.
La CERNA exprime sa solidarité priante avec les peuples et les Eglises d’Afrique et du Moyen-Orient qui sont plus particulièrement dans la tourmente.
La prochaine réunion de la CERNA aura lieu à Rome du 14 au 19 juin.
+ Vincent LANDEL
Archevêque de Rabat, président de la CERNA