C’est une histoire douloureuse qui vient défrayer la chronique judiciaire avec le procès intenté par une femme de 39 ans qui réclame la restitution des paillettes de sperme de son mari décédé.
L’homme se savait malade d’un cancer depuis longtemps lorsqu’ils se sont mariés en juin 2008. Sur les conseils de ses médecins, Dominique Justel effectuait un dépôt annuel de sperme au Cecos de Rennes depuis 2006, date de ses premiers soins. Ces « Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain » sont habilités à stocker les gamètes dans l’azote liquide. Le prélèvement visait à pallier la stérilité provoquée par les traitements anticancéreux. Un simple palliatif – faut-il préciser – puisque la « solution » proposée ensuite est l’usage des techniques d’assistance médicale à la procréation, c’est-à-dire l’insémination artificielle de l’épouse par le sperme décongelé.
Mais le mari meurt en septembre 2008. Et voilà que l’idée de poursuivre le projet d’enfant du couple s’impose à Fabienne Justel. Elle découvre alors que la France interdit l’insémination post mortem. La loi ne permet pas non plus que le Cecos lui restitue le sperme. Elle ne peut donc pas emmener les paillettes dans un pays plus laxiste comme l’Espagne. Le Tribunal de Grande Instance de Rennes est saisi en ce sens. Il doit rendre sa décision le 15 octobre.
Maître Gilbert Collard, avocat de la veuve, joue sur l’émotion en déclarant : « On ne peut tuer le rêve de ce couple ! » Et il fustige « les technocrates de l’éprouvette ». De même Sylvianne Agacinsky – qui s’opposa avec courage aux mères porteuses, en récusant l’enfant-objet au moment des états-généraux de la bioéthique -, a étrangement soutenu Fabienne Justel. La philosophe estime que « priver cette femme de cet enfant » (…) relève « d’une cruauté extraordinaire ». Elle, justifie sa position en affirmant que l’enfant ne serait pas « sans père », mais « orphelin ».
Quant à la veuve, elle se dit « révoltée » par l’opposition du ministère public à sa requête. Elle fait état du soutien de ses trois enfants nés d’un précédent mariage. Elle évoque son propre père, mort lorsqu’elle avait deux ans, au moment où sa mère attendait son petit frère. Comme s’il n’y avait pas de différence entre concevoir sciemment son enfant d’un homme déjà mort, et perdre son père précocement.
Lorsqu’on lui parle de sa difficulté à « faire le deuil » d’un époux décédé, Fabienne Justel récuse vouloir un « bébé-pansement ». Pourtant, on sent bien que c’est de cela qu’il s’agit lorsqu’elle s’exprime pour le quotidien Libération : « Cet enfant serait l’image vivante de notre amour. Même si Dominique est mort, je n’ai pas envie que ça s’arrête entre nous. »
Se rend-elle compte que projeter cet enfant comme une image vivante d’un amour endeuillé, c’est déjà le traiter en objet ? Comme si concevoir un enfant pouvait conjurer le sort, aussi cruel soit-il… Les beaux-parents de la jeune femme se sont pourtant rangés à l’idée qu’on conçoive cet enfant avec ce qui reste de leur fils… Mais ils avouent que, pour eux aussi, « ce serait un moyen de revivre ».
Les rappels à la loi du Cecos et de la Justice semblent froids face à la revendication désespérée. Mais la mise en œuvre de conceptions post mortem constituerait une brèche majeure dans les règles de la procréation et de la filiation. Les projets les plus abracadabrantesques pourraient s’y engouffrer. Pourquoi ne pas donner une descendance à une personne disparue depuis longtemps, toujours au nom de l’amour ? Aux États-Unis déjà, des soldats partant sur des théâtres d’opération lointains font stocker du sperme pour permettre à leur femme de procréer sans eux s’il leur arrivait malheur.
Nouvelle confusion pour l’humanité : après avoir dissocié la procréation de la relation sexuelle, on veut surmonter la mort d’un des deux parents. Les reportages consacrés au combat de Fabienne Justel ont omis de souligner l’essentiel : c’est dans l’intérêt de l’enfant que le France refuse que soit conçu un être humain déjà orphelin de père.
Derrière le fait divers dramatique se révèle finalement notre difficulté à consentir aux trois limites implacables de la condition humaine : le temps, le corps et la mort. Mais qui osera dire que c’est en s’autorisant à stocker les gamètes, ces précieuses cellules destinées à la procréation, qu’on a ouvert la porte aux revendications les plus insensées ?