Comment Newman est revenu vers Rome - France Catholique
Edit Template
Marie dans le plan de Dieu
Edit Template

Comment Newman est revenu vers Rome

À travers un groupe d'étudiants fervents à Oxford, l'itinéraire spirituel de John Henry Newman s'apparente à un véritable manuel de ré-évangélisation par la culture.
Copier le lien
Oriel College, au sein de l'université d'Oxford, où Newman a été enseignant.

Oriel College, au sein de l'université d'Oxford, où Newman a été enseignant.

Au départ, il y a la vive conscience de la présence de Dieu en Newman. « D’homme vertueux elle fait de lui un homme pieux. » Il a 15 ans. Pieux, il le sera de plus en plus, jusqu’à devenir un ou « le » théologien de la grâce. Le vrai chrétien, pour lui, c’est celui qui est absorbé, quoi qu’il fasse, par le sentiment de la présence de Dieu au-dedans de lui. D’où sa devise cardinalice plus tard : Cor ad cor loquitur : « le cœur parlant au cœur », inspiré de saint François de Sales.

Admis à l’université d’Oxford à 16 ans, au Collège d’Oriel, il y trouve quelques condisciples d’une ferveur semblable à la sienne. En plus d’une amitié réciproque, notre étudiant doit en particulier à leur contact, au niveau intérieur, une évacuation progressive de ce qui restait encore en lui de puritanisme ou d’un piétisme peu vertébré.

Volonté de réforme

Dans ce contexte favorable, ces jeunes deviennent douloureusement conscients de l’inconsistance doctrinale et morale de leur environnement ecclésial. L’idéal de l’establishment est tout au plus celui d’engendrer des gentlemen. Devant un tel constat d’ « apostasie nationale », ils s’éprennent du désir apostolique de réveiller l’anglicanisme de sa torpeur. On a écrit que leur groupe, vite appelé « Groupe d’Oxford » faisait penser à celui de Port-Royal, première mouture.

Quatre moyens principaux pour mener à bien leur projet. Les tracts d’abord. Il y en aura 90, à raison de plusieurs par mois. Un tiers sont l’œuvre de Newman. Extraordinaire succès populaire. Puis, des études sur les Pères de l’Église, que diffuseront diverses revues. Textes réunis ensuite dans une « Bibliothèque des Pères », qui sont le pendant érudit des tracts.

Il y aura aussi des conférences publiques. Une série, due à Newman, porte sur la « Tradition prophétique » de l’église. Une deuxième, toujours de lui, sur la « Doctrine de la justification ».

Les Sermons de Newman, enfin, dans sa paroisse St. Mary. Leur résumé : « Le christianisme des débuts c’était ainsi ! Comme nous en sommes loin ! » Chez tous les membres du Mouvement d’Oxford se posait également la question des notes identitaires de l’église de Jésus-Christ.

Leur conviction commune est qu’elle ne peut être qu’une, et enracinée dans les Apôtres, dans leur doctrine, leur ministère sacerdotal et de gouvernement. Or l’église anglicane est trop nationale pour mériter le nom de « catholique ». Elle est en effet, de plus en plus, en dépendance étroite de l’État…

Mais peut-être pourrait-on justifier sa prétention d’être encore apostolique, c’est-à-dire sans rupture avec les Apôtres, en l’imaginant comme une branche d’un tronc commun, avec l’orthodoxie et le romanisme – « Théorie des trois branches » ? Ou encore la tenir comme une voie médiane entre le protestantisme et le romanisme ?

Pourtant, à mesure que nos fervents d’Oxford, Newman surtout, étudient l’histoire, une conviction se fait jour en eux qui ne cessera de grandir : si nos Pères dans la foi, Ignace d’Antioche, Irénée, les Cappadociens, Augustin, Ambroise, etc., revenaient, où retrouveraient-ils leur église ? Réponse : à Rome, sans nul doute !

Newman, en particulier, en est convaincu, avant même de terminer son maître livre, condensé de ses découvertes : l’Essai sur le Développement, quasi contemporain du livre de Darwin sur L’Origine des Espèces, et aussi « explosif » que lui, en un autre domaine. Une phrase de saint Augustin, en particulier, l’a bouleversé. Il s’agit de l’adage Securus judicat orbis terrarum, qu’on peut traduire ainsi : « Lorsque c’est au niveau universel qu’elle exprime sa foi, l’église a le mot dernier et définitif. »

Il prie et il souffre

Newman prolonge sa réflexion : et si les « adjonctions » de Rome, sauf excès périphériques éventuels, étaient en réalité tout simplement en cohérence avec un germe qui grandit ? Et s’il s’agissait du déploiement dans le corps des fidèles, sous l’action de l’Esprit-Saint, d’une ligne prophétique – incluant son magistère, son gouvernement, sa liturgie et discipline ?

Newman souffre et prie beaucoup. Progressivement son attitude change vis-à-vis de Rome. Ce qu’il a d’abord détesté en elle, au point d’y voir l’œuvre de l’Antéchrist, lui paraît maintenant divin. Il est arrivé à accepter comme valables ces points qui l’horrifiaient autrefois : la transsubstantiation, le culte de la Vierge et des saints, le purgatoire…

Bien évidemment, l’establishment s’insurge, en particulier devant l’interprétation qu’il ose donner du Credo anglican – les « 39 articles » du Prayer Book. En cohérence avec ses nouvelles convictions, ce dernier renonce à sa charge de curé de St. Mary, en septembre 1843. Il se dégage aussi du Mouvement d’Oxford et se retire à Littlemore, en un bâtiment qu’il a fait construire. Avec un groupe d’une trentaine de jeunes amis, il y mène alors une vie quasi monastique : 4 h 1/2 de prières par jour !

Des centaines de conversions

Ainsi, le Mouvement d’Oxford, destiné à l’origine à vivifier l’anglicanisme, voit maintenant plusieurs centaines de ses membres s’orienter vers Rome. Newman ne fait rien pour les pousser, mais rien non plus pour les retenir. Il est personnellement bourrelé d’inquiétude sur son propre avenir… Finalement, en 1845, il voit clair et demande à être admis dans l’église catholique. Un religieux passionniste italien, le Père Dominique Barberi, l’écoute en confession et reçoit son abjuration, le 9 octobre – après baptême sous condition, comme c’était la règle alors en de tels cas.

Cet événement suscita une foule de conversions dans les milieux intellectuels anglais. Quelques mois plus tard, Newman s’embarquait pour l’Italie, avec son grand ami Saint-John.

Le Mouvement d’Oxford continua plusieurs années, sous la puissante main de Pusey, le leader du départ. Avec le temps, il s’essoufflera, mais pas sans avoir atteint, au moins partiellement, son but au profit de l’establishment, et avoir servi indirectement la foi catholique en Angleterre et en Irlande.