Comment le Conseil de l’Europe impose l’avortement à l’Irlande et à la Pologne - France Catholique
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Comment le Conseil de l’Europe impose l’avortement à l’Irlande et à la Pologne

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Comment un pays qui a refusé l’avortement à trois reprises par referendum peut se faire imposer sa légalisation au nom d’une Convention qui ne contient pas de droit à l’avortement…

L’Irlande est un symbole en Europe de résistance à l’avortement ; mais il est sur le point de tomber sous la pression conjuguée du Conseil de l’Europe et de groupes de pression. Le peuple irlandais s’est toujours opposé fermement à l’avortement : à trois reprises, par référendum, il a refusé sa légalisation et a accordé une protection constitutionnelle à la vie de l’enfant à naître égale à celle de sa mère. L’avortement est ainsi toujours interdit, sauf lorsque jugé strictement nécessaire par les médecins pour sauver la vie de la mère.

Or, le Conseil de l’Europe est au cœur d’une campagne visant à imposer « par le haut » l’avortement à un peuple qui l’a refusé « par le bas » à trois reprises lors des référendums de 1983, 1992 et 2002.

Précisons que le Conseil de l’Europe a été créé pour défendre la démocratie et les droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme fait partie du Conseil de l’Europe ; son rôle est de veiller au respect par les Etats des droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Les Etats condamnés doivent se conformer aux arrêts rendus par la Cour à leur encontre ; ils disposent d’une liberté quant au choix des moyens à mettre en œuvre à cette fin. Cette exécution des arrêts est réalisée sous la supervision politique du Comité des Ministres, c’est-à-dire des ambassadeurs des 47 Etats membres.

Le 16 décembre 2010, dans l’affaire A. B. et C. contre Irlande, alors qu’il n’y a pas de droit à l’avortement dans la Convention, la Cour européenne a condamné l’Irlande au motif que sa réglementation de l’avortement ne serait pas claire, car elle n’aurait pas permis à une femme enceinte désireuse d’avorter de savoir si elle pouvait bénéficier de l’exception à l’interdiction de l’avortement. Cette femme, ayant eu antérieurement un cancer, craignait que sa grossesse altère sa santé. Estimant qu’elle ne parviendrait pas à obtenir auprès de médecins la possibilité d’avorter en Irlande, elle subit un avortement en Angleterre.

Cette affaire A. B. et C.1 contre Irlande est la jurisprudence de référence d’une série d’affaires contre l’Irlande et la Pologne dans lesquelles des femmes se plaignent de l’impossibilité d’avorter, en raison notamment du refus des médecins. Ces affaires résultent de la confrontation entre l’approche de la femme qui demande l’avortement comme si c’était un droit individuel et l’approche des médecins et de l’État qui conditionnent l’accès à l’avortement à des critères objectifs relatifs notamment à la vie et à la santé de la mère.

Dans ces affaires, la Cour a essayé de donner une plus grande place à l’expression et au respect de la liberté de la femme, sans heurter de front le droit de l’Etat de soumettre l’avortement à des conditions strictes. A cette fin, la Cour a jugé que dès lors que l’Etat décide d’autoriser l’avortement même à titre exceptionnel, il doit alors instituer un cadre juridique précis et une procédure fiable permettant aux femmes d’exercer de façon effective leur « droit » à l’avortement. Ainsi, ce n’est pas frontalement que l’avortement est imposé à l’Irlande et à la Pologne, mais en utilisant la voie périphérique d’obligations procédurales qui garantissent, non pas le droit (matériel) à l’avortement, mais le droit (procédural) de savoir si on a le droit d’y avoir recours. Cette approche procédurale n’obligerait l’Irlande qu’à « clarifier » les conditions concrètes d’accès à l’avortement, en pratique, cela va beaucoup plus loin. Ce résultat est atteint tout en reconnaissant l’absence de droit à l’avortement au sein de la Convention européenne des droits de l’homme, et sans qu’il soit nécessaire à la Cour de se prononcer sur l’interdiction de principe de l’avortement en droit irlandais. Pour imposer cette obligation procédurale, il est seulement nécessaire d’affirmer, sur la base de l’exception à l’interdiction en cas de danger pour la vie de la mère, qu’il existe un droit à l’avortement et que ce droit entre dans le champ de la Convention.

Pour exécuter ces arrêts, comme le recommande la Cour (sans que cette recommandation soit néanmoins contraignante), l’Irlande et la Pologne vont instituer un mécanisme décisionnel auquel pourront s’adresser les femmes désireuses d’avorter. L’Irlande 2 va probablement suivre l’exemple de la Pologne qui, en exécution de l’arrêt Tysiąc c. Pologne (no 5410/03) du 20 mars 2007, a entamé la création d’un « comité d’experts » chargé de décider au cas par cas si les conditions légales sont réunies pour la pratique d’un avortement. Ce comité interprètera nécessairement ces conditions et les fera évoluer. La composition de ce Comité est décisive et fait l’objet de débats au sein du Conseil de l’Europe : les organisations 3 militant en faveur du droit à l’avortement souhaitent réduire la proportion de médecins au profit de membres issus d’autres professions (juriste, associations, etc.). Cette demande a été relayée par le Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à la santé qui soutient « qu’une commission composée exclusivement de professionnels de la santé présente un vice structurel qui nuit à son impartialité » 4. Cette question est importante car les médecins ont une approche scientifique, objective et concrète des causes pouvant justifier éventuellement un avortement ; en revanche les juristes et organisations politiques considèrent davantage l’avortement sous l’angle abstrait des libertés individuelles. A travers le débat sur la composition de ces comités se joue la définition de la nature de l’avortement, considéré soit d’un point de vue concret et médical, soit d’un point de vue abstrait, comme une liberté individuelle. Si l’avortement est une liberté, son exercice se heurte alors inévitablement aux médecins dont le pouvoir de décision est perçu comme une entrave illégitime. Cette confrontation est d’autant plus forte lorsque le médecin invoque sa liberté de conscience pour refuser de pratiquer un avortement.

En outre, le fait de confier à un comité la décision d’autoriser un avortement rend cette décision collégiale, ce qui a pour effet de dissoudre la responsabilité morale et juridique de la décision sur l’ensemble du comité.

Les décisions de refus de ce Comité devront être rapides, motivées et écrites afin de pouvoir être contestées en justice. Ainsi, la décision ultime d’autoriser l’avortement n’appartiendra plus aux médecins ni même au « Comité d’experts », mais au juge qui interprètera les critères d’accès à l’avortement. A ce jour, aucune procédure n’est prévue pour contester en justice des décisions autorisant un avortement, seul est envisagé le cas d’une décision de refus. L’enfant à naître aura-t-il un avocat au sein de ce comité ? Ce mécanisme décisionnel ne prévoit aucun garde-fou contre le risque d’interprétation abusive des conditions légales d’accès à l’avortement ; pourtant les pressions en ce sens seront très fortes, notamment de la part des instances européenne et internationales5.

Ainsi, le pouvoir ultime d’interprétation des conditions d’accès à l’avortement sera progressivement transféré au pouvoir judiciaire, et donc ultimement à la Cour européenne des droits de l’homme. Avec un tel mécanisme, la Cour européenne sera amenée à brève échéance à se prononcer sur le bien fondé des décisions de refus prises par ces Comités. Ce sera alors une nouvelle occasion pour elle de faire progresser le droit à l’avortement en Irlande.
Finalement, l’encadrement de l’avortement échappe progressivement au législateur et au médecin. S’agissant du législateur, la décision de principe de permettre ou non l’avortement n’est plus vraiment souveraine, puisqu’il a suffit à la Cour européenne de déclarer qu’il existe un « droit à l’avortement » en Irlande pour que cette affirmation s’impose comme nouvelle interprétation authentique de la Constitution irlandaise. Quant au médecin, son pouvoir va être transféré aux juges garants du respect des droits de l’homme.

Lors de sa réunion du 6 décembre 2012, les Délégués au Comité des Ministres ont invité l’Irlande à répondre au problème de « l’interdiction générale d’avorter en droit pénal » car elle constitue « un élément dissuasif fort pour les femmes et les médecins en raison du risque de condamnation pénale et d’emprisonnement », et ont invité « instamment les autorités irlandaises à accélérer l’exécution de l’arrêt »6. L’examen du suivi de l’exécution de cette affaire se poursuivra au plus tard lors de la réunion de mars 2013.

Une question se pose : pourquoi une telle pression sur l’Irlande et la Pologne alors que ces deux pays sont parmi les meilleurs au monde dans les soins de santé maternelle, loin devant la France et les Etats-Unis 7. Pourquoi transférer au juge la responsabilité du médecin, alors que l’appréciation de la nécessité médicale d’un avortement relève de la compétence scientifique du médecin ? Où est l’urgence à légaliser l’avortement ? Pourquoi le Comité des ministres a-t-il classé le suivi de ces affaires comme « prioritaire » alors que tant d’affaires graves de torture, de disparitions et d’assassinats sont traitées au ralenti ? Probablement parce que l’avortement détermine profondément la culture : sa légalisation a valeur de rituel de passage dans la postmodernité, car elle implique la domination de la volonté individuelle sur la vie, de la subjectivité sur l’objectivité.

Ce processus n’est pas inéluctable, il dépend de la force de la volonté politique des gouvernements irlandais et polonais qui peuvent fort bien rappeler au Conseil de l’Europe que jamais leur pays ne s’est engagé à légaliser l’avortement en ratifiant la Convention européenne des droits de l’homme.

  1. The European Centre for Law and Justice, ONG basée à Strasbourg, et dont Grégor Puppinck est le directeur, a soumis un rapport au Comité des Ministres sur l’exécution de l’arrêt A B et C c. Irlande, document DD(2012)917, accessible ici http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution/Themes/Add_info/IRL-ai_en.asp
  2. Voir le rapport du Groupe officiel d’experts institué par le gouvernement Irlandais pour proposer des modes d’exécution de l’arrêt, publié en novembre 2012 et accessible à cette adresse : http://www.dohc.ie/publications/pdf/Judgment_ABC.pdf?direct=1
  3. Voir la communication de l’Organisation « Centre pour les droits reproductifs » au Comité des Minsistres du Conseil de l‘Europe et la réponse du gouvernement Polonais DH-DD(2010)610E
  4. Voir le Rapport sur la Pologne du Rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, M. Anand Grover, 20 mai 2010, Conseil des droits de l’homme, document n° A/HRC/14/20/Add.3).
  5. Voir par exemple le rapport du Commissaire aux droits de l’homme relatif à sa visite en Irlande (26-30 novembre 2007), adopté le 30 avril 2008 (CommDH(2008)9), le rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination envers les femmes (« CEDAW »), du Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme de juillet 2005 (A/60/38(SUPP), le Rapport périodique du Comité des droits de l’homme sur l’observation du Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques (CCPR/C/IRL/CO/3, en date du 30 juillet 2008).
  6. Compte rendu de la  réunion des Délégués des Ministres 4 décembre 2012 10:00 – 6 décembre 2012 CM/Del/Dec(2012)1157/12 / 3 décembre 2012   1157 (DH) Décision affaire n° 12 – A., B. et C. contre Irlande.
  7. Trends in Maternal Mortality: 1990-2010. Estimates Developed by WHO, UNICEF, UNFPA and the World Bank, http://data.worldbank.org/indicator/SH.STA.MMRT (last visited 20th November 2012.)