Le Carême attire tout particulièrement l’attention sur l’importance de la confession. Ce sacrement a connu une évolution singulière dans l’histoire, liée à l’approfondissement par l’Église de l’enseignement du Christ.
« Bénissez-moi, mon Père, parce que j’ai péché. » Quoique la conscience du péché se soit bien émoussée, cette petite phrase continue de résonner dans les confessionnaux. Aujourd’hui comme hier, l’Église offre aux catholiques la purification et la guérison offertes dans le pardon divin. Pourtant, la confession n’a pas toujours eu la forme qu’on lui connaît. Quelle en est l’origine ? Comment a-t-elle évolué ? Retournons à l’Évangile, puisque tous les sacrements y trouvent leur source : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le Ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre, sera délié dans le Ciel », dit le Christ à ses disciples (Mt 18, 18). Saint Jean nous rapporte aussi ce qu’il enseigne aux apôtres : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Ces versets suffisent-ils à comprendre la forme du « sacrement de réconciliation » telle que nous la connaissons aujourd’hui ? Assurément, non. Pourquoi ? Parce que les premiers chrétiens pensaient que c’était le baptême qui déliait des péchés. Ce qui n’empêchait pas les Juifs du temps de Jésus d’accorder beaucoup d’importance à la confession des péchés, mais celle-ci se faisait directement entre le pénitent et Dieu, sans intermédiaire – c’est encore le cas, en particulier lors des fêtes de Yom Kippour.
Que s’est-il passé ensuite ? Sagesse de la pensée chrétienne, si pragmatique par certains aspects. Pendant plusieurs siècles, persuadés que seul le sacrement du baptême garantissait la miséricorde divine, de nombreux chrétiens en pensée se firent baptiser le plus tard possible pour accéder malgré tout à la possibilité du Salut. Un exemple ? L’empereur Constantin, par qui l’empire devint chrétien, n’accepta d’être baptisé que sur son lit de mort car, grand amateur de la gent féminine, il pensait n’avoir qu’une seule chance de bénéficier du pardon de Dieu. Faute de confession, telle que nous la connaissons aujourd’hui, il choisit d’attendre l’ultime moment pour devenir pleinement chrétien.
Débat théologique
Les choses changèrent par la suite. Que la miséricorde de Dieu ne puisse s’exercer qu’une seule fois dans la vie d’un individu, lors du baptême, soulevait de nombreux problèmes puisque cette miséricorde est par définition inépuisable. Une lecture approfondie des Écritures suscita une nouvelle approche : et si le Christ avait institué un sacrement singulier, comme plusieurs versets du Nouveau Testament, notamment ceux cités ci-dessus, pouvaient le laisser entendre ? Saint Paul n’avait-il pas dit en parlant du Seigneur : « Il nous a donné le ministère de la réconciliation » ? Ce questionnement fit l’objet d’amples réflexions théologiques, dont les traces les plus substantielles remontent à Tertullien – IIe et IIIe siècles –, et le principe de la confession, c’est-à-dire de l’aveu explicite et précis de ses fautes, commença à se diffuser. Mais à l’époque, la reconnaissance des péchés se faisait de manière publique. Or, aujourd’hui comme hier, nul n’a envie de raconter ce qu’André Malraux appelait son « misérable petit tas de secrets ». L’Église l’a bien compris. Le changement vint du Nord, vers le VIIe siècle, des régions septentrionales, et de l’Irlande où les moines avaient pris l’habitude de recueillir les péchés de leurs ouailles à titre privé. Cette expérience et son bienfait infusèrent progressivement dans l’Europe chrétienne.
L’an 1215 fut une année fondamentale. Cette année-là, le IVe concile de Latran dispose que tout chrétien doit se confesser au moins une fois par an, à l’approche de Pâques – d’où l’expression « faire ses Pâques ». On parle alors de « confession auriculaire », c’est-à-dire faite « à l’oreille du curé ». La confession, telle que nous la connaissons, est née. Cette pratique fut confirmée trois siècles plus tard à l’occasion du concile de Trente (1545-1563).
S’ensuivit, au XVIIe siècle, une longue querelle entre une approche très rigoriste du sacrement de pénitence et une approche plus indulgente, fondée sur l’acception de la miséricorde divine, aux chemins impénétrables. Rien de nouveau, donc. Voici plusieurs siècles, l’on s’interrogeait déjà sur la condition du Salut. Était-il programmé d’avance ou était-il encore possible d’influer sur son destin éternel, via les oeuvres et la foi ? Au travers de la problématique de la confession, resurgit l’éternel débat sur la prédestination et sur la justice divine.
Face au rigorisme janséniste, des figures plus magnanimes émergent peu à peu. Benoît XVI rappelle que saint Alphonse de Liguori (1696-1787), proclamé « patron de tous les confesseurs et moralistes » par Pie XII, « recommand[ait] aux pasteurs d’âme et aux confesseurs d’être fidèles à la doctrine morale catholique en assumant, dans le même temps, une attitude charitable, compréhensive, douce, pour que les pénitents puissent se sentir accompagnés, soutenus, encouragés dans leur chemin de foi et de vie chrétienne ». Un « en même temps » qui traduisait la délicatesse et – une fois de plus – le pragmatisme de l’Église.