Commençons par le commencement... - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Commençons par le commencement…

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NDT : Ce texte est un extrait d’un livre d’entretiens qu’a eu Mary Eberstadt avec le père Arne Panula, alors en fin de vie (il est mort d’un cancer). Ce livre, The Last Homily (La dernière homélie), vient juste de paraître en version anglaise.

Père Arne, nous avons parlé de l’espoir que ces dernières réflexions de votre part allaient atteindre des lecteurs tant religieux que a-religieux. Alors commençons par quelques questions liées à l’esprit des gens extérieurs à l’Eglise. Pourquoi croyez-vous en Dieu ?

Père Arne : Souvent, les gens disent, vous croyez tout cela parce que vous êtes catholique. Ma réponse est, non, je suis catholique parce que je crois tout cela. Commençez avec la faim humaine pour pénétrer dans la réalité. C’est une constante de nos vies. A mesure que vous creusez, vous dévoilez différents paradigmes.

Qu’est-ce qui convient le mieux avec tout ce que vous savez du monde, des gens, de la vie ? Ou pour ouvrir une métaphore : venir à la foi, c’est comme aller chez l’ophtalmo et essayer différents verres. Vous connaissez ce sentiment quand, eureka, vous avez trouvé les verres qui conviennent. Quand vous couplez l’expérience de la vie avec la juste interprétation, vous trouvez ce qui convient.

Père Arne : C’est une des raisons pour lesquelles je lis un peu du Nouveau Testament chaque jour, et cela depuis cinquante ans. Chaque jour, je trouve de nouvelles choses dans la foi. Chaque jour, l’image devient plus nette. Evidemment, il y a un don dans toutes ces expériences. Ce n’est pas comme si j’avais fait tout cela par moi-même – ou comme si j’en étais seulement capable. La grâce nécessaire pour coller avec le projet est également donnée par Dieu. Croire en Dieu est une collaboration. Dieu ne nous y force pas. Mais c’est ce qui fait de la foi une aventure. Le pape émérite Benoît l’a dit : nous croyons en quelqu’un, pas en quelque chose.

Thomas d’Aquin dit similairement dans la Somme théologique que l’objet de notre foi n’est pas un dogme mais une personne. C’est ce qui rend la foi fascinante. Toute l’aventure, tout le mystère de chaque rencontre interpersonnelle est là.

Etes-vous toujours conscient de l’autre personne de la même manière ?

Père Arne : Absolument pas. La conscience va et vient. C’est pour cela que la doctrine est si importante. Cela vous donne quelque chose à quoi s’accrocher quand le sens du relationnel n’est pas aussi présent.

Par nature, nous sommes égoïstes. Il est facile d’être englué dans l’évitement de Dieu. C’est vrai pour les prêtres comme pour quiconque. Saint Josemaria Escriva raconte une histoire arrivée alors qu’il se tenait tous les matins au confessionnal. Chaque jour, il entendait la porte de l’église s’ouvrir à grand fracas, puis un tintement de bidons, puis une fermeture bruyante de la porte. Sa curiosité éveillée, il s’est tenu un matin sur les marches de l’église et s’est trouvé nez-à-nez, à l’heure dite, avec un laitier et ses bidons. Il a demandé à l’homme ce qu’il faisait, et le laitier à répondu : « Père, chaque jour je viens ici, j’ouvre la porte et je dis ‘bonjour Jésus ! C’est John le laitier’ ».

Le prêtre est resté sans voix. Il a passé le reste de la journée à prier pour demander la foi de John le laitier.

Il y a quelques années, un ami m’a raconté une histoire de la même veine. Un prêtre en Ohio entre dans son église et voit un homme seul, à genoux en prière. Le prêtre le reconnaît : c’est un célèbre joueur de foot – un des plus connus de la ligue nationale, en ville pour un match qui se joue ce jour-là. Incapable de résister, le prêtre s’approche et dit : « n’êtes-vous pas un tel ? » Ce à quoi l’athlète lève les yeux avant de le reprendre : « mais père, je suis en train de prier ».

Père Arne : Oui, le point commun des deux histoires est la foi tangible dans la présence de Dieu et combien il est facile d’en être distrait.
Même ainsi, et même quand la nature relationnelle de la foi fluctue, la grâce abonde, et sa présence a un effet sur la foi. Voir la grâce à l’œuvre, et j’ai quarante-quatre ans d’expérience de direction spirituelle comme prêtre, est remarquable. Ma foi est confortée constamment rien que par ces constatations.

A destination de nos lecteurs non-religieux : que veut dire « par grâce », où cela se constate-t-il ?

Père Arne : La grâce est visible premièrement dans la transformation qui se fait au cours du temps chez un individu qui vient à la foi. Amesure que les gens commencent à pratiquer la foi, à prier, à méditer ses vérités, ils changent visiblement. Je l’ai vu continuellement. Les gens qui pratiquent vraiment la foi grandissent en patience et en capacité de s’émerveiller. Un autre fait singulier à noter est l’essor de leur capacité à la joie. Ce n’est pas qu’ils deviennent mystiques ou disparaissent de quelque manière dans le religieux. C’est tout le contraire : leur énergie devient de plus en plus concentrée.

Une autre manifestation de la grâce est que les gens sur la route de la foi grandissent également en préoccupation des autres. Leur altruisme augmente. Je vois cela également tout le temps. C’est la preuve la plus flagrante du pouvoir transformateur de la grâce.

Voici une autre question souvent posée par les gens qui ne sont pas sur cette route. Quelle est l’importance de se rendre à l’église, en opposition à « avoir seulement une spiritualité » ?

Père Arne : Quand les gens parlent d’avoir un spiritualité en opposition à appartenir à une religion, ils parlent de leur expérience individuelle de Dieu.
Mais Dieu nous a créés comme des animaux sociaux. Nous avons besoin d’avoir des relations les uns avec les autres.
La première communauté chrétienne, ayant reçu l’injonction de célébrer l’eucharistie en mémoire de Jésus, a développé des rituels. Ceux-ci étaient pratiqués en communauté. Il y a un livre remarquable de Brant Pitre, intitulé : « Jésus et les racines juives de l’Eucharistie », qui montre comment la messe s’est développée à partir du Sabbat. Et il y a également la merveilleuse lettre apostolique de 1998 de Saint Jean-Paul II – Dies Domini (le jour du Seigneur). En gardant saint le jour du Seigneur, jour qui dessine un fil conducteur du Jour de la Création jusqu’au jour de la Rédemption par le Christ, jusqu’au jour de l’Eglise, jusqu’au jour de l’Eternité.
L’idée qu’il y a un jour spécial pour se reposer, adorer, être avec sa famille et en communauté n’est pas une quelconque excentricité arbitraire ; c’est conforme à la nature humaine – c’est quelque chose que les humains, à maintes reprises, révèlent vouloir. Similairement, toute l’idée de la Liturgie de la Parole est issue de la tradition juive.

Nous n’existons pas comme isolés sociaux, mais comme des êtres qui vivent en communauté et qui pratiquent des choses qui n’ont du sens que faites en communauté. L’adoration est l’une d’entre elles.

Dans son histoire du christianisme, l’historien de Yale du 20e siècle Kenneth Scott Latourette fait une remarque similaire sur la communauté. Il demandait comment la foi avait pu se propager en seulement quelques centaines d’années en partant d’une poignée d’adeptes débraillés pour devenir une religion qui allait se répandre aussi loin que l’Asie Centrale, l’Inde et Ceylan, au nord jusque l’Irlande et sur le reste de la carte du monde. Certains prétendent que la réponse est que l’empereur Constantin a adopté la foi, et que tout le monde a suivi. Mais comme Latourette le fait remarquer, cela ne se peut. Le christianisme s’était déjà répandu dans l’Empire Romain sans aide politique et de fait en dépit des siècles de persécution de l’état lui-même. Latourette affirme plutôt que le christianisme procurait ce que les gens cherchaient mieux que ne le faisaient ses rivaux. En particulier, son code moral strict mettait la religion à part et donnait aux gens des principes rigoureux auxquels aspirer ; et son degré extraordinaire de camaraderie l’a fait se démarquer. C’était manifeste non seulement chez les martyrs qui marchaient paisiblement à la mort, certains de leur place dans la communauté chrétienne mais aussi dans les traditions établies très tôt de prendre soin des malades, des faibles, des vieillards, des démunis. Au final : pas de communauté, pas de christianisme.

Père Arne : Nous ne sommes pas censés être des créatures atomisées. Nous voulons partager nos croyances, nos sentiments, nos pensées, nos espoirs. Cela est particulièrement vrai de nos convictions les plus profondes et les plus prisées – nos croyances à propos de ce qui est le plus important. Etre à St. Peter’s Square, pour la messe ou autre, est très différent d’écouter les Beatles à Central Park. Dans les deux cas, on a de toute évidence un lieu de rassemblement pour un grand nombre de personnes, réunies par quelque chose. Mais à St. Peter Square, ce qui unit les gens est un pilier ; et pas n’importe lequel, un qui transcende l’humain. Quand les gens ressentent la transcendance, ils veulent la partager avec les autres ; ils veulent être avec les autres.

J’aime comparer la foi à jouer à chat, [ce jeu des cours de récréation]. Celui « qui y est » touche un autre, et alors l’autre « y est » aussi et part toucher les autres. Vous ne pouvez pas jouer à ce jeu tout seul.

Ludwig Wittgenstein observe qu’il ne peut pas exister une chose telle qu’un langage privé, parce que le langage requiert une communauté – et même présuppose l’existence d’une communauté. L’idée même d’une religion privée semble tout aussi logiquement impossible.

Père Arne : C’est pour cela que la notion populaire « d’avoir une spiritualité », sans plus est finalement non viable. Pourtant, la encore, les jeunes du millénaire y sont conduits – en partie parce que l’atomisation est une caractéristique de leur tranche d’âge.

J’étais en train de lire une réflexion de Peter Lawler dans « Public Discourse » (Discours publics), méditant 30 ans plus tard sur la thèse d’Allan Bloom dans « Closing of the American Mind ». Il est éclairant sur ce point exact, l’atomisation du monde actuel, spécialement parmi la jeunesse, fortement contraire à la nature.

Lawler use de l’expression « isolés sociaux » pour décrire les enfants des élites sécularisées actuelles – la génération suivant celle décrite par Bloom. Il écrit : « ils se pensent comme un tout auto-suffisant : comment un individu pourrait-il être un tout? Seulement en étant sans désir d’amour relationnel et insensible au fait incontournable de sa disparition personnelle ».

Il tape dans le mille, je pense.


Mary Eberstadt est chercheur à l’Institut Foi et Raison. Elle est l’auteur de plusieurs livres.

Illustration : la couverture du livre, avec le portrait du père Arne Panula

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/11/17/lets-begin-at-the-beginning/