Un astre et des planètes
Le Soleil est une banale petite étoile de classe G. Il y a plusieurs dizaines de milliards de telles étoiles dans notre seule galaxie. Question : ces étoiles sont-elles, comme la nôtre, accompagnées d’un cortège de planètes ?
Les astronomes qui ont étudié notre système à nous savent maintenant pourquoi la Terre est ce qu’elle est, à savoir un astre solide en partie recouvert d’eau et entouré d’une atmosphère respirable : il suffit, pour qu’un tel astre apparaisse, que l’on fasse à n’importe quelle petite étoile le cadeau d’une dizaine de planètes. Les lois de la physique et du hasard étant ce qu’elles sont, ces planètes se mettront aussitôt à ressembler à celles de notre Soleil (c ).
Les plus proches et les plus petites seront dépourvues d’atmosphère comme Mercure, la Lune et Mars ; les trop chaudes n’auront pas d’eau liquide, et leur oxygène sera combiné au carbone, comme c’est le cas sur Vénus ; les plus lointaines seront gazeuses, comme Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, ou gelées comme Pluton. Et ce sera bien le diable s’il ne s’en trouve justement aucune dans la zone intermédiaire où comme sur notre Terre, il fait assez frais pour que l’eau se condense en océans, mais assez chaud pour que l’hydrogène ne soit pas trop abondant. Bref, il y a de fortes chances pour que des Terres aussi hospitalières à la vie que la nôtre existent dans l’environnement des dizaines de milliards d’étoiles semblables à notre Soleil. Pourvu que ces étoiles aient des planètes.
En ont-elles ? Il y a seulement trente ans, on n’imaginait guère de pouvoir répondre à cette question : tel est l’abîme qui nous sépare des étoiles les plus proches que repérer d’ici leurs planètes équivaut à peu près à mesurer l’épaisseur d’un cheveu à dix mille kilomètres de distance.
Et pourtant, ce tour de force a été réalisé par les spécialistes de l’astrométrie. Ces astronomes (dont le plus connu est l’Américain Van de Kamp, de l’observatoire Sproul) ont pu, à force de patience dans leurs mesures, montrer que toutes les étoiles les plus proches de nous, sauf peut-être une, oscillent sur le fond du ciel autour de leur position moyenne et sont donc accompagnées de corps invisibles tournant autour d’elles.
On aura une idée du labeur dont il a fallu payer cette démonstration quand on saura que pour la seule étoile de Barnard, il fut pris 2 413 clichés au cours de 8 260 expositions et de 609 nuits d’observation entre 1916 et 1950 et que dix observateurs se succédèrent à ce travail : comme le remarque à ce propos l’astronome Français Couteau, « dans l’astronomie de position, l’observateur attend rarement de son vivant la récompense de son assiduité » (d).
Un très grand nombre de Terres
Quel labeur, donc, mais aussi, quelle démonstration ! Citons encore Couteau : désormais, « il ne fait plus aucun doute que des répliques de la Terre existent en très grand nombre, favorables au développement de la vie ».
Comment faut-il entendre au juste ce « très grand nombre » ? Faudra-t-il, pour le savoir, recommencer avec toutes les innombrables étoiles du ciel le travail inhumain des astronomes de Sproul sur l’étoile de Barnard ? C’est impossible : les méthodes astrométriques ne sont utilisables que pour les étoiles les plus proches. Mais on a trouvé autre chose. On a trouvé une relation entre la vitesse de rotation des étoiles sur elles-mêmes et la présence autour d’elles d’un système planétaire : quand une étoile tourne lentement sur elle-même (comme par exemple le Soleil en 25 jours), c’est qu’elle a délégué une partie de son énergie cinétique à un système planétaire. Or, pour connaître la vitesse de rotation d’une étoile, il suffit de prendre deux photographies de son spectre. Il est donc facile d’avoir une idée de la proportion des étoiles à rotation lente : cette proportion s’établit à 98% des petites étoiles, lesquelles, on l’a vu, sont des dizaines de milliards dans notre seule Voie lactée (e ).
Encore une fois, il n’est pas urgent de penser à ces dizaines de milliards ou peut-être à cette infinité de Terres qui peuplent l’espace. Mais laissons la pensée aux penseurs. On peut y rêver, à temps perdu.
Aimé MICHEL
Notes de Jean-Pierre Rospars
* Chronique n° 8 parue dans France Catholique – N° 1249 – 20 novembre 1970.
(a) Le nombre de galaxies de l’univers visible (une sphère d’environ une dizaine de milliards d’années-lumière de rayon) serait du même ordre de grandeur que celui du nombre d’étoiles dans notre galaxie, soit une centaine de milliards.
(b) Cette brève remarque et le paragraphe qui suit expriment une idée qui est au cœur de la pensée d’Aimé Michel et qui donc revient souvent sous sa plume en des formes variées. Cette idée est que nous sommes rétifs à voir le monde tel qu’il est, que nous préférons le banaliser et le rapetisser autant que nous pouvons, et que cette attitude est encouragée sous le nom de bon sens et de sagesse. Cette « mesquinerie de l’intelligence et du cœur » s’explique selon lui par les origines de l’homme, être fragile et craintif, et joue un rôle protecteur de l’espèce. Pour une version plus étendue et moins édulcorée, voir « La loi de l’homme qui a vu l’homme » in L’apocalypse molle, pp. 220-225.
(c ) Cet étagement des planètes au moment de leur formation n’est pas remis en cause aujourd’hui. Cependant les observations faites ces quinze dernières années ont montré que les planètes une fois formées pouvaient se rapprocher de leur étoile, voir note (e).
(d) L’assiduité de Peter Van de Kamp (décédé en 1995) fut bien mal récompensée : ses observations n’ont pas été confirmées. Aujourd’hui on pense que les oscillations de l’étoile de Barnard qu’il trouva sur ses plaques photographiques étaient dues à un défaut de stabilité de son télescope (plusieurs des étoiles de chaque plaque oscillent également). Voir D. Proust et J. Schneider : Où sont les autres ? Seuil, 2007, pp. 216 et sq.
(e ) A l’époque où Aimé Michel écrit cette chronique l’argument de la vitesse de rotation des étoiles est populaire. Il est présenté et discuté par I. Chklovski au chapitre 10 « Rotation des étoiles et cosmogonie planétaire » de son livre Univers, Vie, Raison (publié en russe en 1963 puis en français peu de temps après) puis repris au chapitre 13 de la mise à jour de cet ouvrage faite en collaboration avec Carl Sagan (voir I.S. Shklovskii et C. Sagan : Intelligent Life in the Universe, 1966). Il est également présenté par T. Gold dans C. Sagan (ed.): Communication with Extraterrestrial Intelligence, MIT Press, 1973, pp. 12 et sq. Curieusement cet argument semble complètement oublié aujourd’hui.
J’ai posé la question de sa validité à quelques astronomes intéressés par ces questions mais aucun ne put me renseigner. L’une des raisons de cet oubli est que la perte du moment cinétique de l’étoile pourrait être due à d’autres causes que son transfert aux planètes. L’autre raison est qu’on peut maintenant détecter sans ambiguïté la présence de planètes grâce, notamment, aux perturbations gravitationnelles que celles-ci exercent sur leur étoile. La première exoplanète ainsi découverte le fut en 1995 autour de l’étoile 51 dans la constellation de Pégase par les astronomes suisses Michel Mayor et Didier Queloz à l’aide du télescope de l’observatoire de Haute-Provence. La découverte, confirmée peu après par d’autres observatoires, eut un grand retentissement : elle marque une date importante dans la longue histoire de l’astronomie et met fin à des décennies de discussions et de spéculations. Cette planète de masse moitié de celle de Jupiter tourne à 7,5 millions de km de l’étoile, soit moins que la distance de Mercure au Soleil. C’est fort inattendue car on imagine mal une telle planète se former si près de son étoile. Ainsi apparaît l’idée nouvelle d’une migration de la planète au cours du temps à partir d’une orbite beaucoup plus éloignée…
Aujourd’hui on a découvert près de 300 exoplanètes (voir le site http://exoplanet.eu). La sensibilité des méthodes mises en œuvre n’a pas encore permis de découvrir des planètes semblables à la Terre. Cependant les statistiques disponibles sont très encourageantes et suggèrent que de telles planètes doivent être très abondantes dans l’univers. Aimé Michel aurait accueilli ces nouveaux développements avec grand intérêt mais sans surprise. Si les arguments scientifiques qu’il utilisait en 1970 sont aujourd’hui caducs, son argumentation philosophique sous-jacente, fondée sur ce qu’il appelait, à la suite de Sebastian von Hoerner, « le principe de banalité », demeure. Ce principe postule que l’homme est « le roi très banal d’une planète banale tournant autour d’un soleil banal, dans un coin banal de notre galaxie, laquelle n’est qu’une très banale galaxie » (« Le principe de banalité », in F. Lagarde (dir.) : Mystérieuses soucoupes volantes, Editions Albatros, Paris, 1973, p. 204). Aimé Michel avertit que ce principe n’est pas démontré universellement, mais que chaque fois qu’on peut le tester, il est régulièrement confirmé. Le sera-t-il cette fois encore ? Tel est l’un des enjeux de la course aux exoplanètes actuellement engagée.
Rappel – Deux livres à commander et à faire connaître :
Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).
Aimé Michel, « L’apocalypse molle ». Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du « Veilleur d’Ar Men » par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Éditions Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).
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