Clash diplomatique entre Paris et Ankara - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Clash diplomatique entre Paris et Ankara

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Le clash diplomatique entre Paris et Ankara, à propos de la loi votée sur le génocide arménien, nous enseigne quant à la portée de la mémoire historique dans les relations internationales. Les lois dites mémorielles qui entendent stigmatiser les crimes contre l’humanité n’ont pas seulement une portée morale. Elles ont incontestablement une dimension politique, dès lors que la nation qui s’est rendue coupable à la face du monde se trouve, en quelque sorte, délégitimée, déclassée en ce qui concerne un patrimoine symbolique qui pèse lourd. Le sociologue Pierre Bourdieu, dont on célèbre cette année le dixième anniversaire de la mort, a beaucoup insisté sur la notion de capital symbolique, mais c’était surtout dans le domaine des relations sociales. Ici nous avons affaire à un autre domaine spécifique qui pose des problèmes particuliers.

La Turquie se considère comme agressée par la reconnaissance de cette faute sur son passé. Mais n’y a-t-il pas, pour sauvegarder précisément son capital symbolique, une autre stratégie possible que celle du déni ? L’Allemagne nous a donné depuis la seconde guerre mondiale un tout autre exemple, en reconnaissant les crimes de la période nazie, éventuellement en venant en aide aux victimes et à leurs descendants. Ainsi a-t-elle reconquis une légitimité morale qui n’est plus contestée aujourd’hui par personne, et sûrement pas par Israël. Mais il n’est pas toujours aisé de faire la vérité sur le passé parce qu’il arrive que les choses sont plus compliqués, que les responsabilités sont plus partagées. C’est pourquoi certains pays ont choisi des procédures qui permettent aux anciens adversaires de se réconcilier à partir d’une quête commune de véracité historique.

En France même, nous ne sommes pas épargnés par cette relation difficile et tragique au passé. Nous le voyons avec le cinquantième anniversaire des accords d’Évian et de l’indépendance algérienne. Chez nous aussi, il y a conflit des mémoires, et écrire une histoire commune relève presque de l’exploit impossible. Pourtant, nous ne sortirons de nos querelles qu’en laissant leur liberté aux historiens pour mettre à jour ce qui grève notre inconscient national en fait de malheurs accumulés et de haines refoulées. Il faut parier pour la libération des mémoires et l’accord pour une vérité plus haute. Nous n’avons pas toujours besoin dans ce but des lois dites mémorielles.

Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 26 janvier 2012.