J’avais lu le chiffre, mais je le retrouve, obsédant ! Cinquante et un millions ! Oui, il y a en ce moment cinquante et un millions de personnes qui errent sur les routes, chassées de leurs pays, d’abord par la guerre. Les principaux pays concernés : d’abord la Syrie, qui compte neuf millions de déracinés, dont 2,5 qui ont quitté le territoire national. Mais il ne faudrait pas oublier l’Afghanistan avec 2,6 millions de réfugiés. Je dois ces données à Sylvie Kauffmann dans une chronique du Monde, qui voudrait rappeler l’Union européenne à ses responsabilités. Parce qu’elle est, dit-elle, « havre de l’État de droit ». Oui, bien sûr ! Mais économiquement, ce havre ne se porte pas si bien, puisqu’on qualifie aujourd’hui l’Europe de lanterne rouge pour le taux de croissance mondial. Et on sait que les gouvernements, à l’écoute de leurs opinions publiques, sont des plus réticents à la perspective de toute extension de l’immigration étrangère.
Il y a là une sorte de crève-cœur. Michel Rocard, dans une formule ultra célèbre, avait déclaré que la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde. Mais cette misère, avant d’être matérielle, trouve son origine dans la déstabilisation politique dont les causes sont repérables. On mesure aujourd’hui la grande illusion – Malraux parlait en son temps d’illusion lyrique – qui a entouré ce qu’on a appelé la naissance du Printemps arabe. Partout, la somme des malheurs s’est accrue, là où on croyait voir naître une révolution rédemptrice. Un exemple : la Libye, qui est devenue l’autoroute absolument incontrôlable du déferlement d’immenses cohortes africaines.
Je n’ai aucune envie de donner des leçons de morale à quiconque. Les problèmes sont trop démesurés. Mais on récolte tout de même les fruits amers d’initiatives qui se sont révélées désastreuses. Et puisque l’Europe est directement touchée par ces déplacements de population, il faudrait peut-être qu’elle parvienne à définir une politique concertée, à la fois devant l’afflux des réfugiés, mais aussi pour penser la question à l’échelon mondial, avec les interlocuteurs les mieux disposés.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 24 juin 2014.