Nous vivons dans une culture matérialiste suprêmement défavorable à une civilisation évoluée.
Cela devrait être évident mais cela n’est pas compris parce que les questions fondamentales sur la vie humaine ne sont pas soulevées dans l’espace public, ni même souvent dans l’espace privé. Les chrétiens catholiques et quelques autres ont l’avantage de la messe et de la prière, grâce auxquelles ils sont extraits par moments de la vie ordinaire terre-à-terre – gagner son pain et faire des pauses dans l’espoir de rester en forme et en bonne santé.
Ceux ayant vocation sacerdotale ou religieuse ont au moins l’opportunité de régler leur vie de telle manière que leur travail (au sens moderne de profession) prenne sa juste place. Oui, nous avons encore des gens de cette sorte, et ils prient pour nous, et s’ils ne le faisaient pas, je pense que les choses iraient bien plus mal qu’elles ne vont.
Mais le nombre de vocations, proportionnellement à la population en général, a été en déclin constant ces dernières décennies, il a commencé à chuter vers l’époque de Vatican II.
Selon moi, il ne faut pas en rejeter la faute sur le Concile, en tout cas par entièrement sur le Concile ou sur une action spécifique en découlant. Ces choses doivent être comprises davantage comme des symptômes que comme le mal lui-même – un mal qui ronge l’Eglise et la chrétienté depuis au moins le grand schisme de la Réforme, et qui a des racines bien plus anciennes.
Nous – ceux de ma génération et ceux d’avant – avons vécu un autre « point critique » sur la pente glissante, à partir duquel elle est devenue plus escarpée ; la tâche herculéenne de remonter la montagne est devenue, par une combinaison de facteurs, plus épouvantable, plus décourageante qu’elle ne l’avait été par le passé ; de plus en plus de rochers se fractionnaient, et nous étions entraînés en bas de la pente comme du gravier.
La culture matérialiste peut elle-même être présentée comme un symptôme. Le monde naturel demeure et reprend le dessus partout où on le laisse en paix, mais le monde humain que je vois autour de moi n’est pas bien joli. Il est le produit de l’offre et de la demande, comme il est de règle dans tout système économique, mais du côté de la demande, nos exigences deviennent de plus en plus vulgaires.
C’est un paradoxe douloureux qu’à mesure que le matérialisme s’étend dans nos âmes, les produits de notre labeur deviennent d’une qualité de plus en plus médiocre.
L’homme ne peut pas vivre uniquement de pain, pourtant, quand il s’y essaie, la qualité du pain ne s’améliore pas. Le pain peut devenir moins cher proportionnellement au revenu, ou plus cher si on veut certaines caractéristiques. Mais pour l’essentiel, il devient un produit changeant de la mode, comme tout ce qu’on trouve sur le marché à l’heure actuelle.
Il y a une cause spirituelle à cela, comme finalement à tout ce qui constitue notre environnement. L’homme, privé des consolations et de la discipline d’une vraie religion, devient le jouet de la mode. Les modes elles-mêmes sont des contrefaçons de religion. Elles représentent un désir pour quelque chose que nulle mode ne peut satisfaire, le désir d’une sorte de pseudo-rédemption.
Il m’arrive souvent de pester contre le « progrès » et les « progressistes », et je ne vais pas cesser de le faire. En limitant toutes nos ambitions au monde terrestre, nous rendons le monde vide de sens. Rien de ce que nous possédons maintenant ne fera l’affaire dans quelques années, parfois même seulement dans quelques mois. Cela ne concerne pas seulement la conception de nos voitures ou de tous les produits de consommation de notre économie, mais également tous nos omniprésents supports de divertissement et notre ordre politique (maintenant complètement sécularisé).
Ce que nous voulions hier ne nous convient plus, et en suivant les développements en politique au fil des ans, je suis devenu pleinement conscient de cet éphémère spirituel.
En fait, j’ai été pour la première fois conscient du phénomène lorsque jeune adolescent, à l’été 68, j’ai vu des autorités telles que des enseignants et des administrateurs d’université flancher devant les exigences d’étudiants écervelés. Il m’est venu pour la première fois à l’esprit que les exigences étaient insatiables.
Un « monde sens-dessus-dessous » selon les mots de la vieille balade, chantée en résistance opiniâtre aux « réformes » imposées par les partisans de Cromwell, qui avaient mis la société anglaise sens-dessus-dessous au milieu du dix-septième siècle. Et cette balade était comme une protestation au siècle précédent, quand la réforme calviniste, dans l’Ecosse faisant alors partie de l’Angleterre, avait balayé toutes les choses anciennes, laissant les gens sans racines.
Il y a eu des restaurations, de nombreuses tentatives au long des siècles et jusqu’à ce jour pour remettre les choses à l’endroit. Pourtant, au cours de ces cinq siècles, nous n’avons pas connu la paix.
Car une fois que l’idée que les choses immuables peuvent changer s’est fait jour, il n’y a plus de paix possible. Il faut des siècles pour défaire l’ouvrage néfaste d’autres siècles, et en l’absence de reconnaissance officielle de Dieu et de l’ordre du cosmos, la tâche est quasi impossible.
Cela, pour mon cerveau – le seul que j’ai pour suivre les événements de ce monde, jusqu’à ce que je sois ouvert à des réalités plus hautes – est à la racine empoisonnée de ce que nous appelons avec mauvais goût notre « consumérisme ». En tant que civilisation, nous avons décidé, à la fois subtilement et ouvertement, qu’une vérité en évolution nous conviendrait ; il en est résulté ce monde de modes éphémères et vides.
Et maintenant, le monde dont nous provenons est hors de vue, inaccessible à nos mémoires, réfractaire à une récupération. Même parmi les gens religieux, de nos jours, la chose est devenue presque inenvisageable. Après la messe, on traverse le narthex et de retour dans la rue bruyante, toutes les pensées qu’on aurait pu avoir sont balayées. A la place ; le bruit et la laideur dans toutes les directions, la réalité de mauvais aloi de valeurs inversées, d’un monde sans pitié.
Mis à part lors de moments héroïquement soutenus. Les véritables œuvres de charité restent possibles, tous comme les véritables œuvres de la prière. Demandons la grâce pour les faire croître, même confrontés à un monde sens-dessus-dessous, et laissons ces efforts nous rassembler dans la plénitude du Christ.
Visons un objectif et retrouvons le calme grâce auquel la Vérité immuable peut être humblement envisagée.
David Warren est un ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur dans des journaux canadiens. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.
Illustration : « Le monde sens-dessus-dessous » par Jan Stein, 1663 [musée d’art historique de Vienne]
source : https://www.thecatholicthing.org/2017/10/27/five-hundred-years/
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- 7 - La vocation sacerdotale
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ