En Amérique dans la période qui a suivi la deuxième Guerre mondiale, l’influence institutionnelle, théologique et intellectuelle de la chrétienté en général et du catholicisme en particulier, a atteint des sommets inouïs.
L’affiliation à l’Eglise, qui était de 47 pour cent en 1930, a grimpé jusqu’à 69 % en 1960. Presque la moitié de tous les Américains pensaient que le clergé formait le groupe qui « faisait le plus de bien.» Les dépenses pour les organisations religieuses – églises, écoles, hôpitaux, etc. – s’élevaient à 26 millions de dollars en 1945, à $ 409 millions en 1950 et à $ 1 milliard en 1960.
Les livres chrétiens venaient en tête des meilleures ventes (i.e. Communism and the Conscience of the West [Le communisme et la conscience de l’occident] de Fulton Sheen, The Greatest Story Ever Told [La plus belle histoire jamais contée] de Fulton Oursler ; The Cardinal d’Henry Morton Robinson. The Power of Positive Thinking [Le pouvoir de la pensée positive] de Norman Vincent Peale ; The Silver Chalice [The calice d’argent] de Thomas Costain. Hollywood produisait des films religieux à grand spectacle – Ben Hur, The Robe [La Tunique], the Ten Commandments [Les dix commandements], The Nun’s Story [L’histoire d’une religieuse] – qui remplissaient à craquer les cinémas de quartier.
Les prédicateurs – l’évêque Fulton J. Sheen, Billy Graham et Reinhold Niebuhr – avaient un nombre impressionnant de disciples. Trente millions de foyers regardaient toutes les semaines le programme de télévision de Sheen « Life is Worth Living » [La vie vaut la peine d’être vécue]. Les croisades de Graham attiraient des foules énormes. A New York, 100.000 personnes, battant tous les records, envahissaient le Yankee Stadium [le stade Yankee] pour entendre Graham Niebuhr, théologien protestant, qui osait rejeter publiquement l’opinion « moderniste » disant que la morale et les réformes sociales étaient le fondement de la Chrétienté et non l’eschatologie biblique. En fait, Niebuhr a convaincu des dirigeants de gauche comme l’historien Arthur Schlesinger, Jr, que l’homme est entaché par le péché originel et qu’aucun gouvernement ne peut éliminer avec une législation utopique les penchants au péché de l’homme.
Dans son dernier livre, Bad Religion : How We Became a Nation of Heretics [Mauvaise religion : comment nous sommes devenus une nation d’hérétiques], Ross Douthat, chroniqueur conservateur, décrit la montée et le déclin de cet âge d’or de la chrétienté traditionnelle et comment « bad religions » [les mauvaises religions] – pseudo-chrétientés – ont avili la foi et glorifié la cupidité et l’égoïsme.
La raison évidente du « Great Awakening » [Grand Réveil] de l’après-guerre est celle-ci : dix millions d’anciens combattants qui avaient été témoins des horreurs d’une guerre responsable de la mort de 50 millions de gens, à leur retour, se sont tournés vers la chrétienté, « une foi autrefois accordée aux saints,» pour les réconforter et leur expliquer pourquoi tant de gens avaient suivi aveuglément des régimes pervers et avaient obéi aux ordres de commettre des atrocités.
Le retour intéressant d’un fils prodigue, parmi plusieurs décrits par Douthat, est celui du poète britannique W.H.Auden. Après l’invasion de la Pologne par les Nazis en 1939, Auden a commencé à aller aux offices épiscopaliens de la seconde plus ancienne église de New York, St Mark in the Bowery et à lire les œuvres des apologistes chrétiens C.S. Lewis et Charles Williams.
Auden, qui avait été un témoin de première main de la persécution de l’Eglise catholique espagnole dans les années 1930, a conclu que les idéologies totalitaires radicales rendaient « impossible de continuer à croire que les valeurs de l’humanisme libéral sautaient aux yeux. » Il doit y avoir d’autres arguments pour expliquer l’univers que les platitudes matérialistes, disait Auden. Seulement en faisant appel à un Dieu vivant pouvait-on défendre les concepts libéraux d’égalité et des droits de l’homme.
En 1960, le nombre d’Américains convertis à la religion catholique a battu tous les records. Vers la fin du deuxième concile du Vatican en 1966, il y en avait 60.000, ce qui est un record. Le dimanche, les églises n’avaient que des places debout, on faisait la queue au confessionnal, les écoles paroissiales avaient des listes d’attente.
Puis, vers 1968, il s’est passé quelque chose et la « vie institutionnelle de l’Eglise a commencé à souffrir d’une longue hémorragie. » La présence à l’église, qui était à 75 pour cent en 1968 est tombée à 50 pour cent en 1978. La participation aux neuvaines, aux Chemins de Croix et aux sociétés du Saint Nom et autres disparut.
Les inscriptions au séminaire avaient décliné des deux-tiers en 1980. Pendant les années 1970, deux pour cent des prêtres par an abandonnèrent leurs vœux. En 1950, il y avait un prêtre pour 600 catholiques ; en 1980 un pour 1000 – et l’ensemble des prêtres avançait en âge. Vatican II était un facteur, mais le déclin se faisait sentir dans toutes les églises chrétiennes.
De nombreux observateurs pensaient que la crise de la chrétienté traditionnelle – aussi bien catholique que protestante – était due à ce que l’Amérique « devenait un pays de plus en plus séculier dans lequel l’athéisme et l’indifférence prédominaient, et que les croyances spirituelles de toutes sortes disparaîtraient graduellement. »
Douthat, cependant, n’est pas d’accord et avance que le début des années éprouvantes de la chrétienté était plus complexe. D’après lui, il y a eu cinq catalyseurs importants :
La polarisation politique – guerre du Vietnam, mouvement des droits civils ;
La révolution des mœurs – contrôle des naissances, promiscuité, avortement.
Les perspectives globales – les gens qui cherchaient une spiritualité sans règles se tournaient vers le bouddhisme et la méditation transcendantale ;
La richesse toujours croissante – le nouvel âge doré de l’Amérique confirma l’observation de John Wesley : « Partout où les richesses ont augmenté, l’essence de la religion a diminué dans les mêmes proportions ; »
Le déclin des liens de « l’établissement » avec les religions chrétiennes – institutions élitistes, journaux, réseaux informatiques, universités, écoles de droit, et fondations importantes rejetaient la chrétienté en tant que déclassée.
Douthat fait remarquer que les groupes religieux qui ont combattu ces tendances, particulièrement l’Eglise catholique, ont été accusés d’être vieux jeu, autoritaires, étroits d’esprit, et responsables d’avoir transformé beaucoup de leurs membres en bigots névrosés et refoulés.
D’autre part, les sectes chrétiennes accommodantes (i.e. les principales Églises) n’ont fait que hâter le déclin moral. Pour leurs adhérents, la religion « est devenue un permis d’égotisme et d’égoïsme, » le résultat donne une société « où l’orgueil devient ‘saine confiance en soi’, la vanité devient ‘ le perfectionnement de soi-même’, l’adultère devient ‘suivre son cœur’, la cupidité et la gloutonnerie deviennent ‘ vivre le rêve américain.’ »
Le déclin de la chrétienté traditionnelle, conclut Douthat, n’a pas conduit à l’augmentation brusque de l’athéisme ; il a plutôt conduit à la diffusion des hérésies chrétiennes qui soutiennent que le Royaume de Dieu se construit dans cette vie et non dans l’autre.
En dépit de ces hérésies et des sombres statistiques, Douthat insiste à bon droit que tout n’est pas perdu. Pendant les 2000 dernières années, les chrétiens ont fait face à d’incroyables défis – les persécutions romaines, les invasions islamiques, les révolutions européennes, le marxisme, le darwinisme, le freudisme, – et ont survécu.
Aux Etats-Unis, la bonne nouvelle est que les chrétiens évangéliques et les catholiques romains ont formé une alliance pour combattre « une sécularisation très répandue qui descend de plus en plus vers un nihilisme moral, intellectuel et spirituel. »
Et Douthat nous rappelle qu’une crise culturelle conduit souvent à des réévaluations et à des renouvellements : « Comme W.H. Auden se promenant au milieu des églises fermées dans l’Espagne des années 1930, les Américains vont peut-être regarder les épaves qui les entourent et se tourner encore une fois vers une forme plus rigoureuse et plus humble de foi chrétienne. »
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/traditional-christianity-versus-christian-heresies.html
George J. Marlin est éditeur de The Quotable Fulton Sheen [Les citations de Fulton Sheen] et l’auteur de The American Catholic Voter [L’électeur catholique américain]. Son dernier livre est Narcissist Nation : Reflections of a Blue-State Conservative [Nation narcissique : réflections d’un conservateur blue-state].
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Photo : Ross Douthat.