Chrétiens et minorités au Moyen-Orient, entre espoir, courage et prudence - France Catholique
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Chrétiens et minorités au Moyen-Orient, entre espoir, courage et prudence

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Rapport de groupe interparlementaire d’amitié n° 147 de MM. Bruno RETAILLEAU, Michel BOUTANT, Dominique de LEGGE et Jacques LE NAY – 28 mars 2018

Chrétiens et minorités au Moyen-Orient, entre espoir, courage et prudence

Compte rendu du déplacement effectué en Irak et au Liban du 5 au 10 janvier 2018

AVANT-PROPOS

« Ce qu’il faut bien comprendre c’est que les chrétiens partent parce que, pour la première fois après 14 et 15 siècles de résistance, ils considèrent qu’ils n’ont plus les moyens de résister.

Les chrétiens ne peuvent plus faire qu’une chose, c’est partir, partir pour un Occident qu’ils rêvent très souvent chrétien et qu’ils vont découvrir totalement sécularisé et dans lequel ils pourront survivre matériellement mais pas spirituellement puisqu’ils n’auront plus l’environnement nécessaire à la transmission de leur identité.

Donc, nous sommes vraiment devant une catastrophe de civilisation. Nous sommes véritablement devant un événement qui semble préfigurer tous ceux qui vont désormais arriver, à savoir que les identités ne pourront être que meurtrières ou que folkloriques, et que ce dont les chrétiens d’Orient étaient le signe dans l’histoire, à savoir leur capacité de médiation puisqu’ils ont accompagné la naissance du christianisme, ils ont accompagné la naissance de l’islam, ils ont toujours été un entre deux. Eh bien, notre monde ne veut plus d’entre deux, ne veut plus de médiation. C’est ça que nous signalent les chrétiens d’Orient, c’est pour ça que leur drame n’est pas un drame particulier, c’est un drame universel et qui nous donne une image tragique du monde de demain et, à partir de ce moment-là, notre indifférence est encore plus coupable ».

Jean-François Colosimo dans le documentaire diffusé par la chaîne Arte le 9 janvier dernier, intitulé « la fin des chrétiens d’Orient ».

INTRODUCTION

…/..Les principaux enseignements de cette mission sont les suivants :

· L’élimination de Daech dans sa dimension quasi-étatique et territoriale, si elle constitue un point indéniablement positif, ne signifie pas l’éradication de la menace. D’ores et déjà le mode opératoire de Daech s’est modifié et se traduit par une recrudescence des attentats sur le sol irakien. L’Europe et les alliés de l’Irak dans cette lutte sont, plus que jamais, des cibles potentielles. Si la présence militaire organisée de Daech a disparu, ses combattants n’ont pas tous été neutralisés ou arrêtés. Des cellules dormantes existent et de nombreux combattants ou activistes se sont« rasés la barbe » et fondus dans la population dont il faut rappeler qu’une partie a soutenu l’organisation.

·…/· La question du statut des différentes composantes de la nation sera l’une des clés du futur de l’Irak et du maintien de sa diversité ethnique et culturelle. Le passage d’un statut d’inégalité, où certaines communautés sont tolérées, à celui d’une citoyenneté pleine et entière, est un enjeu essentiel pour la reconstruction de l’Irak.

· …/· La présence de la France dans la plaine de Ninive, représentées par un certain nombre d’ONG dont les actions sont en partie financées par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, pourrait revêtir un caractère plus officiel, soit au niveau de l’ambassade, soit au niveau du Consulat général d’Erbil.

· Enfin, il est vital que la solidarité, qui a prévalu dans les temps d’épreuves, perdure et que soit évité le retour aux divisions ancestrales, dans l’intérêt général des communautés.

PREMIÈRE PARTIE – CHRÉTIENS ET MINORITÉS EN IRAK ET AU LIBAN

I. POLITIQUE DE LA FRANCE ENVERS LES CHRÉTIENS ET LES MINORITÉS

A. UN RÔLE HISTORIQUE : LA FRANCE PROTECTRICE DES LIEUX SAINTS ET DES CHRÉTIENS AU MOYEN-ORIENT

On fait remonter le choix politique de la France, qui n’était pas encore la « Fille ainée de l’Église », au traité signé par François 1er le 4 février 1536, avec le sultan Soliman le Magnifique. Il offre aux navires battant pavillon français le privilège de commercer avec toutes les côtes de l’Empire turc, entraînant la montée en puissance du port et de la ville de Marseille. Il confie aussi au roi de France la protection des Lieux Saints et des chrétiens de l’empire.

Là est la base historique de l’influence française au Proche-Orient, du lien particulier de notre pays avec le Liban, du rôle français en Terre sainte et de la force de la francophonie dans les élites du Proche et Moyen-Orient, portée par l’oeuvre considérable accomplie en près de cinq siècles par les congrégations religieuses françaises, notamment en matière d’éducation.

Ce traité marque-t-il un tournant important dans la conception de la politique étrangère française ? Puisqu’il est conçu comme une alliance de revers contre Charles Quint, empereur des romains, roi des Espagne, roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem, duc de Bourgogne. La solidarité des royaumes chrétiens s’effaçant désormais devant les intérêts nationaux. Le rôle que le traité donne à la France et à son roi de protéger les Lieux Saints et les chrétiens de l’empire de Soliman souligne l’incapacité de son grand adversaire européen, « roi de Jérusalem », de remplir ce devoir.

Désormais, dans le jeu des alliances, l’empire que dirige Soliman est un État comme un autre, avec lequel on s’allie, on fait la guerre et on commerce en fonction des intérêts de chacun.

La maxime, attribuée à Lord Palmerson, reprise par le Général de Gaulle, est devenue un adage diplomatique : « les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».

Le traité des Capitulations restera en vigueur trois siècles et demi, jusqu’à la Première Guerre mondiale et la disparition de l’Empire ottoman. Il reste le fondement de l’intérêt de la France pour les chrétiens d’Orient.

B. UNE CONSTANTE DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE FRANÇAISE

Cette position constante de la France et les nombreuses interventions politiques et militaires qu’elle a conduites pour la mettre en oeuvre, ont abouti à l’organisation, sous sa présidence, le 27 mars 2015, d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU consacrée au sort des chrétiens d’Orient. Cela constituait une première pour cet organe central des Nations Unies.

Dans une interview au journal « La Croix », le ministre des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, justifiait cette initiative par le fait que« Cette tradition est constitutive de l’histoire de France, au-delà des clivages politiques. Elle est constitutive de notre identité même, mais aussi de celles du Moyen-Orient. J’entends que nous soyons fidèles à cette tradition. En prenant l’initiative de réunir le Conseil de sécurité et d’appeler la communauté internationale à agir, la France défend une cause juste. »

M. Jean-Marc Ayrault, devenu ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, déclarait le 18 janvier 2017 :« Le soutien à la diversité religieuse au Moyen-Orient, et notamment celui aux chrétiens d’Orient, est une constante de la diplomatie française. Cet appui, nous en faisons une priorité ».

Très récemment, le Président de la République, M. Emmanuel Macron, s’est inscrit dans la même logique historique dans un discours prononcé, le 25 septembre 2017, à l’Institut du Monde Arable (IMA), à l’occasion de l’inauguration de l’exposition sur les chrétiens d’Orient. Il y rappelait notamment que« la France entretient une longue histoire avec les chrétiens d’Orient, une très longue histoire… La France, comme elle l’a fait à travers le temps, continuera à protéger les chrétiens en Orient ».

Il ajoutait que « défendre les chrétiens d’Orient, c’est être à la hauteur de l’exigence historique qui est la nôtre… C’est ne laisser aucun projet politique, quel qu’il soit, effacer la trace des siècles, les oeuvres, la trace d’une foi, quand ce n’est pas la leur, la présence de celles et ceux qui défendent leur Dieu, quel qu’en soit le lieu, quelle qu’en soit l’empreinte… C’est la mission de la France, au plus profond de son Histoire… Partout où des minorités défendent leur foi et ce que cette foi représente, la France est à leurs côtés. »

« Je veux dire aux chrétiens d’Orient que la France est à leurs côtés, que notre priorité sera bien non seulement la défense de leur Histoire, de cette trace que l’exposition d’aujourd’hui permet aujourd’hui, non pas de redorer, diraient certains, mais de défendre ».

De l’initiative de la France au Conseil de sécurité, résultera la conférence qui s’est tenue à Paris, le 8 septembre 2015, consacrée aux victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient.

C. LA CONFÉRENCE DU 8 SEPTEMBRE 2015, FONDEMENT DE L’ACTION INTERNATIONALE DE LA FRANCE

La stratégie délibérée de Daech visant à faire disparaître des communautés entières du fait de leur appartenance ethnique ou religieuse, ainsi que sa volonté de supprimer systématiquement toute forme de diversité culturelle au Moyen-Orient, ne pouvaient pas rester sans réponse.

Il convient toutefois de rappeler que la menace de l’islamisme radical et les persécutions qui l’accompagnent, ne datent pas de 2014. Il y a eu une indéniable occultation de la réalité par l’Occident jusqu’à la conquête territoriale de Daech. Cette indifférence a du reste été dénoncée de longue date par les autorités religieuses orientales.

Sans remonter aux causes de la radicalisation et de la montée en puissance de ces mouvements terroristes et mafieux3(*), la filiation est directe entre Al-Qaïda en Irak (AQI), Al-Qaïda en Irak et au Levant (AQIL) et l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daech) qui ne prend cette appellation qu’en 2014 avec l’instauration du califat, un quasi-État reposant sur une base territoriale conquise au détriment de l’État irakien et de l’État syrien. L’implantation territoriale de Daech s’accompagne d’une politique de nettoyage ethnique, religieux4(*) et culturel et d’un véritable génocide de la communauté yézidie. Ce sont ces crimes qui conduisent, tardivement, à la réaction de la communauté internationale.

Le 8 septembre 2015, sous l’égide de la France, une conférence internationale consacrée aux victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient s’est tenue à Paris.

Le titre même de cette conférence,co-présidée par la Jordanie, montrait bien que l’intérêt de la communauté internationale se portait sur l’ensemble des victimes de ces persécutions quelle que soit leur appartenance religieuse. On remarquera également que le terme« minorités » ne figure pas dans le titre de cette conférence.

Faut-il parler de« minorités » ?

Le fait de parler de « minorités »est une facilité que chacun comprend et qui revêt une certaine logique puisqu’il existe effectivement des groupes dont l’importance numérique relative constitue une entité minoritaire. En Irak, c’est le cas des chrétiens, des Yézidis, des Shabaks, des Kakaïs, des Turkmènes …..

L’un des premiers interlocuteurs de la délégation, M. Adel Abdel Mahdi, membre du Conseil suprême islamique, ancien vice-président de la République, ancien ministre, indiquait qu’il récusait le terme comme la notion et préférait à celui-ci le terme« d’identités ».

Monseigneur Brizard, l’ancien directeur de l’oeuvre d’Orient, recommandait d’utiliser ce concept avec précaution. Il faisait remarquer que la notion de minorité et la reconnaissance des droits de celle-ci tant par le droit international que par le droit interne du pays où ils se trouvent, s’impose comme une évidence en Occident et figurent au nombre des principes qui gouvernent la politique étrangère française. Cette notion est étroitement liée à celle de Nation telle qu’elle est conçue au sens européen du terme. Or, « dans le monde arabe, il n’y a pas d’État national. »

« Si la Nation arabe est plus large que les États qui les composent, (et tous les États ne sont pas arabes dans la région), chaque état est pluriethnique, ce qui relativise complètement le concept de minorité. »

Il ajoutait : « autrement dit, le concept de minorité est à manier avec précaution. L’idée de mosaïque de tribus, de langues, et de religions qui gère à la fois l’unité et la diversité est préférable. Dans cette diversité, qui est une beauté du monde arabe, chacun apporte sa contribution…. En outre le concept de minorité a l’inconvénient de mettre hors du droit commun ceux qui appartiennent à la minorité et de les placer sous le régime de la tolérance. Or c’est précisément de cela, tolérance ou «dhimmitude », qu’on a cherché à sortir. ».

La conférence ministérielle de 2015 a rassemblé une soixantaine de délégations ainsi que des représentants des Nations Unies, de l’Union européenne et d’organisations internationales. L’objectif de cette rencontre était d’identifier des mesures concrètes pour répondre à tous les aspects de la situation des victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient.

…/Sur un plan national, la France a mis en place un Comité de suivi, auquel participe le Groupe de liaison avec les chrétiens et les minorités du Sénat, qui se réunit une fois par an et qui fait notamment le suivi de l’utilisation des crédits du Fonds de soutien, doté de 10 millions d’euros, qui est géré par le Centre de crise du ministère et qui s’adresse à des ONG françaises agissant sur le terrain.

Ces actions portent sur les trois volets cités ci-dessus mais aussi sur les aspects culturels de sauvegarde du patrimoine et de l’asile. Un Fonds international pour la protection du patrimoine en danger dans les zones en conflit a été mis en place.

L’aspect culturel est particulièrement important pour conserver ce patrimoine inestimable qui est la mémoire et l’identité de ces peuples. Les destructions barbares opérées par Daech à Palmyre, à Nimrod mais en fait partout où ils sont passés n’épargnant aucun patrimoine quelle que soit sa forme, sont des pertes irréparables pour la mémoire et la civilisation de ces pays mais, plus largement pour la culture mondiale.

II. LES CHRÉTIENS ET LES MINORITÉS EN IRAK ET AU LIBAN

Les chrétiens d’Orient sont répartis en de multiples Églises, catholiques, préchalcédoniennes ou orthodoxes, qui se différencient par leur rite, leur implantation géographique, leur histoire et par leur doctrine et leur rite. …/….

http://www.senat.fr/ga/ga147/ga147.html