La communauté des « chrétiens de Thomas » commence à se constituer en France dans les années soixante : ce sont d’abord des personnes travaillant dans les ambassades ou à l’UNESCO, qui viennent avec leurs proches. D’autres familles arrivent ensuite, certaines s’installent définitivement. Aujourd’hui, les syro-malabars, les syro-malankars, et les syriaques orthodoxes vivant en Île-de-France sont réunis par leur langue commune, le malayalam parlé au Kerala.
Le père Sébastien Naduthadam a été envoyé en France par le patriarche de l’Église syro-malabare en 2013 pour s’occuper de ces chrétiens indiens de rite oriental. « C’est une communauté œcuménique de même langue et de même culture, explique-t-il, qui célèbre chaque mois la messe dans le rite malabar dans la chapelle des Missions étrangères de Paris. Ils forment une communauté de chrétiens malayalamis. Les autres dimanches, ces personnes vont dans les paroisses latines de leur quartier, mais elles restent attachées à leur culture et à la tradition liturgique orientale. »
Le christianisme s’est implanté sur le continent indien dès le temps des apôtres, notamment le long de la côte sud-ouest, dans la région du Kerala. Les premières conversions seraient le fruit de la prédication de l’apôtre saint Thomas, qui a donné son nom à la première communauté. Les « chrétiens de Thomas » ont noué un temps des relations avec l’Église assyro-chaldéenne lors de sa phase d’expansion missionnaire, mais sont restés éloignés, par force, du reste de la chrétienté.
Lors de leur expansion coloniale, les Portugais les ont redécouverts, à la fin du XVe siècle. Malheureusement, les colons ont cherché à imposer une hiérarchie occidentale et le rite latin, ce qui a conduit à un schisme, engendrant l’Église malankare séparée de Rome. La papauté a réagi tardivement à ces excès du colonialisme, en restaurant progressivement le rite chaldéen, ainsi que la plupart de ses spécificités orientales. Ce sont des carmélites missionnaires qui vont, peu à peu, restaurer la confiance des populations. En 1923, l’Église syro-malabare est officiellement établie avec quatre diocèses. Depuis 1993, elle est devenue Église archiépiscopale majeure, avec trente et un diocèses. Le cardinal George Alencherry en est l’archevêque majeur. L’Église syro-malankare catholique, qui est constituée plus tardivement, résulte d’une scission interne de l’Église syriaque orthodoxe malankare en 1930.
Le rite syro-malabar est en théorie l’héritier du rite syriaque oriental ou chaldéen. En pratique, la messe brève est proche du rite latin, une impression renforcée par la position de l’autel face à l’assemblée qui suit la réforme de Vatican II. La langue liturgique est essentiellement le malayalam, mais lors des grandes fêtes solennelles, l’office, qui est beaucoup plus développé, peut être chanté en araméen. Le rite de la messe suit les mêmes anaphores que le rite chaldéen, dites des saints Apôtres, de saint Théodore, et de saint Nestor. Le Crédo proclamé est celui du texte œcuménique original de Nicée-Constantinople, dans lequel le Saint-Esprit « procède du Père ». L’addition du Filioque propre à la tradition latine n’est pas obligatoire.
L’année liturgique adopte les grands rendez-vous du calendrier grégorien pour Pâques et Noël, mais elle suit un lectionnaire propre, structuré par neuf temps liturgiques qui suivent l’histoire du Salut : l’Annonciation, l’Épiphanie, le Grand Carême avant Pâques, la Résurrection, le temps des Apôtres (la Pentecôte), la croissance de l’Église, la Croix d’Élie, le temps de Moïse, la dédicace de l’Église. Chaque période a ses prières propres, et des fêtes spécifiques. Outre le « Grand Carême », il existe un carême de vingt-cinq jours avant Noël. Le P. Naduthadam explique aussi que l’espace liturgique est découpé symboliquement en deux parties : celle de l’autel qui symbolise la Jérusalem céleste, et celle de l’assemblée qui symbolise la Jérusalem terrestre. Le célébrant, en cheminant de l’une à l’autre, les rassemble : il présente à Dieu les prières de l’assemblée, à qui il remet en retour la bénédiction divine. Les dévotions spéciales et personnelles sont courantes : elles sont liées à une tradition vivante qui a su conserver son héritage. Plusieurs saints du Kerala doivent aussi être mentionnés : sainte Alphonsa, saint Kuriakose Elias Chavara, sainte Euphrasia Eluvathingal. Il y a de nombreuses vocations dans le Kerala : ces Indiens de rite oriental forment aujourd’hui le principal contingent des jésuites et des carmes.
On retrouve la même ferveur parmi les paroissiens dispersés dans toute la région parisienne, et leur attachement à leurs racines les conduit à braver les délais de transport pour assister chaque mois à la messe en malayalam. La communauté compte aussi une dizaine de prêtres étudiants à l’Institut catholique de Paris. Des sœurs originaires du Kerala, entrées dans des congrégations latines (salésiennes missionnaires de Marie-immaculée, sœurs missionnaires de saint-Pierre Claverie, sœurs de la Croix, etc.) et en mission à Paris, viennent volontiers assister à la messe. Le P. Naduthadam visite chaque année les quarante familles de paroissiens pour les bénir, prier avec elles, partager un temps de vie. Il est parfois accompagné par un prêtre étudiant. Une retraite aux MEP de trois jours est proposée à tous chaque année.
Selon le P. Naduthadam, la principale difficulté de la communauté est la transmission de la tradition à la génération née en France, qui a du mal à comprendre la langue et les particularités du rite. Aussi une séance de catéchisme est-elle proposée aux enfants après chaque messe. Béatrice, jeune catéchiste toute souriante, est née en France, et habite en lointaine banlieue. Elle a la charge des adolescents de 10 à 15 ans. « Nous reprenons ensemble les lectures [de la messe] du jour pour un partage, et je leur enseigne les fondements de la tradition syro-malabare », témoigne-t-elle avec enthousiasme. « Il faut aussi mieux intégrer les chrétiens de Kerala qui vivent ici isolés », ajoute le P. Naduthadam, en mentionnant les nombreux étudiants.
Après chaque messe, toute la communauté se retrouve dans le jardin des MEP pour un moment fraternel et convivial autour d’un thé au lait, de sucreries et de beignets confectionnés par les mères de famille. Le P. Naduthadam en profite pour fixer le calendrier de ses visites, et établir avec tous le programme pastoral. C’est aussi l’occasion de partager les nouvelles des familles et des proches qui vivent sur le continent indien. Binna, qui habite en région parisienne depuis 20 ans et rend visite chaque année à sa famille, rapporte ainsi qu’il existe des persécutions contre les chrétiens dans le nord de l’Inde. « Heureusement, ajoute-t-elle, nous sommes encore préservés au Kerala. »