Charlie tu es « bête et méchant », c’est dans tes gènes et tu l’as toujours revendiqué. On ne va donc pas faire un fromage de la Une de ton numéro déjà imprimé à un million d’exemplaires pour commémorer l’assassinat de tes collaborateurs, il y a juste un an ! Ça nous étonnerait que Dieu soit très sensible à ce genre de blasphème. Quant aux croyants, ils ont vu pire. Pour ce qui est des chrétiens en particulier, on leur a demandé de tendre l’autre joue, pas de venger Dieu. Donc Charlie on t’aime quand même.
D’autant plus que tu as mal. Les reportages télévisés, le film consacré à ceux qui ont été assassinés et à leurs proches qui leur survivent… nous montrent des hommes et des femmes debout qui vivent héroïquement leur deuil, leur révolte, leur angoisse. Et nous ne pouvons qu’admirer, notamment ces veuves qui assument et continuent de parler et d’agir pour leur compagnon décédé, pour leurs enfants, leurs amis. Charlie, tu nous fais pleurer d’émotion et de compassion. Tant pis pour toi, on t’aime quand même.
Ensuite, que Charlie n’ait rien compris, fasse l’amalgame entre tous les « culs-bénits » et les différents adeptes de la kalachnikov, qui peut s’en étonner ? On n’a pas affaire à de grands intellos non plus… À quoi bon te rappeler, Charlie, que les assassins de la « bande à Baader » étaient à peine moins cinglés que les frères Kouachi et ne croyaient pas en Dieu… Il y aurait dix mille arguments à te présenter – qui ont d’ailleurs tous déjà été plus ou moins dits, ne serait-ce que par un Dostoïevski, pour ne pas faire porter sur les religions l’unique faute de ce genre de folie meurtrière, même si les religions n’en sont pas indemnes bien sûr.
Quant à l’islamisme en particulier, c’est une idéologie de toute-puissance qui a plus à voir avec le nazisme, ou le communisme, qu’avec… le christianisme. Le nazisme aussi est né d’une mauvaise politique étrangère et d’une mauvaise politique intérieure et n’a pu s’imposer que grâce aux faiblesses morales et intellectuelles de ceux qui avaient le devoir de s’y opposer. Mais la faiblesse des victimes n’est jamais une excuse pour le crime des assassins, ni même une explication suffisante.
Et pour en revenir à ta Une, finalement, n’a-t-elle pas ses mérites ? Elle pose une question dont nous avons des traces littéraires et artistiques sur près de trente mille ans et que l’homme se pose évidemment depuis déjà des millions d’années. Les forces divines ont-elles créé le mal en créant la vie ? Merci Charlie de reposer l’éternelle question métaphysique sans laquelle l’homme ne serait point homme. Oui Charlie, parce que tu souffres, parce que tu t’interroges sur le sens de la vie, et même si tu veux blesser des innocents et que tu n’as pas encore trouvé de bonnes réponses, on t’aime quand même, tout simplement parce que tu fais partie de nous, même si nous faisons tout ce que nous pouvons pour ne pas trop te ressembler.
— –
http://www.lepoint.fr/politique/un-an-apres-les-attentats-une-semaine-de-commemorations-a-paris-05-01-2016-2007055_20.php
http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2016/01/05/25001-20160105ARTFIG00059-la-derniere-une-de-charlie-hebdo-divise-les-politiques.php
http://www.20minutes.fr/medias/1759319-20160104-charlie-hebdo-numero-special-plait-tous-catholiques
http://www.bvoltaire.fr/gabriellecluzel/charlie-hebdo-reecrit-lhistoire,229821
