Le plus grand paradoxe du synode actuel est peut-être que les évêques parlent fréquemment, avec passion et à juste titre du besoin d’un langage clair et constructif. Et pourtant le processus tel qu’il s’est déroulé jusqu’à présent est rien moins que clair et suscite par conséquent des réactions négatives comme la peur et la confusion chez les fidèles catholiques qui suivent les délibérations, et peut-être parmi les évêques eux-mêmes.
Ces derniers jours, les médias ont abondamment commenté la lettre signée par treize cardinaux et remise en mains propres au Saint Père le jour de l’ouverture du synode. Cette lettre, qui soulève deux questions principales à propos de l’organisation globale du synode et y ajoute une troisième préoccupation, et les réactions qu’elle a provoquées sont très révélatrices.
Tout d’abord, les treize cardinaux déclarent redouter que les procédures semblent taillées sur mesure pour faciliter l’obtention d’un certain résultat. Cette crainte s’est avérée à la fois légitime et un peu à côté de la plaque. Le huis clos du synode n’excluait pas a priori le risque de manipulations comme c’est arrivé lors du précédent. Elles auraient pu se reproduire. Si ce n’est que, à ce qu’il semble, les procédures ont été si mal conçues que c’est seulement hier (selon les bruits de couloir) que le président du synode, le cardinal Baldisseri, a expliqué à un autre cardinal que les évêques auraient la possibilité de voter non seulement sur chaque section, mais aussi sur chaque paragraphe du document final. Pensez un peu, le synode dure depuis deux semaines et le doute subsiste encore quant à l’une des questions centrales de procédure, apparemment très simples. Et il n’a pas encore été décidé si l’approbation ou le rejet de tel ou tel passage nécessitera la majorité simple ou la majorité des deux tiers.
Tout cela est déjà bien contrariant, mais les treize cardinaux ont également fait objection à juste titre au manque de clarté du contenu du document de travail et à sa structure même – objection qui, comme nous l’avons signalé hier (et comme chacun peut le vérifier tout simplement en lisant leurs rapports) est désormais reprise pratiquement par tous les petits groupes linguistiques qui se réunissent pour réviser l’Instrumentum laboris. Donc, en ce qui concerne ce deuxième argument, les cardinaux ont peut-être un peu devancé leurs collègues synodaux en signalant ces failles. Mais ce qu’ils ont écrit est à présent une idée très répandue parmi les participants au synode.
Finalement, les treize cardinaux ont soulevé la question de la composition de la commission de rédaction du projet de relatio finale qui sera soumis aux évêques. Sur ce point, leurs opinions s’écartent un peu de celles de leurs pairs. En leur qualité d’éminents ecclésiastiques, ils sont plus sensibles que les autres à la manière dont la dimension personnelle peut orienter une politique.
Et il n’a pas fallu une « herméneutique de la conspiration », selon les termes du Pape dans son intervention, pour se demander si le cardinal Baldisseri et l’archevêque Bruno Forte (l’auteur des passages controversés de l’an dernier) seraient encore membres de la commission de rédaction.
Ou pour penser qu’un autre membre de cette commission, Antonio Spadaro, S.J., qui a envoyé ce tweet il y a quelques jours :
Ceux qui veulent un synode 2015 rigide et momifié attaquent ses méthodes et sa communication. Cela veut dire que le synode marche !
Dessin s’est virtuellement disqualifié. Quoi que vous pensiez des procédures et du contenu, la tâche de la commission de rédaction est de tenir compte avec impartialité dans le document final des vues des pères synodaux. Un membre de cette commission n’aurait pas dû dénigrer publiquement une importante partie (je dirais même une vaste majorité) de ces pères synodaux.
Nous avons eu droit à un autre démêlé médiatique cette semaine. Un article de CRUX a à tort rapporté que le cardinal Wilfrid Napier de Durban, l’un des treize signataires de la lettre, aurait dit dans une interview qu’il contestait le droit du pape de nommer à la commission de rédaction les personnes qu’il avait choisies.
Voici ce qu’il avait dit en fait (selon la correction apportée par CRUX) :
Ce que nous contestons, souci que je partage, c’est le choix des personnes chargées de rédiger le document final, mais pas le droit du pape François de les choisir. Si on parle des objectifs du synode en termes clairs, ce que l’Eglise d’Afrique souhaite réellement voir arriver, c’est que ne siègent pas dans cette commission des personnes du même genre que celles qui l’an dernier nous ont causé bien des contrariétés.
C’est un argument parfaitement valide, probablement partagé par des dizaines de pères synodaux. Et loin d’être une attaque contre le pape, on peut même l’interpréter comme un désir d’aider le Saint Père à éviter des difficultés qui ne devraient pas surgir.
On pourrait ne pas tenir compte de la lettre des treize cardinaux, du tweet et de l’interview faussée qui ont suivi en faisant de ces épisodes une montagne accouchant d’une souris. Cependant, il est clair que certains éléments dans les médias (et qui donc au Vatican a fait fuiter une lettre remise en mains propres au Saint Père ?) essaient à présent de concocter une histoire de conservateurs subversifs visant à contrecarrer les plans du pape. En fait, les treize cardinaux ont soulevé des questions qui se sont avérées prémonitoires, et quand le pape leur a répondu mardi dernier, ils l’ont respectueusement laissé maître de la situation.
Entre temps, de graves questions restent à débattre cette semaine. Et le manque de clarté quant aux procédures, au contenu et aux personnes a freiné les débats nécessaires pour trouver des voies authentiques et appropriées vers plus de charité et de miséricorde. Ces voies ne seront pas (avec la permission des médias) la communion pour les divorcés remariés ou l’acceptation des homos ou tout autre entorse à la doctrine catholique fondamentale.
Mais elles pourraient nous amener à de nouveaux moyens parfaitement catholiques de nous occuper des personnes souffrant d’un divorce ou d’une attirance homosexuelle, en nous ressourçant aux profonds puits de charité dont Dieu a enrichi notre tradition. Le manque de clarté a fini par être un obstacle à cet élargissement de la charité.
Jeudi 15 octobre 2015
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/15/charity-requires-clarity/
Robert Royal est le rédacteur en chef de The Catholic Thing et président du Faith&Reason Institute de Washington (D.C.).
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