Quand on a lu son Histoire générale de la chouannerie, on supplie Anne Bernet d’écrire l’Autant en emporte le vent des provinces de l’Ouest. Mais qui serait Scarlett O’hara, la fière héroïne sudiste imaginée par Margaret Mitchell ? En relisant Charette, on se dit que ce fut lui, Scarlett O’hara, et que le récit de sa vie est plus passionnant encore que ce célèbre roman. Il n’est pas exemplaire, mais c’est un exemple d’attachement à la terre, de fidélité et de courage. Son panache relève encore cette figure.
Les dons de conteur d’Anne Bernet, sa puissance d’évocation font de ce livre un récit haletant que le lecteur ne parvient pas à quitter. Nous espérons la victoire à Torfou et nous l’avons. Puis, nous nous désolons des divisions de la grande armée catholique et royale, des difficultés qu’ont les chefs de garder leurs hommes en tenue de service quand ils veulent retourner à leurs fermes.
« Le plus brave des Français »
Quand sonne la fin de l’aventure vendéenne avec l’exécution de Charette, nous sommes comme l’un des hommes du peloton, qui se retrouvait le soir dans une taverne où la populace fêtait la mort de Charette en hurlant : « On l’a tué, le grand brigand ! » Ce soldat se leva, « s’approcha des braillards, et prenant le meneur par le col, d’une voix qui ressemblait à un mugissement, il s’écria :
— Taisez-vous, canailles, avant qu’on vous assomme !
Et dans le silence stupéfait des convives, il dit, plus doucement :
— Je l’ai vu mourir, moi, le grand brigand… Je lui ai tiré dessus. C’était le plus brave des Français.
Et il écrasa dans sa moustache quelque chose qui ressemblait à une larme. »
Ces dernières lignes de l’ouvrage d’Anne Bernet signent la victoire de Charette qui, pour l’histoire, a gagné la bataille de l’honneur en gagnant l’admiration de ses ennemis. Napoléon disait qu’il y avait chez cet homme l’étincelle du génie. Il y a eu plus que cela, une façon d’être, avec les grands, avec les humbles, avec les femmes, avec les ennemis, qui ne trouve pas d’équivalent depuis la Révolution et donne aux lecteurs une nostalgie irrépressible de ce temps et de ces mœurs.
Le roman de Margaret Mitchell et Scarlett O’hara ont plus fait pour la cause sudiste que tous les livres d’histoire. La biographie de Charette par Anne Bernet fait plus, pour nous permettre de comprendre et de sentir ce que fut l’Ancienne France, que beaucoup d’analyses historiques. On y respire vraiment l’atmosphère chevaleresque résumée dans les quatre lignes mises en exergue du livre : « J’ai juré à mon roi, à Vous, mon Prince, le dévouement le plus absolu ; mes sentiments sont inébranlables. Si je succombe, j’aurai la satisfaction de dire : “Je péris pour mon roi et j’aurai rempli ma tâche”. » Dernière lettre de Charette au comte d’Artois, 4 janvier 1796.
« Vous qui vous plaignez… »
Au moment de sa mort, Anne Bernet écrit : « Il périt, à 32 ans et 11 mois, en pleine jeunesse, pour une cause que le monde, et l’Église abandonnent. Il y aurait de quoi se laisser envahir par un immense sentiment de révolte, de colère, de désespoir. […] Il a cependant la force de ne point s’abandonner à ces sentiments. Dans l’isolement de ses derniers jours, au long de cette Semaine sainte qui l’aura associé comme jamais au calvaire du Christ, il n’a cessé de méditer les souffrances du Rédempteur innocent mort pour sauver les pécheurs. Mort pour lui, qui ne le mérite pas. Pas plus qu’aucun autre homme, moins encore peut-être, François-Athanase n’a le droit de crier au scandale devant l’horreur et la souffrance du trépas, le tragique de la destinée humaine. “Vous qui vous plaignez, considérez mes souffrances…” Il a porté, longtemps, cette devise cousue sur la poitrine, sous le Sacré-Cœur qui faisait une si belle cible pour les balles des bleus. Maintenant, il les considère, ces souffrances sans limites, et, broyé de contrition, il ne se plaint pas, et il essaye d’offrir, lui qui a plus besoin qu’un autre de pardon. »
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Charette, Anne Bernet, éd. Perrin, juin 2023, 576 pages, 25 €.