CHAOS ? « PANTOUFLAGE » ? COURSE AUX ASTRES ? LA FIN DE L’HISTOIRE VUE PAR UN GÉOLOGUE - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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CHAOS ? « PANTOUFLAGE » ? COURSE AUX ASTRES ? LA FIN DE L’HISTOIRE VUE PAR UN GÉOLOGUE

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Il y a dans le monde un certain nombre de géologues. Ces géologues publient leurs travaux dans des revues spécialisées. Chaque année, le poids total de ces revues augmente.

Si l’on compare l’accroissement annuel de la masse (en kilos) de ces publications, on constate qu’il est uniformément accéléré depuis les débuts de la géologie, disons depuis sir Charles Lyell qui naquit à la fin du XVIIIe siècle. La loi d’augmentation de cette masse reste la même d’année en année : elle est exponentielle. Et puisque cette loi reste la même, on est tenté de l’extrapoler dans l’avenir. Le résultat de cette extrapolation est plutôt surprenant : si la masse des publications de géologie devait continuer de s’accroître demain comme elle n’a pas cessé de le faire depuis un siècle et demi, elle atteindrait vers l’an 2100 ou peut-être avant la masse totale de la Terre.

L’actualité humaine : une avalanche

Bien entendu, c’est absurde. Il n’est pas possible que la Terre soit un jour entièrement transformée en une paperasse consacrée à sa propre description. Il y a là quelque chose qui cloche. Mais quoi ? Les géologues auraient-ils un grain ? S’il en est ainsi, constatons qu’ils ne sont pas les seuls. On obtient un résultat sensiblement identique avec les publications d’astronomie, de physique, d’économie, de politique. Avec les romans policiers, la science fiction, les statistiques, avec à peu près toutes les publications imaginables. Si, d’autre part, l’on compte le nombre de coups de téléphone donnés dans le monde chaque année, on constate aussi un accroissement exponentiel. De même si l’on évalue la production d’électricité, le nombre de kilomètres parcourus en avion, la masse de pâte dentifrice consommée, le nombre des paires de chaussettes sortant des usines, et finalement, toutes les productions et activités humaines y compris la production en hommes elle-même, la démographie.

Certaines productions ou activités, parfois, déclinent ou disparaissent par exemple, la fabrication de chars a bœufs ou de machines à vapeur. Mais on constate alors que les productions ou activités qui prennent le relais de celles qui disparaissent prennent en même temps le relais de leur multiplication explosive, l’auto succédant par dizaines de millions aux milliers de cabs et de tilburys. Bref, et pour dire cela d’une phrase, l’activité historique de l’homme subit une évolution universellement exponentielle. Elle est uniformément accélérée. Son accroissement est une explosion, ou si l’on préfère, une avalanche.

Donnons encore quelques exemples particulièrement saisissants montrant l’universalité de cette loi.

André Leroi-Gourhan mesure la longueur de tranchant obtenue par éclatement d’un kilo de silex selon les méthodes employées par nos ancêtres tout au long de la préhistoire. Cette longueur croît de façon exponentielle.

André de Cayeux porte sur un graphique la durée des industries préhistoriques successives : elles durent de moins en moins longtemps, ce qui montre qu’elles évoluent de plus en plus vite. Le graphique montre une accélération exponentielle, et cela, je le rappelle, tout au long de la préhistoire.

Mumford compte le nombre des inventions survenues siècle par siècle entre les ans 1000 et 1900. Ce nombre croît de façon exponentielle.
François Meyer mesure les puissances motrices libérées par l’homme depuis la fin de la préhistoire jusqu’à la fusée : ces puissances croissent de façon exponentielle (a). Il en est de même des vitesses atteintes par l’homme depuis le début de la révolution industrielle, des masses transportées, des distances parcourues. La forme exponentielle se retrouve constamment, et avec elle l’absurdité de son extrapolation dans l’avenir : si le proche avenir devait prolonger le passé, on aboutirait à des impossibilités physiques avant un siècle et demi.

Quelque chose va s’arrêter

Nous commençons à sentir la pression de cette réalité dans certains domaines, la démographie, la pollution, l’encombrement, les accidents de la circulation, la faim. Nous nous sommes tellement habitués au passé qui nous a faits que nous refusons de regarder en face un avenir qui ne peut lui ressembler. Car c’est là la formidable signification de la loi quantitative découverte séparément par le géologue de Cayeux en 1951 et par le philosophe Meyer en 1953 (b): un processus évolutif qui dure au moins depuis le début de la préhistoire et probablement depuis le début de la vie terrestre, doit nécessairement, d’une façon ou d’une autre, se mettre en panne au cours du prochain siècle. Il faut souligner le mot nécessairement.
Ou bien, en effet, ce processus sera maîtrisé par l’homme qui, ainsi, mettra fin par son intervention délibérée, au mouvement d’un mécanisme qui n’a jamais cessé de fonctionner depuis le passé le plus lointain, ou bien les impossibilités physiques auxquelles est en train d’aboutir le mouvement du mécanisme enfanteront le chaos, et l’arrêt se fera de lui-même. De toute façon, quelque chose d’au moins aussi ancien que l’homme va s’arrêter au cours des trois ou quatre générations qui viennent. C’est la fin de l’histoire (c ).

Dans son dernier livre d’une admirable clarté pédagogique (la Science de la terre), de Cayeux essaie d’envisager les diverses façons dont pourrait survenir cette fin de l’histoire.

La première serait l’explosion dans l’inconcevable, c’est-à-dire une réelle fin des temps, chaos naissant des mains de l’homme pour le dévorer ou le transfigurer. Il faut bien constater avec Robert McNamara que les indices déjà perceptibles de cette explosion donnent peu d’aliment à l’hypothèse de la transfiguration. Il serait sage, en tout cas, de ne pas trop compter sur l’aveugle force des choses pour nous y conduire.

La deuxième hypothèse se réfère à Malthus : de Cayeux l’appelle le « pantouflage ». Ayant épuisé tout son potentiel évolutif, l’humanité maîtriserait les lois de sa métamorphose millénaire pour y mettre un terme. C’est un deuxième cauchemar, celui de l’enfer climatisé : que resterait-il d’humain dans un homme en pantoufles ayant abjuré tous ses rêves ?

La troisième hypothèse serait celle de la maîtrise, non plus pour les pantoufles mais pour le progrès indéfini, « les hommes, au besoin, s’échappant vers d’autres astres ».

On remarquera que de Cayeux s’abstient de décrire deux autres possibilités auxquelles nous savons qu’il pense néanmoins (d). Il ne parle ni d’un suicide collectif dont cependant les hommes sont désormais techniquement capables, ni d’eschatologie religieuse (e ) : son livre est celui d’un géologue. Ceci étant une chronique scientifique, nous nous abstiendrons de même, non sans constater que la science peut donner à réfléchir.

Aimé MICHEL

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Notes de Jean-Pierre Rospars

* Chronique n° 7 parue dans France Catholique – N° 1248 – 13 novembre 1970.

(a) Le caractère exponentiel des courbes de croissance de nombre de productions est plus ou moins connu. Cependant ces courbes sont le plus souvent décrites au coup par coup. Qu’on puisse les enraciner dans un passé lointain et y voir l’effet actuel d’un processus en œuvre dans l’évolution de la vie sur Terre depuis les origines est le plus souvent ignoré et passé sous silence. Les travaux de A. de Cayeux (ou Cailleux) et F. Meyer mentionnés ici par Aimé Michel, mettent clairement en lumière l’ampleur du phénomène global que constituent ces courbes exponentielles. Ce devraient être des classiques mais ils ne sont que rarement cités : aux yeux de la plupart des biologistes ces courbes d’évolution qui ne découlent pas de la théorie darwinienne sont de simples apparences sans grand intérêt et les économistes et sociologues s’en tiennent à l’histoire récente ce qui prive leur réflexion de toute profondeur temporelle.

L’absence de discussion de phénomènes aussi importants montre la difficulté pour les spécialistes de sortir des limites de leur discipline pour prendre du champ. André de Cayeux (1907-1986) fut professeur à la Sorbonne et à l’université Laval au Canada, et auteur de nombreux ouvrages de géologie dont La Science de la Terre, Bordas, 1969. François Meyer, professeur de philosophie à l’université d’Aix-en-Provence, a présenté ses idées notamment dans Problématique de l’évolution, PUF, Paris, 1954. André Leroi-Gourhan (1911-1986) a publié son graphique dans Le Geste et la Parole, Albin Michel, Paris, 1964. Lewis Mumford (1895-1990), philosophe et historien des techniques, a écrit notamment Le mythe de la machine (1967, 1970) et Les transformations de l’homme (1956), trad. B. Pecheur, Encyclopédies des Nuisances, Paris, 2008.

(b) Le texte imprimé indiquait « 1958 ». Il s’agit probablement une erreur d’interprétation du texte manuscrit ici corrigée.

(c ) Cette « fin de l’histoire » de Cayeux et Michel a cédé la place à la thèse pourtant bien moins intéressante de Francis Fukuyama pour qui elle signifie la victoire finale de la démocratie et du libéralisme (le livre de Fukuyama portant ce titre est paru en traduction française en 1994). Le faible impact des deux premiers auteurs et le succès du dernier sont révélateurs du « refus de penser notre condition » qu’Aimé Michel évoque dans la chronique Combien y a-t-il de terres dans l’espace parue ici le 6 juillet dernier. La tendance spontanée à réduire et amenuiser que j’évoquais en note se remarque ici à la substitution d’un phénomène politique, somme toute rassurant, car il relève de nous et s’étend sur quelques décennies, à un phénomène cosmique, qui lui nous échappe en grande partie et se développe à l’échelle des millions d’années. Car la profondeur du temps effraie au moins autant que la profondeur de l’espace.

(d) André de Cayeux et Aimé Michel étaient amis, probablement depuis la fin des années 50 comme le suggère la remarquable préface Lettre ouverte à François Mauriac sur le mal fossile que Michel avait écrite pour le livre d’A. de Cayeux Trente millions de siècles de vie (André Bonne, Paris, 1958).

(e ) Les réflexions d’Aimé Michel dans ces chroniques ont presque toujours un lien avec les grandes questions métaphysiques et religieuses. Il se garde donc d’ignorer le sens religieux de cette fin annoncée de l’histoire. On se gardera de lui attribuer une interprétation simpliste et benoîtement optimiste de cette fin, comme sa critique de la « transfiguration » un peu plus haut le montre bien. Sa pensée est souvent paradoxale car elle maintient sous un même regard des aspects contradictoires : ici la catastrophe est vue à la fois comme événement générateur de terribles souffrances et comme passage obligé vers un état nouveau de l’humanité (sans écarter l’hypothèse de l’échec pur et simple). Elle est à la fois un phénomène « naturel », le résultat d’un très long processus évolutif, et un phénomène « culturel », le « chaos naissant des mains de l’homme pour le dévorer ou le transfigurer ». Ce second point de vue fait l’objet de L’eugénisme ou l’apocalypse molle parue ici la semaine dernière dont on relira en particulier le dernier paragraphe : « L’immense aventure qui nous a faits sans nous ne s’accomplira pas sans nous ». Les deux chroniques se complètent. Cette réflexion sur le devenir prochain de l’humanité se poursuivra ici la semaine prochaine.

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Rappel :

Entre 1970 et sa mort en 1992, Aimé Michel a donné à France Catholique plus de 500 chroniques. Réunies par le neurobiologiste Jean-Pierre Rospars, elles dessinent une image de la trajectoire d’un philosophe dont la pensée reste à découvrir. Paraît en même temps, une correspondance échangée entre 1978 et 1990 entre Aimé Michel et le sociologue de la parapsychologie Bertrand Méheust. On y voit qu’Aimé Michel a été beaucoup plus que le « prophète des ovnis » très à la mode fut un temps : sa vision du monde à contre-courant n’est ni un système, ni un prêt-à-penser, mais un questionnement dont la première vertu est de faire circuler de l’air dans l’espace confiné où nous enferme notre propre petitesse. Empli d’espérance sans ignorer la férocité du monde, Aimé Michel annonce certains des grands thèmes de réflexion d’aujourd’hui et préfigure ceux de demain.

Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).

Aimé Michel, « L’apocalypse molle ». Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du « Veilleur d’Ar Men » par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Éditions Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).

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