Que mes confrères du Parisien se mobilisent en faveur de la fraternité, je trouve cela plutôt bien, et même plus que cela. Cette initiative consiste à faire parler en faveur de cette belle vertu, une centaine – cent exactement – de responsables associatifs, artistes, médecins ou sportifs, simples citoyens ou élus politiques. Cela part d’une très bonne intention. Tous, en effet, veulent nous transmettre « leurs idées pour tenter de retisser des liens dans une société fracturée ». Et de fait, ce qu’il y a de plus intéressant dans ces prises de parole, ce sont les exemples concrets, sur le terrain, pour créer de proche en proche des liens de solidarité qui peuvent à terme devenir des liens d’amitié. Tant il est vrai que la fraternité ça se vit d’abord, avant de se thématiser intellectuellement, même si ça n’est pas interdit. J’ai souvenir d’un excellent essai de Régis Debray sur le sujet.
J’émettrais pourtant une petite réserve. J’observe, en effet, que la thématisation dans certaines déclarations peut faire naître des désaccords. Lorsque je lis sous la plume de l’excellent Philippe Geluck, dessinateur et humoriste célèbre, que la fraternité « n’a pas de frontière, pas de couleur, pas de religion et pas de sexe », je suis à la fois d’accord et pas d’accord. D’accord parce que c’est vrai qu’il y a forcément une dimension d’universalité dans cette affaire. Pas d’accord, parce que cette fraternité devient abstraite et non opérante, lorsque elle est hors-sol, hors situation. La sollicitude à l’égard de nos semblables vise les personnes dans leur incarnation, leur richesse et leur pauvreté, éventuellement leur détresse. Et c’est là d’ailleurs qu’elle est la plus précieuse. C’est tel visage qui me sollicite.
L’enquête du Parisien a le mérite supplémentaire de ne faire surgir aucune hostilité. On pouvait craindre que l’exaltation de la fraternité tourne à la dénonciation des non-fraternels. Ce n’est pas du tout le cas. C’est une force. C’est peut-être aussi une faiblesse, car les fractures sociales que nous connaissons, et qui nous blessent gravement, ont des causes qu’il importe d’analyser. Ce n’était sans doute pas le moment, mais il faudra y venir, car la fraternité durable repose aussi sur des bases sociales, civilisationnelles, qui lui permettent d’être pérenne et plus féconde.