« Quand une fois le temps sera venu de mettre au grand jour sous les yeux du monde ces efforts qui furent les nôtres, tous les hommes d’intention droite sauront où chercher les défenseurs de la paix et où ses perturbateurs. » Cet extrait de l’encyclique Mit brennender Sorge est troublant de prescience, même s’il aura fallu près de huit décennies pour voir cette prédiction se confirmer.
La fin des anathèmes ?
Les choses ont changé. Jean Sévillia (lire entretien p. 14 à 16), qui vient de publier un ouvrage passionnant sur la résistance autrichienne au nazisme, le constate : « C’est très frappant si l’on regarde la production historiographique concernant Pie XII. Depuis vingt ans, sont sortis 8 à 10 livres prenant la défense de Pie XII. Le dénonçant, je n’en ai compté que deux. » Lors d’un colloque qui s’est tenu du 9 au 11 octobre à l’Université grégorienne de Rome, en partenariat avec Yad Vashem – l’institut international de recherche sur l’Holocauste – le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’état du Saint-Siège, a souligné que l’ouverture récente des archives du Vatican relatives à la période de la Seconde Guerre mondiale révélait « une image [de Pie XII] très différente de celle que l’on connaît généralement ».
Lors de ce symposium, organisé à l’occasion du 80e anniversaire de la rafle du ghetto juif de Rome (16 octobre 1943) – et alors que venait de survenir l’attaque du Hamas aux abords de la bande de Gaza – le Président israélien Isaac Herzog, interviewé par l’Osservatore Romano, a rappelé que les Juifs estimaient que Pie XII était favorable à leur égard et que c’est « pour cette raison qu’ils se sont tournés vers lui pendant la Seconde Guerre mondiale pour obtenir de l’aide ». Et le secrétaire d’État du Saint-Siège de dénoncer de son côté « des cas de malhonnêteté scientifique qui deviennent des manipulations historiques ».
Renouveau historiographique
Au-delà de la question de Pie XII, qui tendait à devenir le seul prisme de lecture de la problématique, on constate la multiplication des événements et des publications qui viennent remettre l’histoire à l’endroit. Le dernier livre de Jean Sévillia, Cette Autriche qui a dit non à Hitler (Perrin) montre combien les conservateurs chrétiens furent pour beaucoup des adversaires résolus de l’Anschluss. Celui de Jérôme Cordelier, Après la nuit – Ces chrétiens qui ont reconstruit la France et l’Europe (Calmann-Lévy), montre pour sa part que ce sont souvent les mêmes chrétiens, qui prirent tous les risques pour combattre le nazisme, qui œuvrèrent ensuite à la réconciliation avec l’Allemagne.
Dans le même ordre d’idées, on peut songer à plusieurs événements récents comme l’exposition itinérante « Du cri du cœur à la voix des justes », organisée par la Conférence des évêques de France (CEF) en partenariat avec Yad Vashem, inaugurée en septembre 2022, et qui a sillonné la France depuis. On mentionnera aussi la rencontre consacrée au sauvetage des Juifs du Danemark, organisée le 29 octobre au Mémorial de la Shoah à Paris, qui a mis en valeur les protestations courageuses et sans ambiguïté des chrétiens du pays face à la rafle organisée dans la nuit du 1er au 2 octobre 1943. On notera la présentation d’une liste inédite de rescapés juifs, protégés par des religieux et religieuses italiens, à l’occasion d’un atelier organisé au musée de la Shoah à Rome le 7 septembre dernier. On évoquera aussi les travaux en cours consacrés à l’Armia Krajowa (AK), ou « armée de l’intérieur », le principal mouvement de résistance intérieure polonais – qui s’est insurgé seul à Varsovie contre les SS en août 1944 pendant que l’Armée Rouge patientait l’arme au pied aux abords de la ville –, dont de nombreux chefs étaient animés de principes catholiques.
L’histoire de l’engagement de l’Église pendant la Seconde Guerre mondiale est-elle close ? Assurément non. Les campagnes de dénigrement, même si elles ont perdu de leur portée, ne sont pas éteintes pour autant. Le pseudo-« silence de Pie XII » reste un thème en vogue dans les médias, quelles que soient les pièces à conviction que l’on puisse mettre sous leurs yeux. Pourtant, même si l’on ne saurait fermer les yeux sur les cas indubitables de déchirement, d’hésitation, et parfois de compromission, on ne cesse d’exhumer encore des archives, des témoignages, qui attestent que les catholiques se sont réellement engagés durant cette période.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- MESSAGE POUR LA JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.