Il m’est arrivé plus d’une fois d’exprimer mes réserves à l’égard du Panthéon. Philippe Muray n’est pas seul coupable de mon allergie. Mais il l’a confirmée, fondée, argumentée, et je ne vois pas qui pourrait vaincre son réquisitoire implacable. Temple des courants d’airs et des fantômes, d’un nouveau culte complètement funèbre. Mais laissons. Il faut parfois retenir ses griefs et ses humeurs pour un moment de communion nationale. Le discours de Malraux prononcé à l’entrée des cendres de Jean Moulin, c’est tout de même un événement inoubliable, que nul ne saurait entacher du moindre reproche. J’ai le témoignage de Gisèle Foyer, l’épouse du Garde des Sceaux du général de Gaulle, qui se trouvait, ce soir-là, à deux pas du chef de la France libre. Elle voyait encore une grosse larme couler sur la joue d’un de Gaulle pourtant présumé impavide. Larme, oh certes discrète, entrevue furtivement, mais combien significative d’un grand moment où la nation entière se souvient : « Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France. »
Les quatre personnalités qui entrent aujourd’hui dans la nécropole, où la patrie affirme aux grands hommes sa reconnaissance, se relient directement à cette grande geste évoquée par André Malraux. Pierre Brossolette, Jean Zay, Geneviève de Gaulle, Germaine Tillon ont participé à cette résistance souffrante et glorieuse. Comme tels, j’oserais dire qu’ils sont les acteurs de ce roman national, dont je défends le concept. Car l’histoire d’un pays ce n’est pas la froide énonciation d’une série d’événements et de phénomènes. C’est le récit d’une aventure collective poursuivie à travers les siècles et à laquelle les héros confèrent un visage et une âme. Sans doute le récit historique peut-il subir nombre de mutations. De nouveaux savoirs, de nouvelles perspectives enrichissent le récit d’hier. L’histoire des mentalités s’est heureusement ajoutée à l’histoire dite chronologique. Mais il y a toujours nécessité d’une chronologie avec un sujet historique qui s’y déploie et avec des visages témoins irrécusables d’une aventure qui doit se poursuivre.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 27 mai 2015.
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