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CELUI QUI FUYAIT SOUS LES CENDRES

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Répliques des traces de pas de Laetoli

Répliques des traces de pas de Laetoli

CC by-sa : Momotarou2012

Il y a près de quatre millions d’années, un volcan du nord de la Tanzanie se mit soudainement à cracher une nuée de cendres, comme le Vésuve lors de la catastrophe de Pompéi1. La cendre commença par tomber du ciel en fine poudre, puis le grain de la poussière s’épaissit soudainement et une couche de plusieurs mètres d’épaisseur recouvrit bientôt le paysage, tuant toute vie, ensevelissant tout ce qui n’avait pu fuir. La couche de cendre la plus grossière, celle qui se trouve maintenant dessus et qui par conséquent extermina les derniers fuyards, se présente comme une nappe rocheuse tendre composée en grande partie d’une variété de mica appelée biotite, propre à certaines roches éruptives récentes. Les géologues disposent d’une bonne méthode de datation (la technique dite radiométrique) pour mesurer l’âge de ces sortes de roches. En l’occurrence, ils ont trouvé trois millions six cent mille ans. Ce qui est intéressant – et infiniment émouvant – c’est que les géologues, en mettant au jour avec un soin infini la plus basse couche de cendres, celle que piétina la cohue épouvantée des fuyards, ont réussi à faire apparaître la trace de leur course qui, en plusieurs endroits, se lit comme si elle datait de ce matin. Ils ressuscitent ainsi une tragédie qui ne dura peut-être que quelques heures – quelques heures, mais il y a trois millions six cent mille années ! Comme telle peinture de Vermeer qui fixe pour l’éternité l’émotion fugitive d’un regard, la cendre de la gorge d’Olduvaï (déjà célèbre par les nombreux autres vestiges que l’on y a trouvés) nous restitue fidèlement ce qui se passa lors de cette catastrophe dont personne, et pour cause, ne garde le souvenir2. Comme dans la toile de Vermeer, ce que nous restitue la cendre ne dura, dans certains cas, qu’une fraction de seconde : en particulier dans ces traces de fuite. Des pas qui sont bien ceux d’un homme Parmi ces traces de fuite, il y en a cinq, qui se suivent, puis se perdent, et qui ont été laissées par le même être. J’ai la photo de l’une d’elles depuis plusieurs semaines, et ne me lasse pas de la contempler. Car cet être marchait debout, sa démarche et son pied ne sont d’aucun animal vivant, ils sont plus humains que toute trace animale connue, et cependant ce n’était pas, ou pas encore, un homme. Mary Leakey (la mère de cette famille de paléontologistes qui ne cesse de s’illustrer depuis des décennies dans la découverte des plus anciens hominidés africains3) a donné les précisions suivantes lors d’une conférence qu’elle a faite le 22 février dernier à la Société nationale (américaine) de Géographie, à Washington. « Le pied de cet être montre très distinctement un pouce gros et séparé, mais aussi un talon (ce qui suppose obligatoirement la marche verticale), de même qu’une voûte plantaire. Il se déplaçait donc debout sur ses membres postérieurs, mais cette démarche devait être plutôt lente, car à chaque pas il se balançait en avant et en arrière, et ses pieds tournaient légèrement en se dépassant l’un l’autre. Il ne marchait ni comme un homme, ni comme un animal. » Des moulages de ces traces ont été faits et seront sans doute envoyés à tous les grands laboratoires d’anthropologie pour que chaque expert puisse y exercer sa sagacité4. Pour Mme Leakey, « cette créature devait mesurer environ un mètre vingt ». Cependant, ses traces sont « les plus larges chez aucun hominidé connu, si toutefois il s’agit bien d’un hominidé. Pour moi, a-t-elle ajouté, la probabilité que ce soit un hominidé peut être évaluée à 75 %, mais je préférerais une certitude absolue » (d’où les moulages pour études). Pour parvenir à la certitude, les savants disposent aussi d’ossements appartenant à une vingtaine d’individus – preuve que leur fuite devant la catastrophe fut vaine, ou du moins qu’elle le fut pour certains d’entre eux5. Les savants nous diront donc si ce sont là des traces d’« hominidés ». Mais comme le souligne le Pr Grassé dans son Précis de Zoologie des Vertébrés (a), quand il s’agit du genre « Homo », quels critères faut-il retenir ? Ceux de l’anatomie, ou bien plutôt ceux du psychisme ? Nous touchons là à la définition de l’homme, définition dont notre seule ignorance nous a jusqu’ici permis de parler avec assurance et légèreté. Les Anglo-Saxons estiment généralement plus prudent de s’en tenir à l’anatomie, pour la raison (mais on pourrait aussi bien dire sous le prétexte) qu’un ossement est quelque chose de concret, que ce qui caractérise anatomiquement l’homme, c’est sa verticalité libérant les mains pour réaliser les tâches de l’esprit. Leur raisonnement, partagé en France entre autres par Leroi-Gourhan, est que l’achèvement de la main suppose précisément cette activité de l’esprit qui deviendra le propre de l’homme. Il est en effet difficile de supposer un être vertical, ayant au cours de milliers de siècles, lentement changé « pour » n’avoir plus à utiliser sa main en marchant, et qui ne l’utiliserait pas encore à des tâches exigeant une activité mentale supérieure à l’animalité. Il avait des mains donc il pensait Mais qui ne voit que ce raisonnement, en fait, suppose implicitement admis les postulats darwiniens, qui excluent toute évolution finalisée anticipant ou pouvant anticiper par l’anatomie sur l’utilisation de cette anatomie ? Disons cela plus clairement : si la sélection seule est à l’œuvre dans l’évolution, retenant les mutations utiles et ne retenant qu’elles, il est évidemment absurde d’imaginer qu’il ait pu exister des êtres marchant sur leurs membres postérieurs, ayant donc des mains à leurs membres antérieurs, mais ne s’en servant pas encore, attendant au contraire des milliers de siècles avec ces mains inutiles et même encombrantes, jusqu’à ce que des mutations cérébrales leur en permettent l’usage. Voilà, n’est-ce pas ? une hypothèse complètement idiote ! Si une série de mutations a libéré les mains, il faut, pour que ces mutations aient été retenues, qu’elles aient procuré un avantage, donc que l’usage des mains se soit développé en même temps que l’anatomie supérieure du cerveau. Toute autre supposition serait absurde6. C’est ici qu’on mesure l’urgence de ce que les philosophes et les physiciens appellent un « changement de paradigme »7. Le lecteur a certainement rencontré déjà cette expression obscure et redoutable, dont on parle beaucoup depuis quelques années sans jamais l’expliquer. En fait, seuls les physiciens sont à même de la comprendre vraiment parce qu’ils ont été les premiers et jusqu’ici les seuls à en avoir besoin. Changer de paradigme, cela veut dire tout simplement que l’on se met à admettre comme normal quelque chose que tout le monde jusqu’ici tenait pour rigoureusement impossible et absurde. Revenons à l’être mystérieux d’Olduvai. Il avait des pieds avec un talon et une voûte plantaire, donc il marchait debout, donc il avait des mains. Jusque-là, tout est certain. Peut-on poursuivre : il avait des mains, donc il avait aussi le pouvoir de conceptualisation qui seul fait que les mains sont un avantage ? Supposer le contraire est « absurde », c’est certain. Absurde, donc faux ? Tout est là. Ceux qui raisonnent ainsi supposent qu’ils savent tout des mécanismes de l’évolution, que rien, dans l’évolution, ne saurait se produire qu’ils ne comprennent pas. Me permettra-t-on de donner mon avis d’amateur lisant avec la même docilité ce que disent les physiciens et ce que disent les paléontologistes ?8 Mon avis, très modeste, est que dans l’évolution, il a pu se passer des choses infinies en nombre, ou en difficulté, ou les deux, dont les darwiniens n’ont rigoureusement aucune idée, les pauvres myopes ; que l’évolution repose au moins sur les lois de la physique (sinon aussi sur d’autres) ; et que ces seules lois nous invitent à étudier l’évolution en laissant nos petites idées au vestiaire. Nous serions sans doute stupéfaits de voir de nos yeux ces êtres qui, il y a si longtemps, ont lentement pris le chemin de l’humanité, accomplissant un dessein qui de toute façon nous dépasse, puisque nous ne savons pas (je veux dire par la science) où nous allons9Aimé MICHEL (a) Masson édit., Paris 1977, tome III, p. 334. Chronique n° 308 parue dans F.C. – N° 1635 – 14 avril 1978 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 1er février 2016

 

  1. Aimé Michel en ce début d’année 1978 était fasciné par la découverte des traces du dernier « premier homme » qu’on venait alors de trouver. Il avait hâte d’en parler comme il l’avait annoncé à la fin de la chronique n° 306, Supposez que je sois Brejnev – Vanité de la politique seule et importance de la supériorité technique (16.08.2014). Il en a donc parlé à chaud, alors que ces traces n’avaient pas encore été entièrement dégagées, ce qui explique les petites erreurs et imprécisions de son texte.
  2. En réalité Laetoli est situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de la gorge d’Olduvaï. Dans deux de ses livres, Lucy (avec Maitland Edey, trad. O. Demange, Laffont, 1983, pp. 277 et sq.) et La fille de Lucy (avec James Shreeve, trad. B. Seytre, Laffont, 1990, pp. 202 et sq.), le paléoanthropologue américain David Johanson relate l’extraordinaire concours de circonstances qui a conduit à leur formation et à leur découverte, ainsi que les difficultés techniques et les conflits de personnes auxquelles ont donné lieu leur dégagement, leur préservation et leur interprétation. « Il a fallu que le Sandiman crache un type de cendre bien particulier. Il a fallu qu’il pleuve presque immédiatement après. Il a fallu que des hominidés emboîtent le pas à la pluie. Il a fallu que le soleil sorte rapidement et durcisse leurs empreintes. Il a fallu ensuite qu’une nouvelle éruption du Sandiman vienne les recouvrir et les préserver avant qu’une nouvelle averse ne les efface. Et il a fallu que tout cela se passe en quelques jours seulement. Il a fallu que l’activité du volcan concorde avec celle des saisons. (…) En fait, il fallait que les conditions fussent exactement celles du début de la saison des pluies : des averses sporadiques, émaillées d’éclaircies avec un soleil brûlant. » (Lucy, pp. 283-284). « Trois millions et demi d’années de dépôts, de fractures et d’érosions ramenèrent les empreintes à la surface, les rendant à nouveau vulnérables. Elles avaient heureusement été découvertes avant d’être détruites » (La fille…, p. 203). Pour des photos des traces, voir par exemple http://hominines.portail-svt.com/articles.php?lng=fr&pg=181&mnuid=3242&tconfig et pour un plan d’ensemble, voir l’article de N. Agnew et M. Demas, « Preserving the Laetoli Footprints », Sci. Am., Sept. 1998, pp. 44 et sq. http://www.biorules.org/Biology/articles/hist_life/laetoli_human_track.pdf. J’ai emprunté les anecdotes de la note 4 aux deux livres de Johanson.
  3. Sur les autres découvertes de la vallée d’Olduvaï en Tanzanie et sur la famille Leakey, on pourra lire la chronique n° 122, Les préhumanités : question pour l’homme – La découverte du crâne KNM-ER-1470 et l’inévitabilité d’un homme, 7.5.2012. Mary Leakey, née à Londres en 1913, contracta sa passion de l’archéologie en Dordogne lorsque son père, Erskine Nicol, peintre paysagiste, s’installa aux Eyzies. La famille se lia d’amitié avec un préhistorien français qui lui fit découvrir les peintures préhistoriques. Plus tard, en Angleterre, elle illustra l’ouvrage d’une préhistorienne, laquelle lui présenta Louis Leakey. Louis et Mary se marièrent en 1936 et s’installèrent au Kenya où Louis était né. Mary y commença des fouilles. En 1948, elle découvrit une face complète du singe proconsul, puis, en 1959 à Olduvaï, un crâne d’australopithèque baptisé Zinj, suivi en 1960 de plusieurs vestiges d’une espèce appelée par la suite Homo habilis. Après la mort de son mari en 1972, ce fut l’exploration de Laetoli (voir note suivante). Mary est décédée à Nairobi en décembre 1996.
  4. Le site de Laetoli attira Louis Leakey en 1935 car il soupçonnait que ses dépôts remontaient au Pliocène (il y a entre 2 et 5 millions d’années Ma), ce qui fut confirmé bien plus tard par la méthode du potassium-argon. Il avait toutefois l’inconvénient d’être couvert de végétation, ce qui cache les fossiles superficiels. Leakey tenta d’y trouver des fossiles hominiens mais il rentra bredouille (pas complètement cependant car il en avait ramené sans le savoir une dent d’australopithèque : il l’attribua à tort à un babouin ; elle ne fut identifiée qu’en 1979) et il préféra s’installer à Olduvaï. Il fut suivi en 1938-1939 par un Allemand, Kohl-Larsen, qui y fit quelques trouvailles. En 1974, Mary Leakey y revint. Un de ses prospecteurs kenyans trouva un fossile d’hominidé et, au cours des années qui suivirent, elle-même et ses ouvriers trouvèrent des dents, certaines associées à des fragments de mâchoire. En 1976, trois membres de l’équipe se livraient, par jeu, à une bataille à coups de bouse sèche d’éléphant. L’un d’eux, Andrew Hill, tomba dans un lit de rivière à sec sur des empreintes de pas dans la cendre solidifiée. L’année suivante on trouva de grandes traces d’éléphants et, à côté des traces ressemblant à des empreintes humaines. Mary Leakey les révéla lors des conférences de presse et d’interviews aux États-Unis qu’Aimé Michel relate. Elles soulevèrent l’enthousiasme. Quand Mary Leakey revint à Laetoli, elle était accompagnée de Louise Robbins, la spécialiste américaine des traces de pas. Mais les autres chercheurs sur place doutaient des interprétations de Mary et les discussions allaient bon train. L’un d’eux, le géochimiste Paul Abell, trouva une empreinte plus nette, presque sûrement hominienne à son avis. Tim White et Peter Jones le confirmèrent mais non Louise Robbins qui y vit une empreinte de bovidé. Mary Leakey, exaspérée, trancha : il n’y aurait pas de fouille car il y en avait beaucoup trop d’inachevées sur le site. Elle consentit toutefois à laisser un aide, Ndibo, le responsable de l’entretien, creuser un peu. Celui-ci revint le lendemain en disant qu’il y avait une seconde empreinte de 30 cm. Mary, sceptique, alla quand même voir et dut se rendre à l’évidence : elles étaient là et incontestablement hominiennes. White fut autorisé à commencer une fouille en règle. Il était très difficile de dégager les empreintes suivantes sans les détruire, à cause des racines du gazon, et de dégager la bonne couche de cendres au milieu d’une dizaine de couches très mince. White versa une faible quantité de solvant dans les empreintes ce qui assombrissait le remplissage et permettait de l’enlever sans altérer la surface de l’empreinte elle-même. Travaillant avec lenteur, centimètre par centimètre, ses collègues et lui dégagèrent à la fin de l’été cinquante empreintes sur une distance de 23 mètres. Au-delà elles disparaissaient mais une petite tranchée creusée plus loin montra que la piste se prolongeait. En 1979, les fouilles reprirent mais sans White que ses querelles avec Louise Robbins avaient rendu indésirable. Le paléontologue anglais Ron Clarke et Mary dégagèrent les empreintes, lui avec la technique de Tim White, elle avec un maillet et un burin. Des moulages furent pris des 70 empreintes disposées selon deux pistes notées G1 et G2/3. La plupart des dizaines d’articles sur la locomotion des premiers hominidés – longueurs des pas, démarches, empreinte des orteils, équilibre, allure etc. – ont été écrits grâce à ces moulages. À la fin, pour les protéger des racines, des animaux et des vandales, les pistes furent recouvertes de sable, de bâches et de blocs de lave. Elles ont été dégagées en 1995 pour s’assurer de leur conservation (déjà la vingtaine de traces les plus au Nord avaient été détruites par l’érosion) puis à nouveau, en partie, en février 2011, en raison d’un projet de musée sur le site.
  5. Cette indication sur les « ossements appartenant à une vingtaine d’individus » n’a pas été confirmée par la suite. En réalité on a trouvé très peu de fossiles d’hominidés à Laetoli, et de mauvaise qualité : des morceaux de mâchoires et quelques dents (voir note précédente). Par contre l’attribution de ces traces de pas à des hominidés a été confirmée : ces bipèdes sont des australopithèques Australopithecus afarensis selon la majorité des chercheurs. C’est l’espèce d’australopithèque la plus célèbre depuis la découverte, en 1974, sur le site de Hadar, en Éthiopie, d’un squelette complet à 40 % (ou 70 % en tenant compte de la symétrie du corps), baptisé Lucy, mis au jour par une équipe franco-américaine codirigée par Yves Coppens, Donald Johanson et Maurice Taieb. Cette espèce vécut de 4,4 à 2,6 Ma sur les territoires correspondant aujourd’hui à l’Éthiopie, la Tanzanie et peut-être le Kenya. En outre les restes d’hominidés découverts sur le site présentent des affinités avec Lucy. Il est peu d’autres conclusions sur lesquelles l’accord soit aussi bon. On ne s’accorde pas sur le nombre d’individus qui ont laissé ces empreintes : un seul pour la piste G1, dont les empreintes sont petites, mais combien pour G2/3, qui sont plus grandes et moins nettes ? Un seul, ont répondu certains dont Ron Clarke. Deux, ont estimé Mary Leakey et la plupart des chercheurs, le second ayant partiellement recouvert les empreintes du premier en marchant dans ses traces. (L’un des principaux arguments en faveur de cette interprétation était une marque de talon dans une des empreintes de G2/3, à quelques millimètres d’une autre empreinte de talon, mais Clarke, au grand scandale de certains, l’attribuait au burin de Mary Leakey qui aurait creusée dans le revêtement calcaire de l’empreinte). Peut-être, dirent les plus imaginatifs, un mâle et un jeune (G2/3) accompagnés d’une femelle (G1), formant une « première famille ». Trois, soutient aujourd’hui une équipe internationale (Neffra Matthews, Brent Breithaupt et Charles Musiba) qui, à l’aide des photos tridimensionnelles des traces prises lors de l’excavation de 2011, a trouvé qu’un 4e individu avait marché dans les mêmes traces que les deux autres ; cette équipe soutient également que les impressions des pas des quatre individus seraient en réalité identiques et d’une longueur de 19 cm (http://www.livescience.com/16894-human-ancestor-laetoli-footprints-family.html). On ne s’accorde pas non plus sur le type de bipédie de ces individus. Pour les uns, dont Owen Lovejoy de Cleveland, il s’agit d’une bipédie occasionnelle comme les grands singes actuels. Ainsi, pour Yvette Deloison, chercheuse au CNRS, les trois empreintes de G1 qu’elle a pu analyser d’après les moulages de Ron Clark sont plus proches de celles d’un chimpanzé que d’un homme. En outre, elle suggère que les deux pistes n’ont pas été imprimées en même temps, car leurs conditions de conservation sont différentes, bien meilleures pour G1 que pour G2/3 (http://www.hominides.com/html/references/empreintes-pas-laetoli-deloison.php). Pour les autres, leur bipédie est permanente, comme celle des hommes. David Raichlen de l’université d’Arizona et ses collègues fondent cette conclusion sur la comparaison des empreintes de Laetoli à celles laissées par des humains marchant debout ou accroupis, à l’aide d’une méthode qui permet de distinguer des différences dues à la morphologie du pied et à la cinématique de la marche (PLoS One, 2011, http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0009769). Robin Crompton de l’université de Liverpool et ses collaborateurs ont procédé de même ; ils ont élaboré un modèle numérique des empreintes de Laetoli s’affranchissant des déformations parasites liées à l’érosion ou aux termites et les ont ensuite comparées à celles laissées par l’homme (debout ou accroupi), le chimpanzé et l’orang-outan. Ils concluent que les empreintes de Laetoli se rapprochent de celles de l’homme lorsqu’il se tient droit et que, comme chez ce dernier, c’est l’avant du pied, en particulier le gros orteil, qui dirige la marche (J. R. Soc. Interface, 2012, http://rsif.royalsocietypublishing.org/content/9/69/707.short). Il ne nous reste donc qu’à attendre encore un peu pour que de ces discussions émergent une synthèse plus facile à résumer !
  6. Aimé Michel résume ici la thèse, proposée notamment par le préhistorien André Leroy-Gourhan, selon laquelle la main est une préadaptation puisque la marche bipède est apparue avant le cerveau capable de l’utiliser à des tâches telles que la fabrication d’outils. Cette thèse est aujourd’hui soutenue par de nouveaux arguments paléontologiques, notamment la découverte d’Ardi (Ardipithecus ramidus, 4,4 Ma) en Éthiopie et d’Orrorin (Orrorin tugenensis, 6 Ma) au Kenya, tous deux ancêtres déjà bipèdes des australopithèques, voir la note 2 de la chronique n° 98, Sous le lampadaire et à côté, 26.07.2010.
  7. L’expression « changement de paradigme » a été mise à la mode par l’historien des sciences Thomas Kuhn au début des années 70, voir la chronique n° 294, Sur le seuil de la nouvelle physique – Une lettre de Olivier Costa de Beauregard, 24.03.2014. Michel suggère que de telles préadaptations (il en existe d’autres exemples) appellent un changement radical de notre conception du temps et de la finalité en accord avec les conceptions de physiciens comme Costa de Beauregard ou Alfred Kastler (voir la chronique n° 157, L’apologue d’Alfred Kastler – D’où vient l’information qui se manifeste dans la complexité des êtres vivants ?, 03.06.2013).
  8. Cet « avis d’amateur lisant avec la même docilité ce que disent les physiciens et ce que disent les paléontologistes » est typique de la méthode d’Aimé Michel : refuser les œillères propre à une discipline, confronter les conclusions de disciplines différentes et tenir compte de ce qui semble acquis, « évident » ou simplement possible pour les praticiens de telle discipline ne l’est pas (ou est ignoré) de ceux de telle autre. C’est en ce sens qu’il se définit comme « spécialiste de la non spécialité ». Sur ce point important pour comprendre son œuvre et, de façon plus générale, se frayer un chemin dans le maquis des connaissances, on pourra consulter les chroniques n° 82, La question et le carcan – Poseurs de questions et spécialistes de la non-spécialisation (12.08.2011), n° 374, Quand l’adversaire éventuel nous dit ses points faibles – La défense de l’Europe face à l’Union soviétique dans les années 1980 (20.07.2015) et n° 288, Le jardin de la genèse a existé – À propos d’un livre « téméraire et génial » de Jean-Jacques Walter (27.07.2015).
  9. Toujours cette affirmation, fondée sur ce qu’on sait de l’évolution cosmique et de la vie sur Terre, que l’univers va quelque part même si la science ne sait pas où, mais qu’on peut tenter de le deviner un peu. Cette vision du monde qui sous-tend les présentes chroniques est explicitée par exemple dans les n° 257, Le Dieu des savants – Les horreurs de la nature et la loi morale dans un univers animé par une pensée (25.02.2013) et n° 326, L’amour n’est pas une erreur de la nature – Nous cherchons librement notre achèvement dans un monde infiniment compliqué (03.03.2014).