Lorsque je suis revenu à Los Gatos venant de Georgetown, j’ai mentionné dans un article (The Catholic Thing, 15 avril 2013) que dans la propriété nous avions cinq « baudets ». Ils étaient natifs du pays. J’ai rapporté qu’ils étaient dans un champ ai-dessus de la maison et qu’ils m’avaient suivi un après-midi sur le sentier qui menait à leur enclos. La scène donna l’occasion à certains de nos frères de faire quelques commentaires savants sur la nature des « disciples » de Schall.
Entretemps, deux des ânesses eurent des petits, de mignonnes petites bêtes en fait. Le baudet, qui n’était pas un monogame pratiquant, et les deux ânesses, peuvent être à la différence des mules tout à fait aptes à reproduire leur espèce. Les ânes devinrent la curiosité locale. Nous avions des sentiers qui traversaient la propriété avec des panneaux « Accès interdit » sur les clôtures.
Ces ânes n’avaient pas d’utilité évidente. J’ai proposé un jour au supérieur, pour subvenir aux dépenses d’entretien, de proposer des promenades à âne pour deux dollars. il pensa que c’était une idée splendide et, astucieusement, chargea Schall de gérer l’opération. On n’entendit plus jamais parler de cette proposition en elle-même excellente.
Grâce aux jésuites italiens qui la fondèrent au XIXe siècle, cette institution avait un établissement viticole «(« Noviciat de Los Gatos ») avec des arpents de vignobles. On utilisait les ânes pour labourer les pentes abruptes de la colline derrière la maison. Aujourd’hui ils jouent plutôt le rôle d’animaux familiers. Et c’est l’origine de leur triste destinée que je veux maintenant raconter. C’est un exemple classique de ce qui arrive dans une société hyperlégalisée.
Un après-midi, je descendais une des collines lorsqu’une dame plutôt excitée m’arrêta. Elle se plaignit que les ânes étaient trop maigres. Nous, les Jésuites, nous les affamions. Naturellement je protestai de notre innocence et démentis toute volonté délibérée d’« asinocide ». Edgar, le gardien local des animaux, m’assura que les ânes étaient bien nourris et abreuvés. Ils broutaient avec satisfaction sur les pentes herbues qui entouraient la maison.
Beaucoup de gens venaient. Ils donnaient aux ânes de l’alimentation humaine qui, quoique bien intentionnée, n’était pas vraiment bonne pour eux. La rumeur dit que cette dame posa le problème à la Humane Society [SPA américaine, NDT]. Les supérieurs imaginèrent en gros titre dans le journal local : « Les Jésuites affament les ânes » ;
Mais ce n’était que le début. En particulier à la naissance des ânons, les mères amenèrent leurs petits enfants pour les voir. Les plus agiles grimaient par-dessus la clôture pour caresser et embrasser les ânes. C’était un charmant spectacle. Les enfants adoraient.
Les ânes cependant sont des animaux. C’est un premier principe, comme l’a dit Aristote. Ils peuvent ruer, mordre et baver. Le spectre de l’intervention d’avocats apparut. Même avec « Accès interdit », si un enfant recevait un coup de sabot, on aurait en gros titre : « Un âne jésuite donne un coup de sabot à un jeune du pays ». Vous voyez le problème ?
Anticiper le pire scénario est une fonction de l’esprit humain. Ainsi, suivant ce que dit saint Ignace à propos d’une décision à prendre, il fut décidé de trouver une autre domicile pour nos braves ânes. Même en prenant toutes les précautions, il y a peu de possibilités d’échapper à une masse de poursuites dans une telle situation.
Ainsi la prudence de ce monde décida que les gardiens des ânes se mettent à la recherche d’autres fermes qui achèteraient ou prendraient les animaux. On trouva bientôt suffisamment d’endroits. Les amitiés des ânes et les familles se furent rompues. Les menaces des avocats dirigent le pays.
Maintenant notre propriété n’entend plus le « hi-han » familier que poussait le baudet pour éveiller un jésuite somnolent ou nourrir une bonne conversation au déjeuner. Notre séjour est maintenant plus silencieuse. Nous avons eu un jour des chevaux et des poulets mais, comme les ânes, il n’y en a plus.
De ma jeunesse, je me rappelais les fermes de mon oncle quand il y avait encore des fermes familiales en Iowa. J’ai un vivant souvenir des bruits de la ferme – vaches, chevaux, mules, poules, coqs, chats, chiens, taureaux, cochons, moutons, dindons, tracteurs, moulins à vent, pour ne pas parler des oiseaux et des animaux des champs. On racontait, je m’en souviens,qu’on entendait par les chaudes nuits de l’été pousser le maïs. Aujourd’hui nous entendons, en bas, le bruit de l’autoroute vers Santa Cruz, au-dessus, les avions, et, partout, les téléphones cellulaires. Quel était le nom de cette chanson ? « Les bruits du silence » ?
Les ânes apparaissent dans la Bible. Le roi David en chevauchait un. Jésus lui-même le dimanche des Rameaux entra à Jérusalem monté sur un âne. On dit que Marie gagna l’Egypte sur un âne. J’ai lu quelque part que selon la loi musulmane les chrétiens ne pouvaient pas aller à cheval mais devaient utiliser des ânes.
Les ânes sont de fameuses « bêtes de somme » pour la montagne et les sentiers un peu rudes. Ils ont le pied sûr. Ils partagent, dit-on, avec les mules la qualité d’entêtement, qualité sur laquelle il y aurait beaucoup à dire.
L’histoire de Cecil, le lion africain [blessé, poursuivi et tué dans un réserve par un amateur d’armes américain, NDT], est-elle plus triste que l’ombre que la loi étend sur notre famille d’ânes ? Je ne m’aventurerais pas à en juger. Les « droits » « responsabilités » des animaux et les ont ces jours-ci d’étranges conséquences, même dans les collines, aujourd’hui plus silencieuses, qui dominent Los Gatos.
Mardi 18 août 2015
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/08/18/on-the-fate-of-jesuit-donkeys/
James V.Schall, sj, qui a été professeur à Georgetown University pendant trente-cinq ans, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques d’Amérique. Ses livres les plus récents :The Mind That is Catholic [« L’esprit qui est catholique »], The Modern Age [« L’Âge moderne »], Political Philosophy and Revelation : A Catholic Reading [« Philosophie politique et révélation : une lecture catholique »] et Reasonable Pleasures [« Plaisirs raisonnables »].