Un jour, comme Platon nous le raconte dans le Meno, un homme appelé Socrate prit un esclave sans éducation et démontra que son âme en savait plus que son corps.
Socrate a montré que ce garçon, était capable de saisir un principe géométrique puis de l’appliquer universellement sans s’inquiéter des conditions physiques particulières qui pourraient se présenter dans un cas donné.
Pour illustrer plus simplement l’argument de Socrate : que font un milliard d’objets plus deux milliards d’objets ? Je parie bien que vous connaissez la réponse, mais vous ne la connaissez pas par votre corps. Après tout, vous n’avez jamais vu une pile d’un milliard d’objets physiques comptés et ajoutés à une autre pile d’exactement deux milliards d’objets – et vérifié ensuite physiquement pour être sûr que la nouvelle pile contient trois milliards d’objets.
Vous n’avez pas besoin de faire cette expérience physiquement, et vous n’avez pas besoin de vous renseigner sur la composition physique des objets ni sur les forces physiques qui opèrent dans la région. Vous n’avez besoin d’aucune information physique, ce qui veut dire que quand vous savez qu’un milliard plus deux milliards font trois milliards, vous savez quelque chose d’immatériel.
Et si vous êtes capable de connaître quelque chose d’immatériel – si vous pouvez engager l’immatériel de quelque façon que ce soit – cela veut dire que vous devez être en partie immatériel vous-mêmes.
Mais ce n’est que le commencement. Car une fois que vous pouvez percevoir quelque chose d’immatériel, vous pouvez continuer à l’engager autrement.
Par exemple, vous pouvez poursuivre l’immatériel. Prenez la poursuite du gain financier. Où est l’argent ? Qu’est-ce que l’argent ? S’agit-il de billets, de pièces de monnaie, ou de morceaux de code dans l’ordinateur de votre banque ? Naturellement, ce peut être n’importe lequel ou aucun de ceux-ci. L’argent est en quelque sorte un symbole du potentiel juridique et quantifiable permettant de recevoir des biens matériels et des services de tiers sur demande – et une potentialité n’est pas quelque chose que vous pouvez entendre, toucher ou goûter.
G.K. Chesterton raconte une histoire amusante sur l’achat d’un cigare et l’oubli de le payer pendant ses vacances en Allemagne. Ne parlant pas l’allemand, il retourna au magasin pour essayer de payer le cigare, mais le propriétaire, qui ne s’était pas non plus rendu compte que le cigare précédent n’avait pas été payé pensa que Chesterton lui donnait de l’argent pour un autre cigare. Aucun geste ni expression faciale ne pouvait exprimer l’idée de dette, car ce que l’argent symbolise n’est pas, en soi-même, quelque chose que vous pouvez montrer du doigt ou regarder. Chesterton ne pouvait donc pas communiquer la situation et le vendeur de cigares ne voulait pas prendre l’argent.
Le fait est que toute vie humaine, en particulier la vie contemporaine, est inextricablement liée aux notions de dette, de finance et d’économie, qui sont toutes immatérielles. Certains économistes peuvent prétendre qu’ils sont matérialistes, mais en fait, ce qu’ils traitent tout le temps, est du domaine spirituel.
Un autre exemple : la peur de parler en public. Ce phénomène est en fait un cas de réaction émotionnelle à l’immatériel. Cela vous est probablement arrivé, et généralement c’est accompagné par un symptôme physique : tremblement des genoux, transpiration des paumes de la main, accélération du rythme cardiaque, tremblement des mains. Mais de quoi l’orateur potentiel a-t-il peur ? Craint-il que l’assistance lui lance des objets, ou lui enlève sa nourriture, ou le morde, s’il ne parle pas bien ? Craint-il une menace physique ?
Evidemment pas. Il a peur de menaces non-physiques, telles que la honte, l’échec, le ridicule. Et sa peur est tellement réelle que son corps réagit à ce qui n’est pas corporel. Sa chair répond au spirituel.
C’est ce que signifie être humain : avoir une double citoyenneté, naviguer constamment dans deux mondes, le matériel et le spirituel, simultanément. C’est ce que signifie être fait d’un corps et d’une âme.
Malheureusement, les satisfactions du corps et de l’âme sont souvent exclusives – le plaisir physique et le bonheur spirituel se font souvent concurrence.
Mais il existe une expérience dans laquelle le corps ressent du plaisir à ce que l’âme perçoit comme vrai et bon. Cette expérience est l’appréciation de la beauté.
La beauté est clairement une réaction à quelque chose d’immatériel. Pensez à votre roman préféré : ce que vous aimez dans ce roman n’est pas tant la couleur de l’encre ou l’odeur des pages. C’est quelque chose qui n’est pas accessible aux sens.
Et cependant quelque chose dans le roman, quelque chose au sujet de l’histoire qu’il raconte, vous a coupé le souffle. Vous avez peut-être pleuré. Votre colonne vertébrale vous a peut-être picoté. Mais vous avez ressenti quelque chose.
C’est le pouvoir de la beauté – d’unir les parties de la personne humaine qui vivent si souvent dans la tension. La beauté, qui offre une image spiritualisée en peinture, son ou paroles, rassemble le corps et l’âme dans la joie.
Le fait de la beauté montre que nous ne sommes pas simplement des machines composées d’atomes, de cellules et d’organes. Il témoigne de l’existence de l’âme humaine.
Mais la beauté fait plus que cela. La beauté nous dit ce que nous sommes, mais elle intègre aussi ce que nous sommes. Si nous voulons jamais être humains dans le sens le plus complet, la beauté doit avoir un rôle à jouer. Parce que la beauté est ce qui fait la joie d’être humain.
Source : https://www.thecatholicthing.org/tag/john-mark-l-miravalle/
Image de la beauté : La Vierge en prière de Sassoferrato (Giovanni Battista Salvi de Sassoferrato), c. 1645 [National Gallery, Londres.]
John-Mark L. Miravalle est professeur de théologie Systématique et Morale au Séminaire du Mont Ste Marie dans le Maryland. Il a écrit quatre livres dont le plus récent est Beauty: What It Is & Why It Matters. [La beauté, ce que c’est et pourquoi elle est importante.]