Qu’on le veuille ou non, toute une rhétorique en cours diffuse le sentiment de la dangerosité du religieux, responsable des poussées de fanatisme qui ensanglantent le monde. La seule formule pacifiante et civilisatrice serait celle d’une laïcité qui briderait les démons du fondamentalisme. La loi religieuse s’inclinant devant la loi civile, ou républicaine, on pourrait trouver l’équilibre indispensable à la vie sociale, qui exige d’abord de refouler le plus possible ce qui relève de la foi vers la vie privée. La charge polémique de cette rhétorique est évidente et se rapporte à des confusions et à des amalgames propres à égarer les esprits. Pour les chrétiens, la distinction du spirituel et du temporel est une évidence, qui trouve sa référence directe dans une affirmation de Jésus lui-même. C’est pourquoi il n’y a jamais eu pour eux de difficultés à admettre la législation civile qui relève des obligations du bien commun identifié par la raison. Et ce qu’on appelle loi divine ne saurait s’opposer à cette législation, parce qu’elle consiste purement et simplement à garantir l’intégrité humaine contre ce qui risque de la blesser ou de l’anéantir.
S’il existe des conflits entre l’autorité du législateur et celle du magistère, ils concernent le respect de cette intégrité. Qui pourrait nier que les dix commandements de l’Ancien Testament sont à l’unique service de l’humanité et qu’ils garantissent les fondements mêmes de la vie sociale ? Il n’y a pas lieu de les confondre avec des prescriptions proprement religieuses qui concernent l’existence de la communauté chrétienne. La laïcité n’a de sens qu’à garantir la saine autonomie du politique pour la meilleure coexistence des citoyens. Mais elle ne saurait, sans se trahir, se substituer au religieux dont le domaine n’est nullement limité à la discrétion de la vie personnelle. Le religieux, qui relève d’un ordre particulier, celui de la charité, constitue cette étoile sans laquelle se perd le sens même de la vie sociale. Même si nous ne vivons plus sous le régime médiéval de la primauté du spirituel, il est de la plus haute importance que la cité moderne découvre une architectonique originale où se composent toutes les données civilisatrices. Ce n’est pas imposer à tous la foi que de donner le témoignage de la révélation sur les grandes énigmes humaines. Au moment de rentrer dans la grande semaine qui conduit à Pâques, il est plus que jamais nécessaire que les chrétiens puissent attester publiquement de la perspective qu’ils ont de la dramatique humano-divine et de son dénouement dans un Salut qui donne un sens supérieur à toute notre histoire.
Pour aller plus loin :
- Le rite et l’homme, Religion naturelle et liturgie chrétienne
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte