Mgr Robert Hugh Benson (1871-1914) est surtout connu aujourd’hui pour son livre de 1908, Lord of the World, (Le Maître de la Terre, ndt) salué par de nombreuses personnes de différentes dispositions comme l’un des premiers romans dystopiques de la littérature.
Mais entre 1904 et 1907, Benson a publié sa trilogie de la Réforme : The King’s Achievement et By What Authority? (tous deux en 1905) ; et The Queen’s Tragedy (1907). Ensemble, ils constituent un antidote parfait au révisionnisme de nombreux ouvrages d’histoire et de fiction récents qui dépeignent la « grandeur » du roi d’Angleterre Henry VIII.
Benson a écrit By What Authority? en premier, mais par ordre de sujet, il est le deuxième de la trilogie, étant donné qu’il s’agit d’Elizabeth I (The King’s Achievement traite de son père). The Queen’s Tragedy raconte l’histoire de Marie Tudor.
L’histoire de la vie de Mgr Benson relève presque de la fiction. En tant que fils de l’archevêque de Canterbury, le jeune Benson était une sorte de prince au sein de l’Église d’Angleterre.
Le père de Benson l’ordonna aux ordres anglicans en 1895, mais en 1903, Robert entra dans l’Église catholique et, un an plus tard, fut ordonné prêtre. Sa décision de traverser le Tibre fit sensation en Angleterre, autant, sinon plus, que celle de John Henry Newman.
The King’s Achievement commence en 1533 à Overfield, le manoir de Sir James et Lady Torridon et de leurs enfants adultes. Leurs fils sont Ralph, employé par Thomas Cromwell (ministre en chef d’Henry VIII), et Christopher, qui discerne et choisit une vie monastique catholique.
Les fils arrivent ensemble à la maison et, lors du dîner avec leurs parents, la conversation est tendue. Sir James tente d’atténuer l’enthousiasme catholique de Chris, tout en espérant que Ralph fera preuve de modération dans ses commentaires concernant la nouvelle épouse d’Henry VIII, Ann Boleyn.
C’est une introduction idéale aux divisions émotionnelles et intellectuelles qui allaient déchirer l’Angleterre, principalement à cause de la rupture avec Rome sur le souhait du roi d’annuler son premier mariage. Henri avait été surnommé « défenseur de la foi » par le pape Léon X en 1521 en reconnaissance de son livre, Défense des sept sacrements, qui défendait la nature sacramentelle du mariage et la suprématie papale. Le roi conserve ce titre papal mais, par le biais de l’acte de suprématie, il se proclame chef suprême de la nouvelle Église protestante d’Angleterre.
Et il commence à effacer le catholicisme, à la fois subtilement et violemment.
Tandis que Chris se rend au prieuré bénédictin de Lewes pour devenir moine, Ralph est envoyé par Cromwell chez Sir Thomas More, qui est maintenant à la retraite à Chelsea. Ralph ne parvient pas à convaincre More de faire des déclarations accablantes sur l’Acte de Suprématie – et obtient bien plus que ce qu’il avait prévu : il tombe amoureux de Béatrice, une jeune femme qui rend quotidiennement visite à la famille More.
Au fur et à mesure que les choses évoluent, Sir Thomas est clairement en danger, et Beatrice écrit à Ralph pour lui demander de l’aide. C’est là que le bât blesse, Ralph l’aime mais :
Une autre considération pour Ralph était son devoir envers Cromwell ; il ne pensait guère qu’il était convenable de lui mentir de tout cœur ; et d’autre part, il se sentait maintenant tout simplement incapable de mentir à Béatrice. Il n’y avait qu’un seul moyen de s’en sortir : tergiverser avec eux deux.
Une toile emmêlée. Aucun homme ne peut servir deux maîtres, surtout quand l’un est une maîtresse.
De nombreuses nations ont connu des changements déchirants (la France en 1789, la Russie en 1917), mais le Londres de la Réforme, qui était tout à fait un État policier à l’image du Paris jacobin ou du Moscou bolchevique, a été à sa manière plus tumultueux : catholique, puis protestant, puis à nouveau catholique, et enfin protestant – le tout en un quart de siècle.
Une partie du plaisir de lire Mgr Benson vient de l’art avec lequel il entrelace les personnages réels et fictifs.
En outre, je n’ai jamais lu de description plus détaillée ni plus vivante de la formation monastique, ni de meilleur aperçu de la politique de la cour anglaise de la Réforme. Sur ce dernier point, le livre est aussi fascinant et divertissant que A Man for All Seasons (Un homme pour l’éternité, ndt) de Robert Bolt.
Et la prose de Mgr Benson est remarquable. Dans ce passage, Chris, devenu moine, pense avec nostalgie au monde hors des murs du prieuré :
Là-bas, à travers les transepts, se trouvait la ville où les gens raisonnables dormaient, mari et femme ensemble, et les enfants dans le grand lit d’à côté, avec le jour ordinaire et tranquille derrière eux et son compagnon devant… Au-delà s’étendaient les fraîches collines rondes, avec leurs sombres pentes couvertes de rosée, qu’il avait chevauchées l’année précédente, et toute l’Angleterre au-delà encore, avec sa vie humaine, ses affaires et ses intérêts ; et au-dessus de tout cela flottaient les étoiles sereines d’où Dieu regardait, satisfait de tout ce qu’il avait fait.
Et ainsi va le roman : le déroulement d’une période de grande crise vue à travers les expériences de frères des deux côtés du conflit. À plusieurs reprises, alors que je lisais les grands crimes du roi contre les catholiques, j’ai fait le signe de la croix, car il est presque inimaginable de voir ce qu’Henri VIII fut prêt à faire pour purger le catholicisme de la vie anglaise – et ce, non pas au nom d’une réforme fondée sur des principes, mais pour satisfaire sa luxure et son orgueil désordonnés. Les descriptions du martyre faites par Benson sont géniales, un mot que j’utilise dans son sens littéral.
Robert Hugh Benson était également un écrivain judicieux. Dans son roman, il traite des personnages disparates de manière dépassionnée, voire généreuse, en présentant des arguments anglicans pour justifier la rupture avec Rome : qu’il n’appartenait pas à un bon catholique de résister à son prince, que l’Apôtre lui-même enjoignait d’obéir à ceux qui détiennent l’autorité, que la nouvelle lumière de l’érudition avait éclairé des problèmes perplexes et que, dans l’incertitude, il était plus sûr de suivre le devoir certain de l’obéissance civile.
Les catholiques des Tudors pensaient qu’ils pouvaient rester catholiques et espéraient que le roi se repentirait et reviendrait en arrière. Peut-être que l’épouse suivante du souverain le ramènerait à la maison !
Tout cela allait cesser dans l’Angleterre élisabéthaine ; la flamme de la foi allait vaciller au point de s’éteindre. Elle semblait condamnée après la mort de Marie Tudor. Mais elle n’est pas morte et ne mourra jamais.
Il est temps pour un renouveau de Robert Hugh Benson.