L’éminent théologien suisse moderne Hans Urs von Balthasar a considéré la situation délicate du croyant qui est sur la ligne de front. Pour lui, les croyants jouent « le rôle intégral de l’Eglise dans un environnement non chrétien ou anti-chrétien » (Theo-drama). Dans une telle situation, le croyant baptisé représente le Christ.
Ceux qui agissent ainsi englobent les saints mais aussi beaucoup de gens non-canonisés. L’histoire de l’Eglise est remplie de grands hommes et femmes qui ont relevé le défi. Si bien que « même dans les siècles considérés comme chrétiens, un individu comme Otto de Bamberg a pu montrer à l’empereur et à la chrétienté la réelle signification de la mission. »
Maximilien Kolbe à Auschwitz. Madeleine Delbrêl sous le communisme. Ces gens merveilleux et beaucoup d’autres « ont témoigné dans des camps de concentration, dans des tribulations, dans l’Archipel du Goulag, de ce qui est l’essence la plus profonde de ce que nous nommons l’Eglise ; ils l’ont fait avec telle clarté de parole et d’action que cela a réduit au silence même l’adversaire le plus malveillant. »
D’épouvantables éventualités surviennent cependant, » quand les témoins ont à accepter la mission de rendre témoignage d’une Eglise qui ne professe plus un appel clair. » Bien sûr, il y a les expériences de grands personnages comme Athanase. Mais von Balthasar se tourne spécifiquement vers des situations « semblables à ce qu’a connu Kierkegaard lui-même dans une Eglise nationale tombée dans le libéralisme. » Cette situation peut se produire parce que les autorités ecclésiales ont fait « un pacte avec des structures de pouvoir anti-chrétiennes ». Ou elle pourrait être due à une situation de terreur où les autorités ne peuvent pas agir.
Dans ce contexte, von Balthasar pose la question primordiale : « dans une telle situation, sur qui l’individu doit-il s’aligner pour éviter de devenir martyr de sa propre cause ou pour la défense d’une orthodoxie sortie de son imaginaire ? » Il est bien clair sur un point : cela ne s’applique pas à quelqu’un qui refuse d’accepter les décisions d’un concile ou un enseignement particulier du pape. C’est un problème personnel et non ce que nous examinons ici. Pour en revenir à la question, la réponse de von Balthasar est celle-ci : « le désir de se laisser guider [par la Parole et la Croix] doit suffire ; dans de telles circonstances, ce désir sert de compas au catholique ».
Pratiquement, cela veut dire que « l’individu doit représenter l’Eglise sans être appuyé de manière adéquate par l’Eglise elle-même ». Il a développé la description de cette situation avec éloquence.
Il parle de « l’amère expérience d’individus qui se trouvent privés… de compagnie, non en raison d’une circonstance extérieure, mais à cause d’un manque interne de communion dans l’Eglise ». Cela a guidé, par exemple, les fondateurs de nouveaux ordres religieux. Dans leur cas, leur action, qui a souvent rencontré une résistance de la part des autorités, a débouché sur la mise en place concrète de l’unité de l’Eglise. Les autorités représentent l’autorité officielle de l’Eglise, qui est « indispensable en soi », même si elle n’est pas exercée à ce moment. Von Balthasar note que dans la pratique, les autorités de l’Eglise, lorsqu’elles sont confrontées à une culture hostile, peuvent se montrer dociles et cessent ainsi d’exercer leur rôle.
Retournons à l’individu : « se comprenant lui-même dans le contexte de l’action et du message du Christ, l’individu chrétien a la perspective de pouvoir ‘changer le monde’, quand bien même, ce faisant, il périrait. » En d’autres mots, le chrétien est équipé des principes d’une vie authentique et il affronte des hommes modernes qui ont « perdu le sens de la mesure et des principes ».
Il est intéressant qu’un tel individu prenne au sérieux la plénitude du Christ et découvre dans ce processus le sens de sa propre vie. C’est la seule compréhension qui puisse répondre de façon adéquate à ce que von Balthasar appelle « la notion déchue de la liberté ». Conceptuellement, cette notion moderne débute mal quand elle commence avec une sorte d’ « autonomie atone » dans laquelle « il n’y a pas de chemin pour la dimension religieuse ».
En fait, la vraie liberté, la vraie maîtrise de soi, implique « une authentique conscience religieuse ». Elle inclut ces éléments même si « ils ont été relégués dans la négligence et l’oubli ». Alors qu’elle se précise, « il y a la conscience d’être sollicité par un Autre, libre et aimant » qui attend une réponse.
L’Autre divin est Celui avec qui nous vivons notre vie. La culture ou les individus auxquels nous sommes confrontés ne sont pas divins et donc ils passeront. Ils n’ont pas la dimension de la vie apparue dans le Christ. Et nous savons qu’à la fin du jour : « vous recevrez une puissance quand le Saint-Esprit viendra sur vous et vous serez mes témoins… jusqu’aux extrémités de la terre. » (Actes 1/8)
Merci Hans Urs von Balthasar !
Le père Bevil Bramwell, Oblat de Marie Immaculée, est l’ancien doyen de premier cycle de l’université catholique de Distance.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/catholics-on-the-front-line.html
photo : Hans Urs von Balthasar
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