Dans ses leçons sur l’histoire de la philosophie et dans d’autres écrits, le philosophe allemand G.W.F. Hegel, fervent luthérien, a souvent critiqué l’église catholique médiévale pour avoir perpétué une confrontation entre la religion et le monde séculier, et a vanté le protestantisme pour avoir mis en valeur une coordination constructive entre le christianisme et la vie séculière.
Comme exemple significatif de « l’aliénation » séculière engendrée pa le catholicisme, il pointe les voeux religieux de pauvreté, chasteté et obéissance. Le voeu d’obéissance semble offrir l’exemple le plus flagrant de cette « aliénation » catholique. Les ordres religieux et monastiques professant l’obéissance à leurs supérieurs, en opposition à l’Etat, perpétuaient manifestement un abîme spirituel malsain entre la chrétienté et le monde.
Ce serait un euphémisme de dire que Hegel, non partisan de « la séparation de l’Eglise et de l’Etat », était exagérément optimiste quant à une union harmonieuse entre « la vraie chrétienté » (le luthéranisme) et l’Etat. Mais il avait raison quant à la traditionnelle importance de la vertu d’obéissance dans le catholicisme.
Les jésuites sont – théoriquement – l’ordre religieux le plus fidèle à l’obéissance, ils prononcent même un quatrième voeu supplémentaire d’obéissance au pape. Ce « voeu supplémentaire », perçu comme sujétion à « un pouvoir étranger », a conduit à l’expulsion des jésuites de plusieurs pays durant le 18e siècle.
Au sein de la plupart des ordres religieux, l’obéissance est généralement perçue comme une sorte de voeu « tout compris ». Les dominicains par exemple, ne prononcent qu’un voeu – celui d’obéissance – et il est sous-entendu que les deux autres (pauvreté et chasteté) sont automatiquement inclus dans le premier.
L’accent mis sur le voeu d’obéissance au sein des ordres religieux et monastiques est inspiré par la doctrine théologique majeure du Nouveau Testament concernant le péché. Le péché est entré dans le monde par la désobéissance d’un homme, et le Fils de Dieu est venu dans le monde pour expier le péché par son obéissance (Rom. 5:19) L’importance de l’obéissance est aussi vantée dans l’Ancien Testament, comme étant supérieure « aux sacrifices et oblations » ou « aux holocaustes ». (Ps. 39:7-9 et Sam. 15:22)
La vie de Jésus l’illustre dans le détail : « Il revint avec eux à Nazareth et Il leur était soumis » (Luc 2:51) Ici, nous avons l’exemple du Fils de Dieu, obéissant à ses parents, apprenant un métier avec son père, restant avec sa mère et subvenant peut-être à ses besoins par son travail de charpentier après la mort de son père et enfin acceptant de se soumettre lui-même à ses tourmenteurs en un ultime sacrifice de réparation au Père pour la désobéissance d’Adam – apprenant l’obéissance à travers toutes ses souffrances. (Heb. 5:8)
Jésus, lors de son jugement, rappelle à Ponce Pilate qu’il n’aurait aucun pouvoir s’il ne venait de Dieu ; il se soumet néanmoins à l’autorité de Pilate. (Jn. 19:11)
C’est certainement de la plus extrême importance, pour les chrétiens, que de poursuivre le travail rédempteur de Christ, de pratiquer l’obéissance. Même sans avoir prononcé de voeux religieux, sa pratique et sa vertu sont inculqués dans le Nouveau Testament.
Pour les catholiques, outre les 10 Commandements, il y a les préceptes de l’Eglise, et un catholique devrait de lui-même se soumettre à un directeur spirituel.
Mais le Nouveau Testament manifeste de nombreux autres appels à l’obéissance – aux prêtres et évêques par exemple (Heb.13:17).
L’obéissance aux rois, princes, gouverneurs et autres autorités civiles est aussi inculquée par les épitres de Pierre et Paul (Rom. 13:1, Tit. 3:1, 1Pierre 2:13). Saint Pierre mentionne même être soumis « à toute créature humaine pour la gloire de Dieu ». Et les premiers chrétiens, dans l’attente d’un Royaume « qui ne soit pas de ce monde », étaient des modèles de loyauté et même de civisme, tant qu’on ne leur ordonnait pas de renoncer à leur foi ou à la morale chrétienne.
De même, dans une société qui considérait le mari comme le chef de maison, Pierre et Paul demandaient aux épouses « d’être soumises à leur mari comme au Seigneur » en toutes choses (Eph. 5/22, Col.3:18, 1Pierre 3:1) – des passages qui font bouillir le sang des hyper-féministes et dont la lecture est parfois mystérieusement remplacée au cours de la messe.
Ces passages s’appliquent-ils toujours ? Certainement, en ce qui concernent les décisions domestiques majeures, l’existence de « deux chefs » augurerait quelques frictions. Mais dans un milieu démocratique, bien sûr, le chef de famille peut arborer un profil bas et choisir la discussion pour adopter une décision commune.
Le mariage fournit souvent un enseignement pour développer ces compétences. De toute façon, la recommandation de Paul aux épouses vient juste après celle où il insiste sur la soumission mutuelle de l’époux et de l’épouse (Eph. 5:21)
Donc, dans le monde contemporain, « l’homme au foyer » qui prend en charge les tâches domestiques pendant que son épouse gagne le pain quatidien, ou l’homme qui collabore à la cuisine, au ménage, aux soins aux enfants, etc est un exemple de la règle générale de « soumission mutuelle ». Et le chef de famille s’adaptant à un rôle domestique donne des preuves d’ingéniosité gestionnaire… Mais quel que soit celui qui cuisine, nous devons nous rappeler que le Seigneur a admonesté ses disciples lorsqu’il les a envoyés ( et nous avons adopté cette recommandation pour nos enfants) : « mangez ce que l’on vous présente ! » (Luc 10:8)
Aux jeunes hommes, il est dit (1 Pierre 5:5) de « s’habiller sobrement » et d’être soumis à leurs aînés. De même, les serviteurs se voient prescrire d’être soumis à leurs maîtres (1Pierre 2:18), non seulement aux bons et accommodants, mais également aux brutaux et exigeants. Après deux millénaires, cela semblerait s’appliquer aux patrons, contremaîtres, directeurs, présidents, etc. « Saint Pierre, êtes-vous sérieux ? vous voulez dire que je dois m’adapter à ce type qu’on a nommé au dessus de moi ??
Mais tandis que le Nouveau Testament inculque tant de domaines d’obéissance, une obéissance inique ou irrationnelle n’est jamais demandée. Jésus qui ne se conforme pas à l’interprétation que les pharisiens font du sabbat – pour soigner (Mt 12:10) ou pour autoriser ses disciples à prélever des épis dans les champs (Mt 12:3) illustre Son opposition au littéralisme et et à la rigidité religieuses. Et Pierre et les apôtres, sommés de ne plus prêcher le Christ, répondent : « nous devons obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (Actes 5:39)
Dans la perspective biblique, les autorités religieuses ne devraient jamais demander que la pratique religieuse soit étendue à des domaines où elle n’a pas sa place. Et les autorités civiles n’ont pas de juridiction sur la foi.
Howard Kainz est professeur émérite de philosophie à l’université de Marquette.
illustration : le pape Paul III approuvant les jésuites, par Albert Chevallier-Tayler (1904)
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/catholicism-and-obedience.html