CARÊME, CARÊME ! - France Catholique
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Persécutions : le martyre des chrétiens
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CARÊME, CARÊME !

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Mercredi des cendres . . . . L’an dernier j’ai perdu un pari avec un groupe d’étudiants. L’enjeu ? je devrais leur apporter des « Dunkin Donuts » (NDT: petit pain en forme de pneu). Après quelques jours de tactique retardatrice, le Carême arriva. Une étudiante me demanda quand j’honorerais ma promesse. Elle fut bien étonnée quand je répondis que j’attendrais jusqu’après Pâques. « Pourquoi? — protesta-telle, incrédule et moqueuse — Vous privez-vous de « Dunkin Donuts » en carême ? » Sa question révèle l’idée dominante du Carême catholique: la privation de quelque chose qu’on aime, et s’y accrocher jusqu’à Pâques. Sinon, contentons-nous de notre train-train de chaque jour, avec les mets et friandises devenus partie de notre lot quotidien. Mais si le Carême doit avoir une signification et un effet sur nos âmes, alors ce doit être plus qu’une simple privation quotidienne, quelqu’importante qu’elle soit. L’Église nous propose une saison entière pour atteindre le but du Carême et accomplir toute une vie Chrétienne : la conversion. Bien sûr, la conversion implique des privations, mais aussi que chacun de nos actes, chacun de nos comportements, nous rapproche du Christ. Voilà pourquoi le Carême est une saison — quarante jours, soirs et nuits — passée dans le désert avec le Seigneur. La vie nuit et jour dans le désert est un bouleversement pour nous, habitués aux commodités modernes et à nos activités quotidiennes. Affaiblis par le péché originel nous avons tendance à choisir le sacrifice offert à Dieu — bonbons, boissons, télévision, ou autre activité non indispensable — mais nous ne songeons guère à sacrifier d’autres fantaisies devenues banales habitudes : dîner en ville, aller au cinéma avec notre épouse, avec des amis, faire l’achat de nouveaux vêtements ou autres articles, prendre un « petit noir » au comptoir au lieu du café matinal à la maison. Plutôt qu’aller au bout de la démarche, nous avons tous tendance à négocier avec Dieu selon nos plans et non selon les Siens, comme s’Il attendait trop de nous. Mais pour la conversion, pour la véritable metanoia (NDT : grec = pénitence) qui doit se centrer sur le ministère de Jésus, il nous faut faire entrer Dieu dans tous les recoins de notre existence, matin midi et soir. Nous sommes appelés pendant le Carême à vivre différemment, à offrir en sacrifice même ce qui nous est cher, selon la signification première du verbe « sanctifier ». Et quand nous sanctifions quelque chose nous l’offrons à Dieu, bien au-dessus de la condition humaine. Les règles de jeûne d’avant 1966 étaient un puissant rappel à l’ordre : quarante jours avec deux repas réduits de moitié et un seul repas complet, et abstinence le vendredi. Naturellement, la prière et autres dévotions étaient (et sont toujours) encouragées pour axer le jeûne sur son but final : se dépouiller de soi-même et « se revêtir du Seigneur Jésus Christ. » (Paul, Romains 13 : 14). Si on le vit dans un bon état d’esprit, on ne peut s’empêcher de songer à propos du Carême: la Passion de notre Seigneur, nos blessures d’amour-propre, et la gloire à venir de la Résurrection. Le jeûne ramené à deux jours (Mercredi des cendres et Vendredi Saint) et la faculté pour les catholiques de choisir leur forme de pénitence ont émoussé la vraie force et la signification du Carême qui, tel qu’on voit les catholiques le vivre de nos jours, n’est guère différent du reste de l’année. Nous avons échangé le séjour au désert contre un festin perpétuel et, ce faisant, nous avons oublié ce qu’est le véritable futur Festin. En plus des avantages spirituels le Carême servait jadis de rempart pour protéger l’identité catholique dans l’Amérique protestante. De nos jours, cédant aux sollicitations d’une religion sécularisée, le Carême est réduit à une affaire privée, personnelle, invisible en public. L’affaiblissement de nos observances collectives de Carême a coïncidé avec l’étiolement de notre identité catholique. Et comme nos vies spirituelles disparaissent, nos vies publiques s’en vont aussi. Un renouveau des pratiques de Carême peut être un puissant catalyseur dans la reconstruction de l’identité catholique. Jean-Paul II mesurait le lien entre l’identité et la pratique catholique dans son exhortation Christifideles Laici (Les fidèles laïcs), que Benoît XVI a cité récemment dans son appel à l’évangélisation (Motu Proprio « UBICUMQUE ET SEMPER « ) : «Assurément il est urgent partout de refaire le tissu chrétien de la société humaine. Mais la condition est que se refasse le tissu chrétien des communautés ecclésiales elles-mêmes qui vivent dans ces pays et ces nations.» (NDT: cette citation est issue de la traduction française officielle du Motu Proprio.) Le Carême pourrait bien être le côté de la vie catholique le plus difficile à restaurer. Le désert n’est jamais un lieu de villégiature. Mais de même que le sang des martyrs a été la semence de l’Église, de même nos prières sacrificielles, notre jeûne, nos aumônes, pendant quarante jours, soirs et nuits peuvent relever notre identité catholique, même si ce froment sera toujours entouré de paille. Les « donuts », le cinéma, les restaurants, et les cartes bancaires ne peuvent — ni ne doivent — nous accompagner dans le désert. Mais si nous pouvons les laisser derrière nous, non seulement le véritable Festin nous sera plus merveilleux, mais encore nous apprendrons à mieux apprécier les festins terrestres que le Seigneur nous a accordés.
— – David G. Bonagura, Jr. est Professeur adjoint en Théologie au Séminaire de l’Immaculée Conception à Huntington, NY.