L’entrée en Carême constitue de la part des chrétiens une sorte d’entrée en retraite spirituelle, où chacun se retrouve devant Dieu, afin de mettre son existence en perspective. La préparation à la Semaine sainte, qui implique la participation au Mystère pascal, exige cette période dite de “pénitence”, de purification et de clarification de la conscience. Benoît XVI, pour y aider tous les fidèles, a centré cette année sa réflexion sur un passage de l’épître aux Hébreux: “Faisons attention les uns aux autres pour nous stimuler dans la charité et les œuvres bonnes.” (He 10,24). En s’arrêtant sur cette invitation instante, le pape nous met, en quelque sorte, en demeure de nous interroger sur nous-mêmes et notre façon de traiter le prochain. Cela ne peut se faire que dans une stimulation réciproque entre frères dans la foi. Nous ne pouvons vivre enfermés dans notre quant-à-soi, nous sommes dans une situation de communion. Celle-ci implique de sortir de notre individualisme qui est un des travers de l’époque avec “l’indifférence, le désintérêt qui naissent de l’égoïsme dissimulé derrière une apparence de respect pour la sphère privé”.
Le Carême devrait donc être un moment privilégié pour sortir de nous-mêmes et de l’indifférence à l’égard du frère et de la communauté humaine. Alors que sévit la crise économique, ce message devrait retentir directement aussi bien dans les cœurs que dans les instances de délibération et de décision. Il y a, en effet, une dimension morale et même spirituelle de l’économie, car celle-ci ne saurait se réduire à une discipline close sur elle-même. Celle qu’impose une foi rationnelle en des facteurs d’auto-régulation. L’économie moderne cache trop souvent ce fait qu’elle ne correspond pas à la seule satisfaction des besoins vitaux de l’humanité, parce qu’elle obéit aussi à la logique d’un désir qui échappe à la raison et à la justice.
Dans un essai assez ravageur1, Jean-Pierre Dupuy rappelle la face cachée de l’économisme, en soulignant que “le pauvre souffre moins de son indigence matérielle que du fait que personne ne fait attention à lui”. C’est exactement ce que pense Benoît XVI, et c’est pourquoi il nous presse de nous stimuler réciproquement pour sortir de notre égoïsme et nous convertir à la charité.
- Jean-Pierre Dupuy, L’avenir de l’économie. Sortir de l’économystification. Flammarion, collection « Essais », 2012.