Dans les années 1980, j’ai participé à un séminaire du Midwest qui était schizophrène par rapport à la foi. Le département de théologie morale était très orthodoxe. Mais les études de l’Ecriture Sainte étaient essentiellement protestantes et libérales. L’équipe de formation était désespérément dissidente et libérale. L’un des professeurs d’Ecriture Sainte, le père Otto, était un réfugié hongrois. Il était amical, aimable, férocement anti-communiste – et disciple de Rudolf Bultmann, le célèbre (ou, comme je préfère le dire, l’infâme) théologien protestant libéral dont la technique savante de « démythologiser » les Ecritures a corrompu des générations d’étudiants.
Comme nos études de l’Ecriture Sainte étaient essentiellement séparées de la foi catholique, il était naturel que nous permettions aux séminaristes protestants d’assister aux classes. Je me suis assis à côté d’une jeune femme afro-américaine assez charmante qui aspirait à devenir ministre du culte méthodiste. Elle défendait également le multiculturalisme. Nous avons eu des conversations amicales.
Au cours du semestre, le Père Otto a demandé à tous les étudiants de faire une présentation à la classe, généralement le compte-rendu d’un livre. Le jour de sa présentation, la jeune femme est arrivée vêtue d’un collant ajusté. Elle a mis un tourne-disques devant la classe. Après avoir lu un passage de saint Paul, elle s’est mise à danser une danse interprétative accompagnée d’une version moderne d’un Negro spirituel.
Ses mouvements étaient sérieux, absurdes d’une façon choquante, peut-être même intentionnellement grotesques (comme on dit « campy » dans le monde du cinéma) et très, très drôles. Les séminaristes gardaient un silence stupéfait. Keith, un jeune garçon de Pittsburgh qui avait l’air d’un ouvrier de l’acier, était assis tout raide, la mâchoire tombante. D’autres ouvraient de grands yeux, tout aussi stupéfaits.
Quant à moi, j’étais horrifié de sentir monter une envie de rire. Chaque seconde me paraissait une éternité. Notre attention envers la jeune femme venait ou de l’horreur ou de la fascination. Alors peut-être que « fascination horrifiée » décrit l’effet de son acte. Et je menais un combat mortel contre un désir de rire incontrôlable.
Enfin, sa danse a fini dramatiquement – son corps sur le plancher, bras étendus comme sur une croix. Je me suis maîtrisé. C’était fini ! Ou c’est ce que je pensais.
En tant que vocation différée, résistante aux histoires des séminaires modernes, l’équipe de formation me connaissait déjà comme « rigide et critique » parce que je soutenais l’enseignement de l’Eglise sur la contraception et l’ordination des prêtres. Et j’avais l’habitude d’affirmer en privé à mes camarades de classe que j’avais un « problème de célibat ». J’étais en faveur du célibat. C’étaient des mots de combat à l’époque de la promotion dissidente du « célibat facultatif ».
Donc, rire de la danse théologique aurait confirmé les pires craintes de l’équipe de formation. Ma « rigidité » serait en conflit avec les programmes multiculturels sacro-saints des chancelleries partout. Et on ne pourrait pas compter sur moi pour soutenir les messes et les chants « folk » et « mariachi » du livret d’hymnes jésuite gai (ce n’est pas le titre exact). J’ai évité une balle.
Presque.
La jeune femme s’est relevée solennellement et nous a posé cette question : « Qu’avez-vous ressenti ? » Un jeune séminariste de Wichita1 1 regardait dans le vide, le visage blême, se rendant probablement compte brutalement qu’il n’était plus au Kansas. Un autre jeune homme avait des gouttes de sueur sur le front.
Oh, non, ai-je prié ! Pas de « déclarations de sentiments » s’il vous plaît ! Etant un homme âgé, le père Otto n’avait peut-être pas la même « réaction aux sentiments » que ces jeunes hommes. Après tout, la plupart d’entre eux n’étaient pas homosexuels. Mais le silence ne pouvait pas être rompu et il a continué une autre minute.
Je vous en prie, je vous en prie, jeune fille, ai-je plaidé en silence, asseyez-vous et cessez de nous tourmenter. Mais elle ne pouvait tout simplement pas nous laisser tranquilles.
« Je suppose que c’est une déclaration en soi. » Les hommes restaient droits comme des statues. Mon envie de rire ne pouvait pas être contenue beaucoup plus longtemps. Faisant semblant d’avoir un besoin pressant d’aller aux cabinets, je suis sorti, et j’ai fermé la porte derrière moi avec l’espoir que personne ne m’entendrait rire dans le couloir.
J’ai échoué. Je me suis attendu à faire face à un très sérieux « problème de formation ». Plus tard dans la journée, j’ai rencontré un bon camarade de classe orthodoxe, En tant qu’ami, il s’inquiétait que je sois renvoyé du séminaire.
Il fallait que je fasse un examen de conscience. Mon rire était-il moqueur ou peu charitable – ou enraciné dans un sens chrétien de l’absurde ? A ce moment-là, je n’étais pas sûr. Mais je me suis dit que cela ne ferait pas de mal d’être franc avec le professeur, l’aimable mais excentrique père Otto.
Je n’avais rien à craindre de lui. C’était l’équipe de formation (dirigée par une religieuse féministe et un psychologue pop, loup revêtu de peau de mouton) qui me mettrait en difficulté si elle le savait. C’est pourquoi, ce soir-là pendant le dîner dans la salle à manger des séminaristes j’ai expliqué mon comportement au père Otto. Après tout, j’étais un garçon arriéré du Midwest, je n’étais pas habitué aux finesses, hum, de notre culture.
J’ai envoyé un brouillon de cet article à un ami laïc catholique qui m’a écrit : « Pourquoi avez-vous attendu d’être dans le couloir pour rire ? Cela aurait été un acte de charité pour vos collègues, de dévoiler le désir d’intimidation et le mépris qu’elle manifestait envers eux. »
C’est vrai, mais il a manqué mon point. Je suis seulement en train de décrire la nature libérale et totalitaire des formations de séminaires de ce temps-là – ce qui concerne et nous aide à comprendre la timidité générale de nombreux prêtres et évêques d’aujourd’hui.
Nous nous sentons de plus en plus honteux de ce qui est normal. Nous nous opposons au réchauffement de la planète et aux restrictions pour l’immigration (parce que c’est populaire et facile) plutôt que de soutenir à haute voix le mariage chrétien et l’enseignement de l’Eglise sur la sexualité humaine (parce que c’est difficile et que ce n’est pas populaire).
Et au moins j’ai une certaine empathie pour ce que beaucoup de gens connaissent actuellement dans le monde du travail moderne. Et je comprends mieux pourquoi tant de prisonniers des camps de concentration nazis sont entrés sans protestation dans les chambres à gaz.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/07/02/camp-concentration/
Photo : Dans théologique lors d’une messe à Seattle.
Le Révérend Jerry J. Pokorsky est un prêtre du diocèse d’Arlington. C’est le curé de la paroisse de Sainte Catherine de Sienne à Great Falls, dans l’état de Virginie.