Qu’on le déplore ou non (je le déplore), plus la science progresse et plus fortement s’instaure au cœur de l’homme une secrète panique. « À quoi cela nous mène-t-il ? » est une question plus ou moins formulée qui s’ajoute aux antiques terreurs de la guerre, de la terre qui tremble et de ce mystérieux fléau appelé par le texte sacré « la flèche volant dans la lumière du jour », sagitta volante in die1.
Je déplore cette peur, mais je ne la crois ni folle ni irrationnelle. C’est avec raison que même le profane perçoit la proximité d’un bouleversement des fondements mêmes de la pensée. Ce bouleversement est là, sous le regard des physiciens. Il va changer notre perception du monde et par conséquent de nous-mêmes.
Il requiert encore (cela changera) un grand effort de l’esprit pour être vu clairement. Le lecteur qui trouvera le présent article difficile voudra bien m’excuser ; il ne perdra pas son effort qui vaut la peine, et se consolera, j’espère, en constatant que les physiciens les plus respectables éprouvent la même difficulté. Nous raisonnerons sur un récent et vaillant effort de vulgarisation.
Un paradoxe renversant
Notre excellent confrère La Croix a consacré quatre articles à ce problème (a). Le dernier est signé par le Pr Louis Michel, physicien éminent, académicien, vice-président de la Société française de physique. Il n’est pas inutile de souligner la compétence exceptionnelle reconnue par ses pairs à ce savant, car comme on va en juger, les idées en cause sont tellement cataclysmiques que même lui refuse de les voir.
Ce qui est en cause, c’est l’interprétation d’un ensemble d’expériences (actuellement huit ou neuf, faites en divers laboratoires du monde, dont celui d’Orsay2), portant sur un phénomène que j’essaierai d’expliquer une autre fois, car ce n’est ni facile ni tout à fait indispensable ici : il s’agit de la « conservation du spin » (chiffre quantique simple) dans la création d’une « cascade » de particules. En gros, quand on « crée » en un point donné des couples de particules, on connaît la « quantité de spin » qu’elles « se partagent » (b). Donc si assez loin de là, on fait une mesure de spin sur une de ces particules, on peut en déduire avant toute mesure, par simple soustraction, la quantité de spin qui revient à l’autre particule du couple.
Jusque-là on ne voit rien de renversant. Le renversant le voici : on peut, jusqu’à un certain point, choisir le résultat de la mesure obtenue sur la première particule. Et il semble s’avérer, à l’expérience, que la seconde particule, aussi éloignée de la première que l’on voudra, donne elle-même une mesure conforme au calcul choisi sur la première.
Supposons que vous et moi ayons en banque, un compte commun et que chacun de nous sache combien il y a sur ce compte. Je vais à la banque, je demande l’état du compte et j’en déduis ce que vous avez retiré. Elémentaire ! Ce qui serait « renversant » ce serait que je connaisse le montant restant sans qu’il y ait aucun moyen connu ni possible de communication entre la banque où vous avez fait votre retrait et celle où je vais m’informer de mon reliquat.
C’est pourtant apparemment ce qui se passe dans ces expériences de physique. Ce résultat renversant est ce que l’on appelle, du nom de ceux qui l’avaient prédit il y a des dizaines d’années, le paradoxe Einstein, Podolski, Rosen ou EPR3.
La réalité est évidemment plus complexe encore. Par exemple, comme l’avaient énoncé Einstein et ses collègues, la prédiction se déduit des lois quantiques. Elle est conforme à ces lois. Et, disent-ils, pareille chose est si absurde qu’elle réfute la théorie d’où elle est déduite (la théorie quantique qu’Einstein, on le sait refusa toujours d’admettre). Et voilà que l’expérience se met à confirmer cette prédiction tenue pour absurde par ses auteurs, et qui effectivement viole le bon sens ! Il faut donc l’expliquer. Voilà les physiciens au pied du mur. Comment l’expliquer ?
La cause après l’effet !
Je me garderai, n’étant pas physicien, d’avoir la moindre idée sur une éventuelle réponse. Ce qui est intéressant pour le philosophe, et même pour tout homme désireux de ne pas se tromper sur sa propre nature, qui est pensée, c’est de voir à quoi mène l’« impossible » phénomène. On en mesure la gravité en lisant un texte comme celui de Louis Michel.
Car pour échapper au choix entre l’absurdité et la nouveauté (l’absurde, c’est l’EPR dans le cadre théorique existant, la nouveauté, ce sont les implications des phénomènes EPR et la nouvelle logique qu’ils entraînent), le Pr Michel est obligé de se contredire. Par exemple, il dit d’une part que « le temps s’écoule dans le même sens pour tout le monde », et plus loin que « dès qu’un très grand nombre d’atomes intervient, il y a irréversibilité dans les phénomènes physiques, ce qui définit un sens universel d’écoulement du temps ». S’il y a « irréversibilité dès que », c’est qu’il n’y a pas forcément irréversibilité en deça. Mais le Pr Michel est obligé de s’exprimer ainsi s’il récuse les seules explications proposées et qui, précisément admettent la réversibilité des phénomènes élémentaires, conformément d’ailleurs à la théorie prise à la lettre, à la façon d’Einstein, Podolski et Rosen. Cette théorie, certes, heurte le bon sens, mais beaucoup moins que l’incohérence acceptée.
De même, pour échapper à ces conclusions qui impliquent une nouvelle logique (le mot paradigme est à la mode), le Pr Michel passe l’éponge sur l’incompatibilité universellement déplorée par ses collègues (c) entre la Physique Quantique et la Physique Relativiste, ou comme dit l’un d’entre eux, entre le « petit » et le « grand »4.
Le lecteur aura noté au passage l’expression « Irréversibilité du temps », mise en cause dans ces expériences (ou leur explication). Idée vertigineuse que celle de temps rétrograde, qui placerait parfois la cause après l’effet. L’est-elle plus que la corrélation à distance de deux phénomènes séparés, idée qui conduit à celle de non-localité (les deux phénomènes continuent d’être un seul phénomène même après leur séparation) ? On comprend que des esprits élevés dans les idées qui triomphent depuis Descartes regimbent5.
La finalité frappe à la porte
Que ce refus entraîne à des contradictions montre la profondeur de ce que met en cause la physique la plus récente : les idées de temps et de cause. Un éminent mathématicien me disait tout récemment : « les physiciens ne s’en sortiront qu’en réintroduisant, sans doute d’une façon nouvelle, les causes finales ». Voilà sans doute ce qu’il est difficile d’avaler. « A sagitta volante in die libera nos… ». Cette flèche serait-elle celle du temps ?
Aimé MICHEL
(a) 2 déc. 1980, 10 déc. 1980 (deux articles) et 27 déc.
(b) Les guillemets contiennent l’élément explosif, comme le lecteur le verra plus loin.
(c) D’Espagnat en France, Shimony, Piron, Eberhard, Wheeler et Patton, Legget, CJS Clarke, etc. Ce dernier explique très bien la contradiction entre le « petit » et le « grand » dans un livre que j’ai plusieurs fois recommandé ici même, The Encyclopaedia of Ignorance, Pergamon Press, 24, rue des Écoles 75005 Paris ; pp. 111 et suivantes.
Chronique n° 336 parue F.C.-E. – N° 1796 – 15 mai 1981
[||]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 15 juin 2015
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 15 juin 2015
- Cette citation est un extrait du psaume 91, verset 5 : Car c’est lui [Yahweh] qui te délivrera du filet de l’oiseleur, de la peste funeste. De ses plumes il te couvrira et sous ses ailes tu trouveras refuge. Sa fidélité est un bouclier et une cuirasse. Tu n’auras à craindre ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole le jour, ni la peste qui erre dans les ténèbres, ni la contagion qui ravage en plein midi. Comme le dit fort bien un commentaire : « Le message fondamental, s’il était exprimé en termes abstraits, tiendrait facilement en une phrase : “Garde ta confiance en Dieu, il te protégera en tout temps et en tout lieu, quelle que soit l’expérience que tu as à vivre, les dangers qui te menacent, les difficultés que tu as à affronter”. Au lieu de cela, le psaume a choisi de s’exprimer en images. » (http://www.spiritualite2000.com/2007/06/le-psaume-91-mon-dieu-en-qui-je-me-fie/). Et le psaume se termine par cette promesse de Yahweh : « Je prolongerai ses jours jusqu’à satiété, et je lui ferai voir mon salut ».
- Il a déjà été fait allusion à ces expériences « faites en divers laboratoires du monde, dont celui d’Orsay », alors que ces dernières étaient encore en préparation, dans la chronique n° 294, Sur le seuil de la nouvelle physique – Une lettre de Olivier Costa de Beauregard (24.03.2014). Dans cette lettre de novembre 1977, introduite par Aimé Michel, le physicien Olivier Costa de Beauregard expliquait que le « paradoxe d’Einstein, Podolsky et Rosen » était en passe d’être soumis au test de l’expérience. Les résultats déjà acquis remettaient en cause « nos idées classiques sur l’espace et le temps » et montraient « une fois de plus, [que] la mécanique quantique a raison contre le bon sens ». Il restait toutefois des points importants à vérifier pour en être sûr et c’est justement à cette vérification que s’était attaché le physicien d’Orsay Alain Aspect et ses collaborateurs. Costa de Beauregard écrivait à ce propos « Notre jeune, audacieux et imaginatif collaborateur A. Aspect a trouvé un ingénieux substitut à la rotation matérielle des polariseurs, et son expérience est en cours de montage à l’Institut d’optique d’Orsay ». Laissons pour l’instant de côté cet « ingénieux substitut » pour ne retenir que les noms et les dates. Ces expériences d’Orsay publiées en 1981, 1982 et 1983 sont en effet devenues célèbres et sont toujours régulièrement citées parce qu’elles ont marquées une étape cruciale dans la longue discussion commencée en 1935 par Einstein et ses deux collaborateurs (voir note suivante).
- Ce passage fait allusion à l’article également célèbre publié en 1935 où Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen exposent leur fameux « théorème EPR ». Einstein était très insatisfait de la physique quantique – la physique qui décrit les petits objets (atomes, électrons, photons et autres particules) – bien qu’il n’en contestât pas les réussites. Il avait contribué à la créer mais son interprétation courante, dite de Copenhague, défendue notamment par Niels Bohr et Martin Heisenberg, ne lui convenait pas. Dans cette interprétation les propriétés bien définies qu’ont les objets à notre échelle étaient radicalement perdues par les petits objets. Une boule de billard a une forme bien précise et une localisation à chaque instant mais ce n’est pas le cas d’une particule dans l’interprétation de Copenhague. Einstein pensait que c’était là une imperfection de la physique quantique de son temps, et qu’une théorie plus complète qui restait à découvrir la surmonterait. C’est précisément à une démonstration du caractère incomplet de la théorie quantique que vise l’article EPR. En substance, il décrit une expérience, bien résumée par Aimé Michel, permettant d’inférer les propriétés intrinsèques des particules (dont il suppose l’existence et qu’il appelle « éléments de réalité ») à partir des résultats observables à notre échelle. Il combine donc une expérience adaptée et un raisonnement rigoureux fondé sur des hypothèses bien explicitées pour contourner l’impossibilité où nous sommes de voir ou de toucher une particule. En substance, les deux hypothèses sont le réalisme (les petits objets ont vraiment des propriétés fixes qui leurs sont attachées) et la localité (ou séparabilité : deux objets ne s’influencent plus s’ils sont suffisamment éloignés l’un de l’autre). Si ces hypothèses sont vérifiées alors les prédictions de la théorie quantique sont incomplètes en ce sens que les particules ont des propriétés que la théorie ne décrit pas. Autrement dit encore, la théorie pouvait être mise en défaut. Il a fallu longtemps pour réaliser des expériences du type de celle proposée par Einstein, Podolsky et Rosen, non seulement parce qu’elle exigeait des prolongements théoriques et de gros progrès dans les techniques expérimentales, mais aussi parce que les physiciens s’étaient pour la plupart détournés de ce problème. Toutes les expériences faites, notamment celles d’Orsay et bien d’autres depuis, ont contredit les attentes d’Einstein et de ses deux collaborateurs : leurs résultats se sont révélés conformes aux prédictions de la théorie quantique et en contradiction avec les prédictions de toute théorie réaliste locale c’est-à-dire fondée sur les hypothèses EPR. « En ce sens, conclut Frank Laloë de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, nous pouvons dire que la Nature obéit à des lois qui sont, ou non-locales, ou non-réalistes, ou les deux à la fois. » (Comprenons-nous vraiment la mécanique quantique ?, CNRS Editions et EDP Sciences, Paris, 2011). Autrement dit, les « objets » microscopiques ne ressemblent pas du tout aux objets macroscopiques auxquels nous sommes habitués, ce qui pose évidemment le problème du passage de l’un à l’autre (voir note suivante).
- L’Encyclopédie de l’Ignorance sur laquelle Aimé Michel attire une nouvelle fois l’attention de ses lecteurs est déjà mentionnée dans les chroniques n° 310, Le nouveau « paradoxe du comédien » – L’interprétation philosophique de la physique quantique (02.06.2014) et n° 319, Un petit caillou sur la berge : qui peut scruter au télescope le mystère divin ? – Une pensée scientifique libérée du concordisme, du dogmatisme et de l’athéisme (16.02.2015). La contribution à cette encyclopédie du physicien C.J.S. Clarke de l’université d’York est intitulée « Le domaine du milieu entre le grand et le petit » (pp. 111-118). Elle traite de l’incompatibilité entre la physique quantique (qui s’applique au petit, au microcosme) et de la physique classique et relativiste (qui s’applique au grand, au macrocosme). C’est toujours un sujet de préoccupations car personne à ce jour n’a été capable de le résoudre. Clarke s’oppose à la plupart des physiciens et des biologistes de son temps qui, selon lui, considèrent que ce problème est insoluble (ou inévitable) mais sans importance et qu’il doit donc être mis de côté. Voici en résumé comment il présente le problème : Dans le domaine où se recouvre la microphysique et la macrophysique il y a plus que de l’ignorance : la certitude que ce nous savons doit être faux ; en effet, plus elles progressent, moins devient vraisemblable la possibilité de les faire se rejoindre de manière cohérente. En effet, dans la théorie du « grand », la physique classique et relativiste, on peut toujours attribuer un état précis à une région donnée de l’espace, état qui évolue dans le temps de façon continue et prévisible. Il en va différemment dans la théorie du « petit », la physique quantique, car on n’y suppose pas un état défini à tout instant et quand il l’est (pour la seule durée d’une expérience), cet état peut changer de manière discontinue et acausale chaque fois qu’il est observé ; le nouvel état n’est pas prévisible, on ne peut que donner sa probabilité. En fait, le mot « état » ne désigne pas la même chose dans les deux théories si bien que leurs deux descriptions ne peuvent pas coïncider. En effet, dans la théorie quantique il est toujours possible de créer un nouvel « état » en superposant deux états qui, d’un point de vue macroscopique, s’excluraient mutuellement [comme par exemple le chat mort et le chat vivant de l’expérience de pensée de Schrödinger]. Le monde macroscopique ne peut pas être fait d’entités microscopiques : la table sur laquelle j’écris n’est pas faite d’atomes car un atome n’est qu’un état faisant partie de la description d’une expérience limitée. Les deux théories peuvent s’articuler de manière approximative lorsqu’elles décrivent les probabilités associées à un ensemble d’expériences mais jamais dans le cas de processus individuels. Pour résoudre le conflit il faudrait proposer une vue unifiée. On pourrait, par exemple, ajouter des termes aux équations quantiques du mouvement qui ne deviendraient significatifs qu’à grande échelle, mais aucune solution de ce genre n’a pu s’imposer. Le conflit est particulièrement sensible en biologie parce qu’on y passe de façon continu du microscopique au macroscopique ; et aussi en psychologie où le « libre arbitre » semble avoir quelque chose à faire avec l’imprévisibilité des organismes qui peut aussi être relié à l’imprévisibilité dans le domaine quantique (bien qu’il n’y ait pas de preuve de cela). Le conflit apparaît également en astrophysique : en cosmologie on doit décrire un univers qui est passé d’une taille microscopique à sa taille actuelle, on doit appliquer la physique quantique à l’univers entier pour expliquer la genèse des étoiles et des galaxies car celle-ci ne peut pas l’être en physique classique. La physique quantique est également indispensable pour décrire la « singularité nue », à taille nulle et gravité infinie qui est la forme ultime de dégénérescence d’un trou noir. La physique quantique, oppose ceux qui tiennent la théorie pour un simple algorithme permettant de prédire les résultats d’une expérience (les nominalistes) et ceux pour qui les termes mathématiques de la théorie correspondent à des réalités (les réalistes). Ces deux interprétations extrêmes doivent être rejetées : un nominalisme total dissout le conflit mais avec lui la possibilité d’une connaissance ; tandis qu’un réalisme naïf rend la physique quantique irréconciliable avec la physique classique. Pourtant, il est possible qu’on trouve une solution intermédiaire, moins réaliste mais sans reléguer la physique quantique à n’être qu’un simple algorithme. Clarke pense qu’elle pourrait être semblable à celle de l’« onde pilote » des premiers interprètes de la mécanique quantique mais estime qu’on est encore loin d’une théorie rendant possible la connaissance dans un domaine qui semble condamné à l’ignorance. Des progrès sensibles ont été accomplis depuis cet exposé de C.J.S. Clarke en 1977, même s’ils n’ont pas réussi à résoudre entièrement le problème. Un exemple de ces progrès concerne la question des rapports du libre arbitre et de l’indéterminisme quantique dont nous avons déjà dit quelques mots (voir la note 5 de la chronique n° 325, Einstein, prophète de l’imprévisible – La querelle du déterminisme, 13.04.2015). Une chose est sûre, c’est que cette question du passage du « petit » au « grand » va revenir en force et les obscurités signalés par C.J.S. Clarke vont bientôt être scrutées. Pour Frank Laloë cela tient aux « progrès incroyables qu’ont effectués les méthodes expérimentales au cours du XXe siècle, stimulés par la mécanique quantique ». En conséquence, ce physicien pense qu’on aura bientôt accès « à des objets de toutes les échelles intermédiaires, passant continûment du macroscopique au microscopique. En conséquence, alors qu’à l’époque de Bohr on pouvait raisonnablement penser que la définition précise de la frontière entre le monde macroscopique des appareils de mesure et les objets microscopiques n’était pas cruciale, voire académique, la question va probablement devenir d’une importance pratique croissante. (…) Tous ces changements, mis ensemble, donnent l’impression que la forme définitive de la théorie [quantique] n’est pas encore nécessairement atteinte et que des révolutions conceptuelles sont toujours possibles (…) » (op. cit., p. 113). Cette perspective aurait ravi Aimé Michel qui a toujours vu l’avenir comme une promesse. Les révolutions qu’il entrevoyait seraient encore devant nous…
- L’interprétation, fondée sur une possible réversibilité du temps, des résultats des expériences EPR est due à Olivier Costa de Beauregard. Elle se situe dans le cadre d’une interprétation cohérente de la physique quantique ordinaire par ce physicien admettant la rétrocausalité, c’est-à-dire l’idée qu’une action présente puisse modifier le passé (on trouvera quelques éléments de réflexion sur la réversibilité du temps dans la chronique n° 120, In pulverem reverteris, 19.07.2010). Il proposait d’expliquer la corrélation entre les deux particules des expériences EPR par un lien transitant par l’espace-temps selon un zig-zag temporel en partie dans le sens normal passé vers futur (zig antérograde) et en partie en sens inverse (zag rétrograde, voir sa lettre de la chronique n° 294, citée en note 2). Cette interprétation est évidemment contraire au principe de causalité qui veut que les causes précèdent toujours les effets. À ma connaissance il n’y a pas eu d’expériences permettant de trancher entre causalité et rétrocausalité, semblables aux expériences EPR qui permettent de faire un choix entre réalisme local et non-localité. Cependant la plupart des interprétations préfèrent conserver le principe de causalité et envisager le lien non-local entre les particules comme extérieur à l’espace-temps. Le physicien genevois Nicolas Gisin s’en explique ainsi : « Certains préfèrent parler de “rétrocausalité” (…). La rétrocausalité agit vers le passé, elle se propage de proche en proche, mais vers le passé. Je n’ai pas de doute que la non-localité de même que la relativité mettent à mal notre concept familier du temps, mais de là à imaginer une causalité inverse qui “remonte” le temps ! Je mentionne cette approche pour illustrer la recherche d’aujourd’hui. Vous aurez compris que je préfère mon mode d’explication basé sur le concept de hasard non local qui peut se manifester en plusieurs lieux, indépendamment de la distance, mais il est bien possible que l’avenir me surprenne et que les générations futures utilisent un tout autre mode explicatif. » (L’impensable hasard. Non localité, téléportation et autres merveilles quantiques, Odile Jacob, Paris, 2012, p.147). Selon Gisin il s’agirait donc encore pour l’heure d’une question en suspens que l’avenir devra trancher.