L’une des grandes tragédies des années 60 a été une érosion de la morale américaine. Je ne parle pas seulement de la morale sexuelle. Certainement, elle s’est dégradée (comme nous le voyons tout autour de nous) à tel point que maintenant, un demi-siècle plus tard, il reste peu de l’ancienne morale sexuelle. Mais la dégradation est plus profonde.
Car en vue de se débarrasser de la vieille morale sexuelle, nos révolutionnaires de la morale, rejetant la base chrétienne de la morale, ont annoncé la découverte d’une nouvelle base. Ils ont annoncé que la morale moderne « éclairée » pouvait être résumée en deux règles : (1) le principe de liberté individuelle, selon lequel nous sommes libres de faire tout ce qui nous plaît sous réserve que nous ne causions pas un mal évident et tangible à des tiers non-consentants et (2) le principe de tolérance, selon lequel nous devons tolérer tout ce que les autres font sous réserve qu’ils ne causent pas un mal évident et tangible à des tiers non-consentants.
Ces deux principes ont mené, mènent et mèneront à de nombreux désastres moraux, pas uniquement sexuels. Le triomphe de la « tolérance » auquel nous avons assisté ces cinquantes dernières années rend facile pour nous de tolérer le crime et les criminels, ce qui à son tour rend plus facile pour les criminels de voler et tuer. De nombreux Américains vont jusqu’à glorifier les criminels. Je suis désolé que George Floyd ait été tué par un policier en mai 2020. Mais je suis encore plus désolé que M. Floyd, voleur et drogué, soit faussement glorifié comme quasi saint. Plus récemment, nous avons eu une série de procureurs qui ont annoncé qu’ils seraient « indulgents » dans la poursuite des membres du milieu criminel.
Mais ce n’est pas ce dont je souhaitais parler aujourd’hui. A la place, je veux discuter du déclin de ce qui a été appelé « la petite morale », c’est-à-dire les bonnes manières. (Je crois que c’est David Hume qui a le premier fait usage de cette expression.)
Dans une société bien ordonnée, les bonnes manières « ruissellent » des gens les meilleurs vers les gens ordinaires, qui à leur tour essaient, avec plus ou moins de succès, d’imiter ces manières « aristocratiques ». Si les gens au sommet de la société ont de vraiment bonnes manières, la société dans son ensemble tendra à être policée. Pensez à George Washington, un gentleman qui dès sa jeunesse était préoccupé par la nécessité d’avoir de bonnes manières. Il a été un grand modèle pour les Américains, tant pour les bonnes manières que pour la morale, de son époque jusqu’à nos jours.
Dans l’Amérique actuelle, au moins chez une grande partie de la jeunesse, la transmission « par ruissellement » des bonnes manières a été remplacée par une transmission « par infiltration ». Au lieu d’imiter les bonnes manières des meilleures personnes, nous imitons de plus en plus les mauvaises manières des pires personnes. C’est plus évident chez de nombreux jeunes noirs qui, bien que non-délinquants, imitent le laisser-aller, la vulgarité et l’obscénité des gangsters noirs de basse extraction. Mais cela se produit de plus en plus également parmi les blancs.
J’en rejette la responsabilité sur les années 60. Une des grandes nouvelles croyances de cette époque, une croyance qui malheureusement est toujours vivante, et bien vivante, est la croyance en la valeur de « l’authenticité ». Vous deviez « être vous-mêmes » et « faire vos propres trucs ». C’était la grande vertu. Le vice opposé était l’hypocrisie, et il y avait quelque chose d’hypocrite dans les bonnes manières, quelque chose d’inauthentique. Elles sont tellement artificielles. Beurk ! Elles m’obligeaient à faire X, Y et Z même si X, Y et Z ne découlaient pas d’un désir profondément enraciné dans ma nature. Me montrer poli et courtois quand je ne me sentais pas d’humeur à être poli et courtois était une trahison de mon « vrai moi ».
Bien sûr, ce n’est pas tout le monde (Dieu merci!) qui ressentait les choses ainsi. Mais il y en avait suffisamment pour donner à l’époque un relent malpoli. Et beaucoup continuent de ressentir les choses de cette manière. Je soupçonne Donald Trump, qui a atteint la majorité en 1960, d’être l’un d’entre eux.
J’ai dit que la croyance en l’authenticité était une nouvelle croyance. De fait, ce n’est pas tout-à-fait vrai. Elle remonte à Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et à sa promotion de la sincérité (le mot qu’il emploie pour ce que nous appellerions aujourd’hui l’authenticité) au rang de grande vertu, peut-être même la vertu suprême. Rousseau est souvent appelé, à juste titre, « le père du Romantisme ». L’époque romantique a mis surtout l’accent sur le ressenti, en opposition avec l’importance accordée par les Lumières à la raison.
Bien que l’Age du Romantisme se soit depuis longtemps effacé, le virus romantique n’a pas disparu ; il s’attarde dans notre système sanguin. Nous le voyons aujourd’hui dans l’admiration imitatrice que de nombreux jeunes portent aux mauvaises manières des gangsters de bas étage. Car les gangsters sont authentiques n’est-ce pas ? En vue « d’être eux-mêmes », les rejettent l’hypocrisie des classes moyennes, n’est-il pas vrai ? Comment ne pas admirer leur style, même si nous détesterions devenir victimes de leur criminalité ?
Nous voyons également le virus dans l’immense respect et l’admiration portés aux personnes transgenres. Un garçon ressent qu’il est une fille. Une fille ressent qu’elle est un garçon. Nous devons respecter ces ressentis, car les ressentis sont les manifestations de notre vrai moi. Ces gamins essaient seulement d’être authentiques.
Il est utile de se rappeler que Hitler et les Nazis ( désolé d’en parler mais ils sont devenus notre seul point de référence morale) étaient des romantiques. Allez voir sur YouTube Hitler prononçant un discours. Ils exprime ses sentiments – des sentiments de colère furieuse et de haine meurtrière, c’est sûr. Mais ce sont des ressentis, et du point de vue romantique, c’est ce qui compte. Hitler était (ou du moins semblait) authentique. La colère et la haine étaient les manifestations de son vrai moi.
Nous devrions aussi nous rappeler que le romantisme a eu un bon côté : après tout, il a donné Wordsworth. Cependant, je ne sais pas si ses gentils disciples l’emportent sur l’autre facette. En ce moment précis, à en juger par nos manière et notre morale, cela ne semble vraiment pas être le cas.