C’est l’histoire d’un mec… Oui, tout le monde à peu près se redit, avec un sourire, les mots de Coluche, en se rappelant de sa dégaine, trente ans après. Vais-je ajouter mon petit commentaire, alors que les hommages se multiplient ainsi que les témoignages de tous ceux qui l’ont bien connu ? Peut-être, parce que Michel Colucci nous a tous touchés un jour ou un autre, après nous avoir passablement agacés. Je comprends l’irritation manifestée par Alain Finkielkraut à l’égard de ceux qu’il appelle les amuseurs et qui sont chargés, professionnellement, d’amuser la galerie, mais, me semble-t-il, avec lui, il y avait quelque chose de plus. C’était un vrai clown, au sens propre du terme. Et un clown, ça dit énormément sur la condition humaine ! Un peintre comme Rouault y a été merveilleusement sensible.
Je l’avais complètement oublié, mais Coluche a eu des obsèques religieuses, à Montrouge, célébrées notamment par l’abbé Pierre. Et ce dernier, à cette occasion, avait dit des choses essentielles sur ce qu’on pourrait appeler le fond d’authenticité du personnage derrière toutes ses grimaces. Devant lui, l’abbé, le comédien avait fendu l’armure, en révélant un trésor de générosité, celui qui permettrait cette fondation qui est inscrite dans notre histoire et dans nos mœurs, les Restaurants du cœur.
Mais il y avait eu de multiples épisodes dans la vie de cet homme, mort à quarante et un ans, dans un accident de moto, dont on hésite à dire s’il fut banal ou stupide. Je retiens cette curieuse séquence où le comédien révéla brusquement une prétention à jouer un rôle politique. Même si c’était exprimé sur le mode burlesque (« Jusqu’ici la France était coupée en deux, maintenant elle va être pliée en quatre »), l’affaire était suffisamment perturbante pour inquiéter les politiques professionnels, François Mitterrand en tête. Coluche renonça-t-il sous la menace – il avait reçu des menaces de mort – ou sous le poids de la responsabilité excessive qu’il assumait ? Toujours est-il qu’il paya l’expérience par ce qui ressemble à une profonde dépression nerveuse. Mais n’était-ce pas dans la logique de sa vocation clownesque ? Le clown nous dit tout de nous-mêmes, mais il lui est interdit de faire des choses sérieuses, sous peine de n’être pas pris au sérieux. Sauf à s’échapper du côté de la plus pure et de la plus désintéressée des expressions de la bonté du bon mec qu’il était quand même.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 21 juin 2016.