C'est de Bavière que nous parvient la voix des pieds-noirs ! - France Catholique
Edit Template
Funérailles catholiques : un temps de conversion
Edit Template

C’est de Bavière que nous parvient la voix des pieds-noirs !

Copier le lien

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, après tant de discours et de repentances, soixante ans après leurs malheurs, les Pieds-Noirs, qui, minoritaires, dominèrent une société majoritairement musulmane, donnent encore beaucoup à méditer à des Européens encore majoritaires et dominants dans une société laïque héritée de vingt siècles de christianisme, qui laissent une société musulmane encore minoritaire s’y installer. Et il faut être reconnaissant à Wolf Albes, universitaire qui se dit “Bavarois” et non “Allemand”, auquel un père, qui a payé le prix fort pour son opposition au nazisme a donné le goût de la résistance, d’avoir fait ce que, dans la France bâillonnée par le “politiquement correct”, aucun éditeur n’a fait : leur donner la parole. Sa thèse sur le rôle d’Albert Camus pendant la guerre d’Algérie , soutenue en 1990, est à l’origine de sa découverte de toute une littérature occultée en France, œuvre de ceux qui, ayant laissé en Algérie le cercueil de trop des leurs, sont arrivés en métropole avec leur valise. C’est pour eux qu’il a fondé en 1997 les éditions Atlantis, nom allemand de l’Atlantide, l’île engloutie avec ses trésors disparus, enfouis, mal connus qu’il faut ressusciter et sauver pour les générations futures.

Pour une première initiation à son catalogue, dont la collection France-Algérie est riche de plus de 50 titres, il nous propose d’en parcourir trois : le plus ancien est une réédition, en 1999, du roman de Jean Pélégri Les Oliviers de la Justice écrit à chaud juste après avoir vu son père mourir de vieillesse en août 1955 , à Alger quelques mois seulement après le début des “événements”. Il y rappelle son œuvre de colon, dans sa ferme de la Mitidja, ses souvenirs d’enfance et y discute les raisons que les “indigènes” ont de se révolter. Publié en 1959 chez Gallimard (chose encore possible à l’époque), il avait fait l’objet d’une adaptation cinématographique sortie en mai 1962, juste après les accords d’Evian. Le Sel des Andalouses (du nom d’une plage des environs d’Oran) de Maurice Calmein (2009) raconte le retour dans l’Algérie d’aujourd’hui d’un fils de colon qui avait rompu tout lien avec son milieu d’origine. Bien accueilli de tous, résolu à s’y réimplanter, il y est tout de même agressé mortellement à la fin. Le Rêve assassiné de Maïa Alonso (2017) nous fait vivre à Thiersville, bourgade de la région d’Oran, modernisée par 500 Européens qui y administrent la vie de 7000 musulmans. Ce “roman vrai” se termine en 1958 par l’assassinat du maire de Thiersville, Félix Vallat et de son épouse Madeleine, très populaires et particulièrement engagés pour des réformes, par des musulmans en qui ils avaient toute confiance.

Ces trois auteurs écrivent pour la vérité historique et par piété filiale. Les fils lavent l’honneur des pères en répondant aux calomnies. La conquête (dont ils n’étaient pas responsables, et qui a mis fin à la piraterie barbaresque et au vaste système d’esclavage instauré par les musulmans) n’a pas été pire que celle des Romains, des Arabes, des Turcs qui se sont succédé sur ce territoire qui n’avait jamais connu l’indépendance. Eux-mêmes, migrants débarqués en Algérie, ne faisaient que fuir l’oppression ou la misère. Non, la colonisation n’a pas été un “crime contre l’humanité” même si Jean Pélégri pense en 1957 qu’il aurait fallu rompre depuis longtemps avec le système colonial. Ils ont fait “suer le burnous” ? La foule des candidats à l’embauche que Michel Pélégri disperse faute d’avoir du travail à leur donner, montre que le “burnous” n’était pas fâché d’échanger sa “sueur” contre une paye. Et si la vieille Fatima, amie intime de Jean, vit dans son gourbi au sein d’un bidonville, il ne faut pas oublier que les petites maisons que Michel Pélégri avait fait construire pour ses ouvriers étaient restées inoccupées parce qu’elles ne répondaient pas à leurs critères, et qu’en France aussi, il y avait du chômage et des taudis.

La leçon que nous laissent à méditer les Pieds-Noirs, est 1. qu’il n’y a pas de fatalité. Ces trois livres sont pleins d’anecdotes criantes de vérité montrant des faits d’amitiés, d’estime mutuelle, de preuves d’affection entre musulmans et Européens. Il n’était pas “écrit” que les Pieds-Noirs seraient chassés et les harkis massacrés. Mais 2. que certains actes libres, certains comportements, certaines occasions manquées engendrent des conséquences qui s’enchaîneront fatalement.

Des occasions manquées, nous en relèverons deux. De la première, les trois auteurs, athées ou peu religieux, semblent inconscients. Les migrants qui ont colonisé l’Algérie, Français, Italiens, Espagnols, Maltais, étaient tous de formation catholique et ils se trouvaient en contact avec des musulmans illettrés qui n’avaient pas lu le Coran, qui ignoraient qu’il leur était interdit de nouer amitié avec un infidèle, et avec une population kabyle qui n’avait pas oublié qu’elle avait été jadis chrétienne. Ces infidèles auraient pu, par leur simple fréquentation quotidienne, évangéliser les colonisés. Mais il n’étaient plus catholiques que sociologiquement. Leur ferveur véritable n’allait qu’à la religion du progrès scientifique et technique et du Paradis sur Terre. Ces grands vignerons n’ont pas eu l’idée de révéler à leur vendangeurs que le vin qu’ils produisaient et refusaient de boire pouvait devenir le Sang du Christ, ni que le pain dont ils leur distribuaient des miches, pouvait devenir le corps du Christ. C’est ainsi que les colons les plus dévoués ont fait de leurs amis, les plus intelligents des musulmans, non des chrétiens mais des communistes, leurs futurs assassins. Ils avaient oublié que “L’homme ne vit pas seulement de pain”. Ils ne prenaient pas au sérieux l’avertissement du Père de Foucauld : “Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens”. Et ils furent chassés. Ils étaient le “sel de la Terre” mais “le sel avait perdu sa saveur et n’était plus bon qu’à être foulé aux pieds”. Et ils le furent.

La deuxième occasion manquée se présenta quand l’aviateur Félix Vallat, Michel Pélégri et les musulmans qui s’étaient engagés dans l’armée d’Afrique pour libérer la France rentrèrent au pays. Ces Africains vainqueurs, qui “revenaient de loin”, avaient connu, en parfaite égalité, la fraternité des armes. On ne pourrait pas, enfin leur refuser le statut d’égalité tant attendu et pour leur pays une large autonomie. Il n’en fut rien. Leur déception fut insupportable et ”une haine qui ressemble à l’amour” comme l’écrivain pied-noir Jean Brune a titré le plus beau de ses romans (réédité également par Wolf Albes), engendra la suite…

D’autres occasions pourront-elles être saisies ? Un relatif optimisme peut naître de l’accueil reçu par Maurice Calmein dans cette Algérie où s’obstine à résider un écrivain à l’esprit libre, le préfacier du Sel des Andalouses, Boualem Sansal. Mais pour les saisir, il faut les dons que Dieu fit en songe à Salomon : “le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner”… “ un cœur intelligent et sage”. Prions pour que Dieu les accorde aux gens qui nous gouvernent.