C’est donc officiel. Samedi matin, le Vatican a annoncé que le cardinal Raymond Burke était démis de son poste de chef de la Signature apostolique (la cour suprême de l’Eglise) et nommé cardinal patron des Chevaliers et Dames de l’Ordre de Malte. Ce transfert avait été pressenti depuis longtemps et n’a donc pas été une grande surprise. Mais comme c’est souvent le cas, maintenant que ce jour tant redouté est arrivé, je me sens à la fois attristé et vraiment très en colère.
Ma tristesse a deux causes. Le pape François a clairement approuvé ces décisions – qu’il en soit l’instigateur ou qu’elles lui aient recommandées par des conseillers qui ont son oreille. Mais ce sont précisément de voix comme celle de Burke qu’il a besoin. Il doit déjà être assiégé par des conseillers souvent peu fiables comme les cardinaux Maradiaga, Marx et Kasper. Ce dernier en particulier semble de plus en plus incohérent à mesure qu’il essaie d’expliquer précisément pourquoi le mariage est indissoluble et que, pourtant, ceux qui s’engagent dans une seconde relation sexuelle – qui n’est pas un mariage – peuvent être absous et recommencer à recevoir la sainte communion. La seule manière d’y parvenir serait que Dieu abolisse la loi de non-contradiction, et je ne pense pas que cette initiative figure sur la liste de ses priorités.
Mais il y a plus et pire, je crois. Je ne suis pas spécialement porté à voir des complots partout, dans un contexte tant sacré que séculier. Mais il existe un problème « systémique » au sein du Vatican que la présence d’un homme loyal et sincère comme Burke permettrait de corriger.
Deux jours avant sa mutation, une autre « erreur de traduction » a été repérée dans la traduction anglaise officielle du rapport final du Synode.
Comme le père Gerald Murray l’a signalé dans ces colonnes samedi, il a fallu des semaines pour établir cette traduction. Nous aurions pu nous attendre à ce qu’elle ait été soigneusement travaillée et vérifiée dans les plus hautes sphères.
Mais voilà ce qui s’est passé, ou tout au moins ce qui semble s’être passé. (Le Vatican dit et répète qu’il veut être transparent et ouvert dans toutes ses opérations – une démarche contestable pour une institution comme l’Eglise catholique – mais ce serait un pas sur cette voie si les responsables expliquaient comment les choses se sont déroulées dans le cas présent).
La traduction a été publiée. Robert P. Imbelli, un jésuite qui enseigne à Boston College, a remarqué une étrange omission et l’a signalée le 3 novembre sur le blog du magazine catholique progressiste Commonweal. La fin du paragraphe 3 (qui est en fait le paragraphe 4 dans la version italienne officielle et a été corrigé) se lisait comme suit « la discussion, à la lumière du Seigneur Jésus, pour discerner les voies grâce auxquelles pourront être renouvelées l’Eglise et la société dans leur engagement en faveur de la famille. »
Rien qui prête à controverse dans ces lignes, si ce n’est que le texte italien continue : « leur engagement en faveur de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme ». Une omission sujette, elle, à controverse. A tel point, en fait, que cette traduction semble avoir été retirée pendant un certain temps du site web du Vatican (elle y figure de nouveau).
J’ai fait pas mal de traductions moi-même et je suis indulgent quand de petites erreurs apparaissent, surtout dans un texte long ou difficile. Les traducteurs ne sont que des êtres humains – trop humains au Vatican, dirait-on. Le fait qu’une telle omission ait pu survenir et qu’une personne chargée de réviser le texte ait pu l’approuver avec cette omission semble plus qu’une étourderie passagère. Il s’agit soit d’une grave négligence dans le traitement d’un sujet extrêmement sensible soit d’une édulcoration délibérée du texte.
Dans un cas comme dans l’autre, il y a vraiment quelque chose qui cloche. L’expression « homme et femme » apparaît cinq fois dans le texte : pour parler de leur « union indissoluble » présentée comme le projet initial de Dieu (par.14), mais suivie d’un appel au rôle de la miséricorde ; pour signaler leur « vocation à l’amour » dans la famille (par.18) ; pour affirmer la vérité de leur amour (par.19) ; pour prendre en compte « la relation vraie et stable d’un homme et d’une femme » dans des cultures non chrétiennes (par.22) et pour reconnaître la réalité des mariages civils (par.27).
En d’autres termes, le seul endroit où l’expression semble avoir été supprimée s’inscrit dans une espèce de définition globale de la famille fondée sur l’union entre un homme et une femme.
Plusieurs catholiques traditionalistes que je connais ont essayé de se rassurer et de nous rassurer quand ces « erreurs de traduction » apparaissent. Mais nous ne parlons pas d’un vieux rédacteur athée de la Repubblica citant un passage de mémoire ou donnant une traduction rapide d’un discours du pape.
Même en admettant que c’est une simple étourderie, je ne suis guère rassuré personnellement. Car cela démontre que tout le dispositif de traduction et de révision des textes sensibles est au mieux peu fiable.
L’explication est plus simple, j’en ai peur. Dans le contexte des incertitudes actuelles de l’Eglise, au cours de ces deux dernières années, les « erreurs de traduction » ont toutes semblé favoriser les opinions progressistes. Un fait certainement révélateur.
C’est pourquoi la présence du cardinal Burke dans cet ensemble aurait été précieuse pour le Saint Père. C’est lui qui s’est montré « libre et ouvert » dans l’exposé de ses opinions, comme le pape l’avait demandé, et courageux et fidèle au milieu des multiples tentations de se rallier à la culture post-chrétienne. Il n’y a jamais beaucoup de personnes sincères dans n’importe quelle organisation. On peut ne pas être d’accord avec elles, mais un bon dirigeant sait qu’il a besoin dans son entourage de gens qui exprimeront leur point de vue sans fard.
Annoncer le transfert un samedi matin – l’équivalent ecclésial du paquet de nouvelles balancées le vendredi soir par la Maison Blanche pour atténuer la controverse – était aussi particulièrement inefficace. Même de grands journaux non religieux et d’autres médias – qui ont « un certain intérêt » à convaincre que l’Eglise se rallie finalement à leurs vues – ont publié des articles le dimanche sur la « destitution d’un dur du Vatican ». L’Associated Press a même rappelé aux lecteurs que c’était le deuxième renvoi du cardinal Burke – il avait été écarté de la Congrégation des évêques plus tôt dans l’année.
Le cardinal Burke est un gentilhomme et un homme gentil qui ne va pas commenter la décision du pape. Le poste de Malte, bien que surtout honorifique, n’est pas une sinécure. Je ne suis pas membre de cet ordre, mais les hommes et les femmes qui le sont font du très bon travail. Le cardinal Burke s’acquittera sans aucun doute de ses nouvelles fonctions avec la diligence et l’assiduité dont il a fait preuve dans tous ses autres postes.
Les efforts de ce faucon maltais porteront leurs fruits en temps voulu, Deo volente.
Photographie Le cardinal Raymond Leo Burke
Robert Royal est le rédacteur en chef de The Catholic Thing et le président du Faith&Reason Institute de Washington (D.C.) Son ouvrage le plus récent, The God That did not Fail : How Religion Built and Sustains the West, est actuellement disponible en livre de poche édité par Encounter Books.