L’hebdomadaire La Vie a eu l’excellente idée de demander à José Bové de lire le roman de Houellebecq, Serotonine, qui sera demain dans toutes les librairies de France. Excellente idée, parce que José Bové, avant d’être un militant, voire un agitateur politique, est d’abord un vrai paysan, attaché à sa terre du Larzac. L’agriculture, le métier de paysan, il connaît parce que c’est sa vie et on ne peut pas lui raconter d’histoires. Alors, pour savoir si Houellebecq a vraiment dépeint le monde agricole, ses difficultés, sa psychologie et décrit sa détresse, c’était le lecteur et le critique rêvé. Pendant deux jours, il s’est affronté au roman : « Assis à la table de cuisine, un stylo à la main pour prendre des notes. Quelle expérience ! J’étais aimanté à ma chaise, un paquet de gris tout neuf, ma pipe et une cafetière pleine. »
Autant dire qu’il a été « scotché ». Houellebecq dépeint la réalité, au-delà de toutes les caricatures et des idéalisations. Et cette réalité concerne la globalité de la question agricole. José Bové n’est pas seulement un vrai paysan, c’est un politique, un parlementaire européen qui connaît tous les rouages de « cette industrie lourde qui mobilise des capitaux de production importants pour dégager un revenu faible ou nul voire un revenu négatif ». Et de citer le romancier dans le texte, pour un verdict terrible : « L’agriculture en France, c’est un énorme plan social, le plus gros plan social à l’œuvre à l’heure actuelle, mais c’est un plan social secret, invisible où les gens disparaissent individuellement dans leur coin, sans jamais donner matière à un sujet pour BFM. »
Oui, c’est terrible. Houellebecq imagine une révolte paysanne en Normandie, qui est la révolte du désespoir. On ne comprend pas la violence qui s’est déployée au Puy-en-Velay, dans un département rural, si l’on n’a pas en tête cette dimension du drame national. Sans doute, la paysannerie ne s’est-elle pas jointe encore massivement aux gilets jaunes. Mais sa cause ne se sépare pas de celle de la France périphérique. Elle est une des premières victimes de ce système qui la détruit depuis des décennies. Houellebecq et Bové en sont bien d’accord.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 3 janvier 2019.
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