Le débat sur l’extension du bonus-malus à de nouveaux produits a été tranché négativement par F. Fillon. Mais pour J-L Borloo, c’est la question du juste prix qui est ici en cause.
C’est un sujet qui a beaucoup agité le gouvernement : faut-il étendre, au nom du Grenelle de l’environnement, le bonus-malus de l’automobile à de nouveaux produits (des téléviseurs aux ordinateurs en passant par les pneus) ? Telle était la thèse du ministre du Développement durable, Jean-Louis Borloo. Après avoir hésité, F. Fillon, puis N. Sarkozy ont fait savoir leur opposition « pour l’instant » : de nouvelles taxes seraient mal venues ; l’UMP se réjouit (il y a déjà assez d’impôts) et les écologistes protestent.
Il y a un point du débat qui est intéressant, lorsque le ministre de l’environnement a défini le bonus-malus au nom du « juste prix ». Voilà une notion qui a agité la pensée chrétienne pendant tout le Moyen Âge et au-delà : comment définir le juste prix, équitable pour les uns et pour les autres ? Certains proposaient de tenir compte du coût de production: serait juste un prix reflétant l’ensemble des dépenses. C’est ce qui a donné plus tard les thèses de la valeur travail, chères à Ricardo, puis à Marx. J.-L. Borloo se situe, à sa façon, dans cette logique : il parle d’un nouveau « modèle économique » où le prix de marché ne rémunère plus seulement le capital et le travail, mais aussi le capital nature, ce dernier grâce à une taxe qui augmente le prix.
Mais la plupart des scolastiques, saint Thomas d’Aquin en tête, sont, comme le disait Daniel Villey, « innocents de l’erreur scientifique de la valeur travail ». Ils en sont venus à considérer que le processus qui influençait le juste prix était si complexe, faisait entrer tant de considérations qu’aucun homme ne pourrait le calculer. Seul Dieu serait capable de le faire. Donc pas question de laisser l’État fixer le prix.
La solution a été apportée par les scolastiques tardifs de l’école de Salamanque. Faute de pouvoir humainement le calculer, le juste prix était déterminé par la juste conduite des participants au marché, c’est à dire le prix «d’un marché de concurrence, à condition qu’il soit exempt de fraude, de manipulation, de violence, de monopole. Thèse qui a influencé ensuite les économistes à partir d’Adam Smith : le juste prix, c’est le prix du marché de concurrence.
Tout autre prix, notamment fixé arbitrairement par l’État, un prix administré, serait ce que Jacques Rueff appelait un « faux prix ». On l’a vu maintes fois dans l’histoire, depuis la loi sur le maximum des révolutionnaires, jusqu’aux prix fixés par la planification dans l’ex-URSS, il conduit toujours à de mauvaises décisions : s’il est fixé trop haut, c’est la surproduction, s’il est fixé trop bas, c’est la pénurie : ce n’est pas cher, mais à ce prix là, il n’y a pas de produits.
Certes, on comprend le souci, légitime, de notre ministre de préserver l’environnement et l’avenir de la planète. La question écologique est une vraie question et Benoît XVI ne cesse de le répéter. Mais elle ne sera pas résolue par des manipulations étatiques de prix, par des taxes (malus) ou des subventions (bonus) : ce serait avoir la présomption fatale pour l’État de prétendre connaître le juste prix. Il faut donc se tourner vers d’autres pistes, en utilisant des procédures marchandes (comme les droits à polluer mis en place par le protocole de Kyoto), qui ne perturbent pas le bon déroulement de la vie économique, tout en contribuant à améliorer l’environnement.
Jean-Yves NAUDET