Samedi-Saint – L’office du Vendredi-Saint dans la cathédrale d’Angers a eut une ampleur admirable : démontrant ainsi qu’une belle liturgie, à la fois simple et solennelle, priante et fervente, parvient aisément à retenir une assemblée nombreuse – le vaisseau du siège épiscopal n’offrant quasi plus de place aux retardataires ! – pendant plus de deux heures. Des lecteurs que l’on comprend, des lumières qui portent l’esprit, un nombre impressionnant d’enfants de chœurs – les enfants de notre Maroussia absents parce qu’avec leurs chers parents sont avec eux en pèlerinage à Pellevoisin –, une chorale convaincante, des membres du Saint-Sépulcre qui portent la grande Croix à vénérer, des prêtres dont les mouvements les attitudes sont adéquats, un évêque, Mgr Emmanuel Delmas, dont les paroles furent ce que nous en attendions, porteuses d’une contemplation à la fois douloureuse et remplie d’espérance. Des chants en français et en latin, d’autres, grégoriens, sortis du Totus d’autrefois qui m’a servi pendant des années, lorsque j’appartenais moi-même à la chorale de Conflans, dirigée par le Père Revers…
Ce matin, en tête du Magnificat au jour du Samedi-Saint : « Lève-toi, Seigneur, et montre-nous ton visage » ! Ce verset de je ne sais plus quel psaume exprime un désir qui passe les siècles : ces derniers jours j’ai pu, en treize interventions, montrer ce Visage, cette Saint Face à quelques quinze enfants de CM2 en l’école Louis et Zélie Martin à Angers, aussi à une quinzaine d’adultes de la même école ; encore à quelques trois cent trente adolescents du collège Notre Dame à Janville …
J’aurais tant aimé, mais ceci ne me fut pas demandé, être mis en mesure de faire bien plus1: non par dévouement, ce serait si peu, ni par volonté d’un militantisme stakhanoviste, ce qui est très éloigné de mon caractère : par, seulement, une conviction ancrée dans une certitude qu’étayent toutes les connaissances actuelles sur ce document ! Oui, le Linceul de Turin est bien celui du Christ et de ce fait outil catéchétique extraordinaire dont, hélas, l’Église oublie de se servir ; sans oublier cependant de noter que ces interventions – comme toutes celles qui jalonnent les années de 2002 à aujourd’hui – sont pour moi à chaque fois une source jamais tarie d’une joie profonde.
Constater à quel point ces jeunes, que l’on me présente, par prudence, difficiles et bruyants, offrent, non à moi, mais à Celui dont je leur parle et qui leur livre cette image de lui-même dans sa mort et de sa très prochaine résurrection, un silence et une écoute qui dépassent l’entendement.
Ce n’était pas avec l’intention de parler du Linceul que j’ai ouvert cette page : je ne voulais que parler de la nuit qui va du Vendredi-Saint au soir jusqu’avant ce « petit matin » dont parle saint Jean, moment où les Saintes Femmes se mettent en route pour se rendre au tombeau qu’elles ne savent pas encore vide.
Bénédicte Ducatel écrit, dans le livret de la Semaine Sainte complétant le « Magnificat » de ce mois :
« […] Jour unique dans l’année liturgique, le Samedi-Saint nous tient sur le sommet de la foi vive : la mort a-t-elle raison de Dieu ? Revenons aux paroles qui portaient l’espérance au jour de tranquillité ‘’Dans la paix, moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul dans la confiance’’ (Ps IV,9). Le Christ s’est endormi, remettant sa vie entre les mains du Père. Il a fait l’expérience de la foi pure qui ne compte pas sur elle-même mais sur Dieu seul. » Je n’ai cité que ces quelques lignes, même si tout la page m’a grandement intéressé.
Ce texte est beau, certes, et il interroge le lecteur, mais je ne suis pourtant pas certain de l’exactitude du propos, car je pense à ce que nous révèle saint Pierre, notre premier Pape :
« Le Christ lui-même en effet est mort une fois pour les péchés, lui le Juste pour des coupables, afin de nous conduire à son Père ; car mis à mort dans sa chair, Il a été rendu à la vie selon l’esprit. C’est avec ce même esprit qu’Il est allé faire sa proclamation aux esprits détenus en prison… » (I Pierre III, 18-19), celle de la Mort.
Et plus loin, après avoir indiqué ce que faisaient les païens (débauches, passions, saoûleries, orgies, beuveries, idolâtrie…) :
« Ils jugent étonnant que vous ne couriez pas avec eux vers ce torrent de perdition et ils se répandent en outrages. Ils en rendront compte à Celui qui se tient prêt à juger vivants et morts. C’est pour cela, en effet, que même aux morts a été annoncée la Bonne Nouvelle, afin que, jugés selon les hommes dans la chair, ils puissent vivre selon Dieu dans l’esprit » (I Pierre IV, 4-6).
Hormis l’appropriation des dernières lignes à ce que nous vivons aujourd’hui, nous pouvons regretter que ce texte de saint Pierre, porteur d’une espérance vivifiante, ne fasse pas l’objet de réflexions plus fréquentes de la part de nos enseignants ou bergers ou pasteurs.
Jésus n’est pas demeuré dans son tombeau : inutile certes de supputer si en esprit Il a quitté ce lieu aussitôt après son ensevelissement ou plus tard, il nous suffit de savoir qu’Il en est sorti pour se rendre en ce « séjour des morts » dont nous ne savons rien mais dont les Romains, en leur acte de crucifixion, s’étaient permis de le lui interdire tout comme en le crucifiant nu ils lui avaient fait savoir ou comprendre qu’Il n’était plus pour eux qu’un simple animal et non plus un être humain. Et l’on contemple, effaré, le résultat absolument atroce que nous laisse voir, discrètement, le Linceul lui-même.
Ce qui m’apparaît le plus étrangement c’est la joie de Jésus. Je crois qu’elle éclate, rayonnante, lorsqu’enfin Il peut dire que « Tout est accompli », car alors il peut regarder vers son Père, ayant accompli « Sa » volonté, ayant ainsi prouvé l’indéfectible amour qui le lie à Lui. Toute l’Écriture en ce seul acte, dont on voit bien, en répertoriant l’ensemble des textes du Premier Testament, qu’elle n’a de sens, dirais-je historique ?, que si est venu le Christ et que s’Il Se livre aux supplices, de la façon la plus déterminée qui se puisse concevoir et dont témoigne la théophanie d’avant son arrestation volontaire : « Qui cherchez-vous ? – Jésus de Nazareth – Moi, Je suis », répond-Il et non « C’est Moi » comme cette expression n’est en effet pas écrite dans l’ordre des mots grecs et araméens. D’ailleurs, s’Il avait répondu comme en français, les gardes ne se seraient certes pas effondrés sur place…
Chez les orthodoxes on vénère une icône admirable qui montre le Seigneur debout sur une croix couchée, prenant avec vigueur la main d’Adam et celle d’Ève. Détail symbolique, la main de la femme par qui vint le malheur de l’humanité se trouve être portée plus haut que celle de l’homme par qui vint le choix du pouvoir, que je nomme volontiers l’ordre du Savoir idolâtré.
L’auteur de l’icône première vit-il en cette différence comme une référence révérencieuse envers celle que l’on nomme la Nouvelle Ève et par qui vint parmi nous et en nous Celui qui nous ferait reprendre le chemin vers cet Éden où règne seul et sans partage l’ordre de l’Amour ? Je ne sais, mais j’aime à le croire.