Rien ne va plus entre Roselyne Bachelot et Jean Leonetti. Lorsque la première a annoncé la levée partielle de l’anonymat du don de gamètes (voir FC n°3224) le second est monté au créneau. Il aurait menacé l’Élysée de refuser d’être rapporteur d’un projet contenant cette disposition qu’il a toujours fermement écartée malgré la mobilisation argumentée de ses promoteurs.
Entre le médecin et la pharmacienne, c’est à qui imprimera sa marque. Une fois conduites avec succès ses deux missions sur la fin de vie, l’une avant la loi du 22 avril 2005 qui porte son nom et l’autre après, Jean Leonetti a réussi au printemps 2009 « ses » états généraux de la bioéthique.
Consensuel, le député vise un projet de révision modeste qui éviterait tout bouleversement. Comme tout parlementaire devenu emblématique d’un domaine, il peut désormais lorgner sur le ministère de la Santé. Usée par la catastrophe non advenue de la grippe A et brouillée avec les médecins libéraux au grand dam du président de la République, Roselyne Bachelot a-t-elle voulu savonner sa planche ? Seule contre son camp à l’époque du Pacs, madame Bachelot est connue pour ses positions transgressives.
Au ministère de la Santé, elle a continué de soutenir les revendications du Planning familial sur l’avortement, en martelant que l’IVG devait être une « composante à part entière de l’offre de soins ». L’intention affichée d’ouvrir « aux pacsés hétérosexuels » le droit d’accéder aux techniques artificielles de procréation, jusqu’ici réservées aux couples mariés ou non mariés mais pouvant justifier de deux années de vie commune, a provoqué des murmures contradictoires.
Pour le magazine homosexuel Têtu, son « projet de loi instaure une nouvelle discrimination puisqu’elle prévoit d’ouvrir l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples hétérosexuels pacsés, tout en l’interdisant aux couples homosexuels ». Mais les opposants à la notion de « parentalité gay » se demandent si cette porte ouverte ne permet pas, justement, à Madame Bachelot d’offrir au lobby homosexuel un boulevard revendicatif, avec, par ailleurs, de sérieux motifs d’obtenir gain de cause devant la Justice.
Même si un observateur comme Jean-Yves Nau, journaliste spécialisé, proteste contre l’immobilisme du projet sur le ton du « Tout ça pour ça ! », d’aucuns suspectent madame Bachelot d’avoir mis en avant la disposition bioéthique la plus évidente (offrir aux personnes nées de dons de gamète la possibilité de connaître leur origine biologique) pour montrer qu’il n’y a pas de débat tabou, en bioéthique.
Alors, quid des mères porteuses ou d’une autorisation explicite de rechercher sur l’embryon humain qui constituaient les deux enjeux phares du débat ? Même si l’avant-projet de loi de madame Bachelot écarte ces perspectives, elles pourraient arriver par amendements, au cours du débat, dans l’un ou l’autre des hémicycles. Avec l’affaiblissement de l’exécutif, les parlementaires sont devenus frondeurs. Le travail bioéthique revendiqué par les loges maçonniques a fait surgir des courants transpartisans, comme le ticket Claeys (PS) Vialatte (UMP) à l’Assemblée. La Commission des affaires sociales du Sénat sera aussi tentée de se démarquer des positions jugées « conservatrices » que prône jusqu’à maintenant le gouvernement. D’autant que le Sénat est en passe de basculer dans l’opposition. Et quoi de mieux que les fameuses « questions de société » pour montrer un visage progressiste, lorsqu’on appartient à cette chambre haute si régulièrement taxée de ringardisme ? Bref les discussions vont bon train à l’Élysée, autour du professeur Arnold Munich, le conseiller du Président pour la bioéthique.
De son côté, l’Église catholique a une carte à jouer. Nicolas Sarkozy sait devoir compter sur les marges pour sa réélection. Il ne cache ni son irritation, ni son embarras d’avoir indisposé la hiérarchie catholique avec l’affaire des Roms. Il se soucie aussi de l’électorat âgé… Comment éviter de perdre des voix avec la bioéthique ?
Le Président n’ignore pas que le lobby homosexuel est médiatiquement gonflé, comme la grenouille de la fable. Celui des chercheurs ne pèse pas, non plus, tant que cela sur le plan électoral. La seule minorité qui a vraiment la bioéthique à cœur, parce qu’elle se soucie de tout homme, c’est la communauté chrétienne… On aimerait l’amadouer en bioéthique, en mettant en exergue qu’on a « évité le pire », comme, par exemple, la systématisation du dépistage de la trisomie 21 au cours du diagnostic préimplantatoire. C’est vrai. Il n’en demeure pas moins qu’aucune des transgressions qu’ont avalisées les législations successives n’est remise en cause. Toutes s’aggravent plutôt : assouplissement des autorisations dérogatoires à la recherche sur l’embryon, élargissement de l’accès à l’AMP. Sans compter la dérive eugénique. Aucune raison, pour l’Église, de délivrer un satisfecit.