Voilà bien longtemps que je connais Bernard-Henri Lévy. Les aléas de la vie et des rencontres ont fait que je ne l’ai pas revu ces dernières années. Si tel avait été le cas, je suis assuré que notre conversation aurait été courtoise et même amicale, en dépit de pas mal de sujets de désaccords. Depuis le temps où il publiait La barbarie à visage humain, il n’a pas vraiment changé. Il est toujours aussi mobilisé, brillant, impatient d’intervenir sur la scène publique, avec en tête l’exemple de ses grands prédécesseurs. Malraux d’abord, sans doute à cause de l’aura romantique et héroïque qui accompagne l’auteur de La condition humaine. À cause aussi de la guerre civile espagnole où Malraux s’illustra et où le propre père de BHL s’engagea du côté républicain. Je pense à Sartre également, auquel il a consacré un de ses meilleurs livres et qu’il révère, non pas pour l’ensemble de ses positions politiques, dont beaucoup furent carrément désastreuses, mais en vertu du modèle de l’intellectuel engagé qu’il incarna, sans cesse sur la brèche.
Je songeais à tout cela en lisant le discours que Bernard-Henri Lévy a prononcé dimanche à Kiev, sur la fameuse place Maidan. C’est typiquement une harangue de normalien, qui associe les références littéraires aux rappels historiques. Ses auditeurs sont qualifiés de fils de Voltaire et de Victor Hugo, et pour s’insérer dans la culture locale de fils de Taras Chevtchenko. J’avoue que j’ai dû consulter Google pour m’informer sur l’identité de celui qui est qualifié de poète, peintre et humaniste « le plus grand poète romantique de langue ukrainienne ». Probablement la foule de Kiev a-t-elle été sensible à ce rapprochement. Mais il y avait tout de même quelque chose d’un peu décalé dans cette présence et dans ce discours. J’ai pensé à Jean-Paul Sartre, juché sur un tonneau, haranguant les ouvriers de Renault à Boulogne-Billancourt. Je doute que cette pose pour l’histoire aide à la résolution du conflit ukrainien. Le normalien Fabius, quoi qu’on en pense, me paraît mieux accordé à la fonction.
Chronique lue sur radio Notre-Dame le 4 mars 2014.
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