Bernanos nous est resté présent, ses éclats, sa révolte ne cessent d’illuminer nos chemins, les causes que la course de l’histoire suscite de décennie en décennie. Mais l’histoire a besoin de témoins vivants qui reprennent le flambeau des mains du compagnon qui s’en va. Qu’auraient été pour nous, notre génération, les années soixante et soixante-dix sans la présence agissante, chaleureuse, bernanosienne de Maurice Clavel ?
Clavel a été Bernanos vivant pour quelques-uns d’entre nous des années durant, jusqu’à ce qu’il nous convoque au flanc de Vézelay pour nous rendre à tous le témoin. Qu’il nous manque depuis 79 ! Quel vide ! Je ne cesse de rencontrer des amis connus et inconnus tous inconsolables. Je ne jurerais pas qu’il ne m’arrive encore d’acheter le Nouvel Observateur le samedi avec l’espoir inavouable que je vais retrouver sa chronique.
Dire pourquoi « il fut Bernanos » paraîtra superflu à ceux qui connaissent l’un et l’autre. Bien évidemment, leurs personnalités, leurs œuvres sont distinctes, tout comme leurs vies marquées par des événements, des milieux différents. Il n’est pas sûr pourtant qu’on ait bien saisi toutes les analogies possibles sur leurs enracinements communs, leurs références spontanées. Les observateurs pressés et superficiels n’ont retenu de Clavel qu’un gauchisme virulent, éventuellement une ou deux opérations de commando, à coup sûr le fameux « Messieurs les censeurs, bonsoir ». De là à l’imaginer en parfait intellectuel de gauche, familier de toutes les manifs et de toutes les pétitions imaginables, il n’y a qu’un pas. Mais quelle erreur !
Ma première rencontre avec Clavel date justement de ce face-à-face raté avec M. Royer. Un de mes amis, Arnaud Fabre lui avait adressé dans notre journal à cette occasion une chaleureuse lettre ouverte. Sa réponse télégraphique fut une invitation immédiate à venir le voir. Nous nous rendîmes à son domicile non loin de Denfert-Rochereau, Arnaud Fabre et moi-même, un soir d’hiver. Mme Clavel nous accueillit. Maurice n’était pas rentré encore de sa messe quotidienne au couvent franciscain voisin. Dès qu’il fut là, il se révéla à nous avec sa spontanéité et sa chaleur ! Ce fut d’abord pour nous montrer la dédicace de sa pièce : la Grande pitié du Royaume. Eh oui, le célèbre intellectuel gauchiste avait dédié une de ses plus belles œuvres au Comte de Paris, l’héritier de nos rois. Et il était heureux de nous rappeler comment la Grande Pitié avait été jouée au Festival de Provins en présence du Prince. « Ce fut une grande cérémonie royalo-républicaine ! »… Peu de temps avant sa mort, il rencontrait le Comte de Paris à Chantilly, amené par Bertrand Renouvin. Ce fut pour lui l’occasion de faire le bilan depuis Provins : Mai 68 (il s’était félicité à ce moment de la lettre étonnante de lucidité et de force envoyée par le Prince au général de Gaulle), le combat gauchiste, les nouveaux philosophes, aujourd’hui les autonomes qu’il suivait en espérant que cette révolte ne se fourvoie pas une fois de plus.
Mélange détonnant ! Le Comte de Paris n’était ni scandalisé, ni surpris. Et lorsque le premier mai 1979, il se souvint devant nous de son ami Clavel, c’est Bernanos qu’il évoqua. Avec Clavel il avait retrouvé la même fougue, la même pureté.
Pour ceux qui ne comprennent rien au fait que ce gauchiste (n’a-t-on pas parlé aussi de maoïste !) ait pu se retrouver si à l’aise avec les royalistes, il faut rappeler l’auteur des Grands Cimetières. Michel Esteveye dans sa récente biographie parle de « royaliste révolutionnaire » à son propos. Clavel dans le Nouvel Observateur évoquait les « royalistes gauchistes » de la Nouvelle Action royaliste. Il devait retrouver un air de famille.
D’ailleurs, il ne cachait pas que sous l’influence de Pierre Boutang, il avait été lui-même conquis au royalisme à la veille de la guerre. Au même Boutang, il était reconnaissant d’une dette qu’il a toujours reconnue, sans compter l’admiration qu’il lui portait au point de le comparer devant nous tandis qu’il concevait son Socrate au Platon de dix-huit ans ! Une de ses dernières initiatives ne fut-elle pas de réclamer à l’auteur de l’Ontologie du Secret, cette superbe Apocalypse du Désir qui restera un des plus grands livres de ce temps.
Je ne veux pas ici confier tous mes souvenirs. Mais tout de même, comment ne pas évoquer cette montée sur la colline de Vézelay où Clavel se rendait chaque jour depuis Asquins pour assister à la messe de ses amis franciscains. Je pense que nous n’oublierons jamais Bertrand Renouvin et moi-même, ce chemin où le souvenir de saint Bernard prêchant la Croisade est associé à Marie-Madeleine, la sainte de la grande basilique. Cette montée, il l’évoque d’ailleurs dans la conclusion de Dieu est Dieu, nom de Dieu.
Ce fut à cette occasion qu’il nous incita à reprendre une théorie de la monarchie à partir de certaines intuitions de Michel Foucault. La monarchie, nous disait-il, c’est l’institution qui échappe à la compétition du pouvoir et donc à la volonté de puissance. Il devait reprendre ce thème aux journées royalistes de 1978 en présence de Pierre Boutang et de Jean-Loup Bernanos qu’il avait fait monter à ses côtés à la tribune.
A notre première rencontre, rue Cresson, il avait également évoqué son action chez les gauchistes « Le Bris et Le Dantec, vous les connaissez ? Ce sont des chouans ! » Depuis des années, il avait la certitude que le gauchisme se sortirait de son dogmatisme marxiste de plomb, pour aboutir à une véritable révolution spirituelle. Ses nombreux lecteurs se sont familiarisés avec sa vision de Mai 68, ce retour névrotique et sauvage de l’Esprit secouant la ronronnante société de consommation et de néant. Il était évident à ses yeux que les meilleurs jeunes gens qui avaient participé aux convulsions de ce mois prodigieux feraient au marxisme « un été de la Saint-Martin » pour découvrir quelle idéologie d’aliénation il était. Au besoin, il les aiderait à presser le mouvement. D’où ce premier livre d’une grande série Qui est aliéné? qui acheva de me convaincre s’il en était besoin.
J’étais clavélien avant même de le rencontrer. Mais la rencontre fit que désormais Clavel nous avait mobilisés mes amis et moi dans une offensive qu’il allait mener tambour battant jusqu’à sa mort. Désormais, il nous donnerait dans notre journal Royaliste, la primeur d’un entretien à chaque parution d’un de ses livres. Nous faisions partie des forces qu’il mettait en batterie dans son dispositif. Il espérait — il nous l’avait confié dès le départ — une rencontre entre ex-maoïstes et royalistes. Il en attendait beaucoup.
Quel prodigieux stratège ! Clavel avait son plan qui n’avait d’ailleurs rien de machiavélique. Il risquait toutefois de surprendre « l’adversaire » par la surprise et l’inattendu. Comment s’y retrouver avec ce catho gauchiste anti-gauche, ce révolutionnaire anti-curé progressiste ? Ils y perdaient tous leur latin. Un Xavier Grall, lui comprenait et applaudissait. Mais allez-vous y retrouver chez ces Paroissiens de Patente, si loin du modèle breveté de syndicaliste, qui n’étaient qu’intériorité et communion. Où Clavel voulait-il donc mener son monde ?
Savait-on vraiment qui il était ? Un jour, il m’avait téléphoné pour me remercier d’un article sur les Lip : « Quand vous écrivez que vous êtes pris par un grand fou rire intérieur lorsque vous pensez à la stupéfaction voire même à la colère des gens devant un pareil langage, je vous comprends ! Il m’arrive de réagir comme vous. » Il fallait pourtant que l’on sache une bonne fois les choses.
Ce fut dit magistralement dans Ce que je crois qui révélait tout de l’intrusion de Dieu dans une vie. Maurice Clavel avait réécrit les Confessions pour le siècle, non point à la manière de Jean-Jacques, mais à celle d’Augustin. Ce livre restera le plus grand de ses livres. D’Augustin, Clavel a retrouvé le dialogue du Maître intérieur, l’intimior intimo meo. Ce Dieu qui est plus intime que ma propre intimité. Claudel traduit : « Plus moi-même que moi », dans un poème où je saisis un condensé de la conversion de Clavel.
Il faut céder enfin ! O porte il faut admettre L’hôte; cœur frémissant, il faut subir le maître Quelqu’un qui soit en moi, plus moi-même que moi.
Le Dieu de Clavel ne se révélait pas au terme d’une dialectique bien conduite. Il s’affirmait comme partenaire d’un combat semblable à celui de Jacob. Il taraudait les reins et les cœurs. Il fut vainqueur de Clavel au terme d’une lutte épuisante de plusieurs années où le malheureux Maurice passa par tous les tourments de l’enfer. On appelle cela de nos jours une dépression nerveuse. Le dépressif passa par toutes les étapes de la pharmacopée et du divan. Peine perdue. Un spirituel du XVIIe siècle aurait déjà remarqué que ce genre de maladie ne se guérissait pas à force de bouillons et de tisanes. Quelqu’un frappait comme un sourd pour demander l’entrée. Ce Dieu était celui qui sonde les reins et les cœurs, celui qui remue les entrailles. Clavel comprit la Bible à la lettre.
Marie Balmary a raconté que le jour même de sa mort, Clavel s’était plaint d’un tour de reins. Le soir même, il mourait d’une crise cardiaque. Les reins et le cœur !
Au terme de l’épreuve, il avait rencontré le Christ qui l’accompagnerait désormais à chaque pas.
Ce que je crois éclaire toute une vie, il nous fait comprendre aussi la nature de son travail de journaliste qui désormais ne connaîtra plus de repos. Il me semble que c’est son Socrate qui nous en livre le secret. Le Socrate de Clavel est un précurseur du Christ de toute évidence. Son rôle, sa vocation, sa vie ? Secouer la bonne conscience athénienne et hellène. Dans un article du Nouvel Observateur qui anticipait sur le livre, Clavel définissait ainsi l’enjeu : « La cité athénienne était fondée à la base sur un étrange mélange d’esthétisme, d’intellectualisme et de pragmatisme avec une élimination refoulante de l’intériorité et de l’angoisse que traduit assez bien son théâtre tragique. Sauf Antigone, ou encore Zeus mettant fin par compromis au supplice de Prométhée…
« Quelque chose n’est pas encore « libéré » qui n’a pas de nom. Et Socrate lui-même, et son ange ou démon intime, ne font que le pressentir. »
Dans chacun de ses articles, Clavel sera Socrate, « le Taon, le poisson torpille qui pique et dégonfle les baudruches des sophistes et pour comble d’insulte, ne se fait pas payer ! C’est gratuit ! Il tue le commerce à tous les sens de « commerce » ! Il détruit l’ordre et ses ressorts les plus profonds ! Il fait appel en chacun à ce je ne sais quoi qui troue l’être… » L’anti-psy en somme !
Mais trêve de plaisanterie. Il appellera Lacan à la rescousse dans la mesure où il « troue l’homme et le monde de déchirures, de déserts et d’abîmes fondamentaux. » Et d’applaudir même à une certaine mort de l’homme : « J’applaudis donc aux sciences, qui prenant l’homme pour seul thème, le dissolvent en tant que sujet et même en tant qu’être. » Dans cette ligne, Heidegger ne pourra qu’être maudit avec sa demeure de l’Etre. S’il y a dialectique, elle est existentielle. Elle vise à montrer comme Pascal, la misère de l’homme sans Dieu, sans avoir peur de montrer l’abîme. Il ne saurait y avoir de refuges ou de consolations déviatrices. Il faut aller droit au but, donc secouer les lecteurs sans les abandonner d’une semaine, en remuant le fer dans la plaie.
Dieu sait s’ils répondront ces lecteurs, en lui écrivant par centaines, en lui rendant visite. Clavel s’était fait « conducteur » de conversion.
Il n’abandonnait pas pour autant la politique et la justice, non plus que le combat des idées.
Dans une sorte de concile tenu chez lui, au bas de la colline, Clavel pose la question à ses camarades ex-maoïstes tous sortis de leur marxisme. Pourquoi nous battons-nous ? Et si c’est pour l’homme, que lui voulons-nous ? A nouveau la figure médiatrice de Socrate est invoquée. S’il y a réel combat pour la libération, c’est du côté de l’Etre qu’il faut s’ouvrir, donc avec Socrate révéler aux gens l’autotranscendance de l’homme. Seront-ils prêts à l’admettre ? « Or, c’est lui (Socrate) qui peut tous nous unir, mes amis en nous inspirant, sans plus, et c’est à nous, à nous seuls et rares, après tant de siècles, de le reprendre, et sans doute vers une mort peu éclatante pour avoir fait aux autres une vie invivable… » Ce dérangeur de Clavel, cet empêcheur de vivre en paix !
De toute cette génération qui entoure Clavel au « Concile de Vézelay et en d’autres lieux », des vocations bien différentes sont nées. Qu’il les ait ou non reconnues, elles ont toutes tendu vers un sursaut, un sursum, que ce soit du côté de ceux qui ont choisi de suivre le gnosticisme chiite d’une rare valeur spirituelle, malheureusement massacrée par la révolution des ayatollahs ; que ce soit du côté d’un Glucksmann et de son défi politique à la banalité du mal. Je ne les nommerai pas tous. Mais de Bernard-Henri Lévy levant son glaive de feu contre le fascisme ordinaire et éternel… à Jean Edern Hallier (qui pourtant ne fut pas toujours du dernier mieux avec Clavel) revenant à son catholicisme originel par l’Irlande et la Pologne, quelle continuité dans les discontinuités ! J’en voudrais pourtant nommer un autre, in fine, ce Pierre Victor, si cher au cœur de Maurice, redevenu Benny Lévy par un retour à sa judéité et accompagnant Sartre au bout de son chemin. Clavel, j’en suis sûr, l’aurait défendu comme il savait le faire, contre l’offensive malodorante de ceux qui ne lui pardonneront jamais d’avoir recueilli les ultima verba d’un Sartre, non conforme à l’image idolâtrique qu’ils avaient cru fixée à jamais.
Jusqu’au bout, rien d’humain n’est resté étranger à Clavel. Il n’a abandonné aucune de ses causes. Son dernier article n’invite-t-il pas Jean Paul II dont il avait accueilli l’élection avec joie, à plus de fermeté envers les dictatures sud-américaines ! Quelques-uns révéleront qu’il n’avait rien perdu de sa fougue juvénile dans les derniers jours et qu’il préparait de drôles de coups. Mais surtout, il menait tous azimuts sa grande offensive intellectuelle dont il espérait un tournant de la pensée occidentale. De son poste de commandement, il menait la bataille, intimant à chacun la mission qu’il avait à mener à bien. Marie Balmary manœuvrait sur le terrain freudien, Philippe Nemo était sommé de reprendre l’offensive du côté de Lacan, Jean-Luc Marion, du côté de Heidegger… Le Testament de Dieu de B. H. Lévy servait ses desseins. L’Apocalypse du désir de son vieil ami Pierre Boutang constituait une pièce de feu majeure dans son dispositif. Lui-même après avoir dénoncé Deux Siècles chez Lucifer, le défi à Dieu des maîtres-penseurs, achevait son Kant et jetait les bases d’un vaste ouvrage qui se serait appelé L’Etre et la Croix. C’est alors qu’il nous fut enlevé.
Bernanos en notre temps ? Certes ! Par sa foi nette et sans compromissions. Je me souviens d’une dédicace de son Ce que je crois : « Ce brûlot d’orthodoxie ! » Son dégoût profond pour un progressisme qui trahissait le message et qui lui fit pousser un long cri de colère : Dieu est Dieu, nom de Dieu ! Faut-il retranscrire ici les deux citations qui figurent en tête du livre. Elles suffiraient à en résumer le contenu :
« En ces jours-là surgirent d’Israël des fils d’iniquité qui séduisirent beaucoup de gens, car ils disaient : « Allons, faisons alliance avec les nations païennes qui nous entourent, car depuis que nous sommes séparés, beaucoup de malheurs sont tombés sur nous. » Ce texte est tiré du Livre des Martyrs d’Israël. Voici le second,
« Continuons à témoigner ensemble pour ce qui dure contre ce qui fait semblant de durer. »
Il est signé de Georges Bernanos et il est tiré d’une lettre à l’auteur.
Comme par hasard, évidemment ! J’ai le sentiment que Bernanos aurait pu signer ce livre-là. J’ai cru d’ailleurs en percevoir les prémices dans tant de textes d’avant-guerre et d’après-guerre ! Il y avait, nous l’avons vu, des chrétiens progressistes qui après la Libération désiraient se laisser aller « à l’appel du large ». Mais cet appel-là, ils l’avouaient, venait d’un monde où la mort de Dieu apparaissait comme la condition nécessaire de l’existence de l’homme. Et Bernanos de tempêter : trahison ! « Qu’ils renient Dieu, et qu’on en finisse ! »
Clavel, trente ans plus tard, se trouve devant les mêmes requêtes, à ceci près qu’elles se réclament de meilleures autorités, y compris celle d’un Concile ! Et lui aussi de soulever la tempête ! Voilà des gens qui avec un demi-siècle de retard en appellent à cet humanisme athée qui aurait battu à plates coutures le christianisme sur le terrain des conquêtes modernes.
Clavel surgit : « Je n’admets pas l’existence de cet homme qui exclut Dieu, et qui d’ailleurs, dans la grande pensée occidentale, vient en quelque sorte d’avouer son inexistence…
« Et je réponds : non, le dilemme, l’exclusion réciproque n’est pas entre Dieu et l’homme, mais entre Dieu et l’homme. Qu’on veuille bien accepter cette précision typographique, qui distingue deux réalités différentes, presque contraires. J’appelle « homme » l’individu de l’espèce humaine. J’appelle « Homme » celui qui, par-delà le péché, est recréé comme tel par l’agonie, la mort et la résurrection irradiante du Christ, Homme absolu : me voici alors, l’Homme, individu enfin parfaitement singulier et universel, naissant et existant par le drame absolu et historique de cette Révélation Christique. »
Il ne fallait surtout pas ramener là-dessus à Clavel le dossier du masochisme chrétien et du bilan globalement négatif de la Chrétienté. Il avait vite fait d’écrabouiller la turélutaine d’une inquisition égale au Goulag. Mais surtout il enrageait. C’était au moment de la grande faille culturelle, où l’Occident reconnaissait l’inanité de son bien pauvre et court humanisme que les curés folâtres se mettaient à célébrer le culte de l’idole bafouillante !
Ce que Clavel aurait aimé de la part de l’Eglise, c’est un « non absolu et total à toute société moderne, capitalisme et socialisme refusés en leur racine commune, attitude qui aurait préparé Mai 68, et attendu la jeunesse. C’est ce refus que demandait déjà Bernanos dans son ouvrage posthume sur « La vocation spirituelle de la France », ouvrage que j’ai lu par bonheur, après avoir écrit le plus gros de celui-ci, car il m’en eût dissuadé : tout ce que je puis apporter s’y trouve… »
Qu’ajouterai-je ? Simplement qu’il serait aussi vain de trouver chez Clavel que chez Bernanos, en réponse au refus d’un humanisme sans Dieu, un antihumanisme, une dévaluation radicale de la liberté humaine, aboutissant au laisser-faire, laisser-aller, et à la non Résistance face à l’oppression.
Refusant le train du monde, l’acquiescement aux tyrannies (fascismes d’hier et d’aujourd’hui, communisme, qu’importe!), ces deux témoins espéraient que l’Homme existe, que l’Esprit surgisse, que la liberté renaisse, et que dans son sursaut l’autotranscendance soit saisie dans l’ineffable amour trinitaire.
Extrait de « Avec Bernanos », éd. Jean-Edern Hallier / Albin Michel, 1982.