C’est pour pouvoir accomplir son service de l’autel et de l’Église que Jack Sullivan, diacre de Boston avait invoqué l’intercession de Newman. Il a été délivré de ses souffrances du dos de manière inexpliquée et le miracle a été admis par l’Église. Il a donc participé à la messe de béatification ainsi que sa famille et, en dalmatique blanche rebrodée d’or, il a proclamé l’Évangile et, à l’issue de la messe, il a salué le Pape.
Pendant son séjour, le Pape a parlé de Newman à quatre reprises : dans l’avion, à la messe de Westminster, lors de la veillée à Hyde Park, et lors de la béatification. Et puis, il s’est tu, montant seulement le chemin du pèlerinage, en privé, à l’Oratoire Saint-Philippe Neri d’Edgbaston, à Birmingham, fondé par Newman qui y a vécu jusqu’à sa mort. Le Pape s’est recueilli dans la chapelle avant de visiter la chambre du nouveau bienheureux, devenue un musée.
Benoît XVI avait pourtant décidé, en 2005, de revenir à la règle en vigueur au début du pontificat de Paul VI : le Pape ne présiderait que les canonisations. Il avait ajouté que les béatifications auraient lieu dans les diocèses où la cause de béatification et canonisation était introduite, ce qui redonne « leurs » bienheureux aux fidèles des diocèses.
Le Pape n’a gardé qu’une partie de ces dispositions pour Newman : béatification dans le diocèse où la cause a été introduite, mais il a décidé de la présider. Il en a même fait l’occasion de son voyage. C’est dire l’importance que Benoît XVI attache à l’enseignement de Newman pour notre temps et tout d’abord pour les siens, au Royaume-Uni.
Dès sa rencontre avec la reine Elizabeth II, au palais de Holyroodhouse, à Edimbourg, jeudi matin, il a présenté le cardinal Newman comme « l’un des nombreux chrétiens britanniques » dont « la bonté, l’éloquence et l’action ont fait honneur aux hommes et aux femmes de leur pays ».
Le lendemain, vendredi 17, à l’occasion de la première visite d’un pape à Lambeth, résidence du chef spirituel de l’Église anglicane, Benoît XVI a proposé l’œcuménisme selon le style de Newman. Le Pape a en effet rappelé sa vision ecclésiale « nourrie par la tradition anglicane » et « approfondie durant ses nombreuses années d’exercice du ministère sacerdotal dans l’Église d’Angleterre ».
Et son adhésion à l’Église catholique n’est pas une conversion, mais une entrée en pleine communion avec l’Église catholique, a souligné l’évêque catholique de Birmingham.
Sur le vol Rome-Edimbourg, Benoît XVI avait attiré l’attention des journalistes sur le fait que Newman est « un homme moderne » qui a vécu « le problème de la modernité », marquée par « l’agnosticisme » ou « l’impossibilité de croire », de se laisser « transformer par la vérité ». Il soulignait sa « modernité intérieure et sa foi, très personnelle, vécue, soufferte, éprouvée ».
Il a aussi rappelé la grande culture du Cardinal et sa connaissance des Pères de l’Église, précieuse contribution à un « renouveau interne de la foi ». Newman est aussi caractérisé par une « grande spiritualité », un « grand humanisme », une « grande prière », une « profonde relation avec Dieu » et avec les hommes. Benoît XVI voit enfin en Newman une « figure exceptionnelle de docteur de l’Église » qui constitue « un pont entre catholiques et anglicans ».
Lors de la messe à Westminster, Benoît XVI a en outre rappelé le rôle de Newman comme inspirateur du concile Vatican II. Le Pape compte donc sur l’enseignement de Newman pour mettre en œuvre le Concile : une priorité du pontificat. Le Pape souligne notamment l’apport de Newman pour ce qui est du rôle des laïcs.
Newman, le Pape l’avoue, est aussi un grand inspirateur de Benoît XVI lui-même : « Newman a longtemps exercé une influence importante dans ma vie et ma pensée. » Il a confié son « immense joie spirituelle » à la veille de la béatification, lors de la veillée de prière à Londres, à Hyde Park, devant quelque 85 000 personnes. On sait que Hyde Park représente le lieu par excellence de la liberté de parole. C’est donc de Hyde Park que le Pape a interpellé la liberté des baptisés, à partir des paroles même de Newman .
En effet dans une société où la foi est en crise, « les chrétiens ne peuvent plus se permettre de mener leurs affaires comme avant » : « Chacun de nous, selon son propre état de vie, est appelé à œuvrer pour l’avènement du Royaume de Dieu en imprégnant la vie temporelle des valeurs de l’Évangile ».
Commentant les paroles de Newman – « Dieu m’a créé pour un service précis, il m’a confié un travail qu’il n’a confié à personne d’autre » – Benoît XVI a souligné : « Chacun de nous a une mission, chacun de nous est appelé à changer le monde, à travailler pour une culture de la vie, une culture façonnée par l’amour et le respect de la dignité de toute personne humaine. »
C’est ainsi, que l’Église « ne peut renoncer à sa tâche : proclamer le Christ et son Évangile comme vérité salvifique, source de notre bonheur individuel ultime et fondement d’une société juste et humaine ».
On attendait donc que, lors de la messe de béatification, devant quelque 60 000 personnes du Royaume-Uni et d’Irlande, et d’autres pays du monde (le drapeau bicolore polonais et le damier bavarois se balançaient au-dessus de la foule) Benoît XVI parle de la théologie de Newman, « docteur ». Il a certes évoqué l’immense « héritage intellectuel » de Newman universitaire, maître pour les enseignants et les catéchistes. Il a souligné son « célèbre appel en faveur d’un laïcat intelligent et bien formé ».
Mais surtout, peut-être face aux scandales, le Pape a choisi de mettre en lumière « l’exceptionnelle sainteté de ce père des âmes très aimé ». Il a rappelé le primat de la vie intérieure et du « désir du cœur à cœur avec Dieu par la prière ».
Il parle de « chaleur » et d’ « humanité » et cite ce passage, comme un autoportrait : « Si des anges avaient été vos prêtres, mes frères, ils n’auraient pas pu souffrir avec vous, avoir de la sympathie pour vous, éprouver de la compassion pour vous, sentir de la tendresse envers vous et se montrer indulgents avec vous, comme nous ; ils n’auraient pas pu être vos modèles et vos guides, et n’auraient pas pu vous amener à sortir de vous-mêmes pour entrer dans une vie nouvelle, comme le peuvent ceux qui viennent du milieu de vous. »
Voilà le prêtre que le Pape donne en exemple à l’Église universelle : « Il a vécu à fond cette vision profondément humaine du ministère sacerdotal dans l’attention délicate avec laquelle il s’est dévoué au service du peuple de Birmingham au long des années qu’il a passées à l’Oratoire, fondé par lui, visitant les malades et les pauvres, réconfortant les affligés, s’occupant des prisonniers. Il n’est pas étonnant qu’à sa mort, des milliers de personnes s’alignaient dans les rues avoisinantes tandis que son corps était transporté vers sa sépulture à moins d’un kilomètre d’ici. »
À la proclamation de Newman comme bienheureux, à la demande de l’évêque de Birmingham, Mgr Bernard Longley, la foule de Cofton Park a éclaté en applaudissements, agitant drapeaux et calicots. Celui que Léon XIII a fait cardinal sera fêté liturgiquement pour la première fois par les catholiques le 11 octobre prochain.
À l’école de Newman, Benoît XVI a agi en pasteur pendant cette visite controversée et qui peu à peu a conquis les médias britanniques : il a visité des écoles et des personnes âgées. Partout, on lui présentait des enfants pour qu’il les bénisse et les foules étaient aux rendez-vous et sur le chemin de la Mercedes blanche panoramique rebaptisée Outre-Manche « Popemobile ». à Birmingham, le Pape s’est permis un nouveau « hors programme » pour saluer les personnes qui l’attendaient devant l’Oratoire. à Cofton Park, les calicots avaient parlé : « Avec vous à 100 % papa », « God bless you », ou « We love U papa ! »
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Benoît XVI explique la devise du cardinal Newman : le cœur à cœur
La devise du cardinal Newman, « Cor ad cor loquitur », ou « le cœur parle au cœur » nous donne une indication sur la manière dont il comprenait la vie chrétienne : un appel à la sainteté, expérimenté comme le désir profond du cœur humain d’entrer dans une intime communion avec le Cœur de Dieu. Il nous rappelle que la fidélité à la prière nous transforme progressivement à la ressemblance de Dieu. Comme il l’écrivait dans l’un de ses nombreux et beaux sermons, « pour la pratique qui consiste à se tourner vers Dieu et le monde invisible en toute saison, en tout lieu, en toute situation d’urgence, la prière, donc, a ce qu’on peut appeler un effet naturel, en ce qu’elle élève et spiritualise l’âme. L’homme n’est plus ce qu’il était auparavant : progressivement, il s’est imprégné de tout un nouvel ensemble d’idées, il a assimilé de nouveaux principes » (Sermons paroissiaux, IV, p. 203, Le paradoxe chrétien, Cerf, 1986).
Homélie pour la béatification, Birmingham, 19 sept. 2010