Un tweet de Jean-Marie Le Méné, au ton agacé, a retenu mon attention : « L’Osservatore Romano rend hommage à Simone de Beauvoir. Ça commence à devenir gonflant. » Et de renvoyer à un compte rendu de La Croix qui m’avait échappé. J’en ai pris connaissance avec d’autant plus d’intérêt que j’ai passé un certain temps sur l’œuvre de la compagne de Jean-Paul Sartre, et particulièrement sur Le deuxième sexe que j’ai analysé au moins deux fois avec une grande attention. Le résumé que donne La Croix de l’article de Claudia Mancina, professeur de philosophie à l’université La Sapienza de Rome ne m’a pas particulièrement gonflé. Il m’a plutôt laissé sur ma faim, avec l’impression que l’auteur se contentait de rappeler quelques notions élémentaires, sans se risquer à une analyse vraiment approfondie du cas de celle que l’on surnommait parfois « la grande sartreuse ».
Rappeler qu’être une femme n’est pas qu’un fait naturel, mais une chose culturelle ou faisant suite à des processus de constructions symboliques me paraît à la fois élémentaire mais aussi insuffisant. Cela mériterait une discussion serrée, car prise à la lettre, cette approche s’apparente au point de départ de la théorie du genre. Déjà, il faudrait s’intéresser au biologique humain, qui n’appartient pas seulement au domaine naturaliste. Il y a une phénoménologie de la chair, dans la ligne de la pensée d’un Michel Henry, qui conduit à un ordre de réalité spécifique, qui a tout son prix pour comprendre une part du génie féminin. Il n’y a donc pas à séparer arbitrairement la chair et l’esprit. De plus, les constructions symboliques elles-mêmes n’interviennent que pour achever un être incarné et sexué.
Et puis il y a le cas personnel de Simone de Beauvoir bien intéressant à considérer, car il offre d’étranges contradictions qui mettent en question la théoricienne. Il y a beaucoup mieux à tirer du Deuxième sexe que la lecture militante qui en est faite habituellement, car l’essai pose plus de questions qu’il n’en résout. Parler de Simone dans L’Osservatore Romano, pourquoi pas ? Mais à condition de ne pas répéter les banalités habituelles et de développer une pensée originale, apte à nous faire émerger de la soupe culturelle la plus commune.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 7 septembre 2016.