Beauté et Providence - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Beauté et Providence

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Dieu déclare que Sa création est « bonne » à sept reprises dans le premier chapitre de la Genèse. La septième fois (sept étant le chiffre de la perfection ou de l’achèvement), Il déclare Son œuvre « très bonne ». Pourtant le péché a mis le désordre. Souvent, l’excellence de la création semble cachée ou gâchée ; ou bien elle ne transparaît qu’occasionnellement, offrant de brefs aperçus. Le monde n’est pas, en général, « dépeint parfait ». L’une des fonctions de l’art est de procurer des « lieux » vers lesquels nous pouvons nous tourner pour faire l’expérience de la manifestation du bon et du beau, que le « lieu » soit une symphonie, un poème, une peinture ou un autre ouvrage. Les choses existent parce que Dieu les soutient, mais alors les choses déclinent. Dieu gouverne providentiellement avec un soin paternel, pourtant il arrive tout le temps des choses terribles. Dans de telles conditions, l’expérience de la beauté peut être poignante, comme une lueur d’une perfection inatteignable ; et plus le rayon de beauté est intense, plus il déchire le cœur. On peut sympathiser avec le sentiment exprimé par Omar Khayyam dans « Rubaiyat » Ah, Amour ! Pourrais-je avec toi et le destin conspirer Afin de saisir ce triste projet des choses en son entier ! Est-ce que nous ne le fracasserions pas avec bonheur Pour ensuite le remodeler selon le désir du cœur ! Dans l’actuel « triste projet des choses », il peut être dur de croire en la divine providence ou en la beauté transcendante. Si la foi est, comme les athées pourraient le proclamer, un échappatoire à la réalité, alors l’art le plus pur n’est qu’une diversion ou un analgésique ou une tentative prométhéenne pour créer ordre et sens dans un univers chaotique. L’art consiste à « remodeler » les choses « selon le désir du cœur ». Dans un chef-d’œuvre, tout est providentiellement ordonné, harmonisé et déterminé, et le processus inclut souvent une réinterprétation radicale des données des sens. Cela implique toujours une façon de voir spéciale, comparable à la vision de la foi, qui voit toutes choses œuvrant « ensemble pour le bien » (Romains 8:28). D’un point de vue chrétien, une transformation artistique de la perception et de la matière débouchant sur une œuvre de beauté ne diverge pas de la réalité mais porte témoignage à la plus profonde vérité des choses. Jetons un regard au « Martyre de Saint Côme, saint Damien et leurs compagnons », peint par le Bienheureux Fra Angelico (1395-1455). A gauche, un groupe de spectateurs se déhanchant, apparemment indifférents, aboutit à un homme en robe bleue, dont le visage et les gestes enregistrent avec appréhension les décapitations. La cité fortifiée derrière ces spectateurs répète leur verticalité et leur forme comme groupe, mais de façon austère, froide et géométrique. Les tours diminuent avec la distance et leur écho s’affaiblit dans les villes lointaines des collines. Soudainement, notre attention est ramenée au premier plan par les troncs d’arbres, qui font écho aux tours verticales, mais maintenant avec l’insistante régularité de barreaux de prison – ou un battement de cœur tel des coups de marteau. Alors ces battements de cœur vont s’éteindre dans la colline brune. La Nature retient son souffle alors que la colline s’étend en diagonale montante vers la droite, tout comme axe de l’épée du bourreau, et la ligne courbe de la route offre un circuit au moulinet fatal de l’arme. La peinture magnifie Dieu dans sa conservation et sa gouvernance providentielle de la création à travers les relations rythmiquement ordonnées de toutes ses lignes, silhouettes, couleurs et volumes, malgré le fait que l’image montre des éléments du monde naturel coopérant avec l’acte malveillant de l’homme. Dans un chef-d’œuvre, chaque silhouette, chaque ligne, chaque nuance, chaque note de couleur se produit exactement au bon moment et au bon endroit dans le déroulement logique du tout. La chorégraphie providentielle des éléments graphiques dans une grande peinture ne peut pas être copiée de la nature ; elle doit être transposée à la toile ou au panneau que l’artiste a expérimenté intérieurement. Le peintre doit ressentir les pressions, le poids, les tensions des forces picturales dans toutes leurs relations ; il doit connaître et ressentir son œuvre de l’intérieur. Une peinture et un chef-d’œuvre dans la mesure où toutes les choses qui la composent souffrent de renaître à une existence dans laquelle elles travaillent ensemble pour le bien – pour la beauté. Cela provient de, et manifeste, une relation personnelle avec les forces de la nature, de la réalité – avec la providence en fait. Les artistes et les amoureux de l’art doivent cultiver cette sensibilité tout comme les chrétiens doivent cultiver l’amour de Dieu en vue de voir toutes les choses concourant ensemble au bien. Les saints comme les vrais artistes voient les choses comme un arrangement providentiel, et les uns comme les autres soutiendront que leur vision est vraie à un niveau profond, aussi choquante et rebutante qu’une telle foi puisse paraître face à toutes les terribles choses qui adviennent. La sensibilité des saints et celle des artistes sont aussi liées que les deux significations du mot grec kalos : « bon » et « beau ». Ce qu’un saint exprime par ses paroles et ses actes, et par son aspect même, est la vie qui sourd de lui. Similairement, un artiste est toujours en train d’exprimer sa vie intérieure dans son art, peu importe le motif de l’œuvre. D’où la déclaration de Côme de Médicis, qui est devenue un proverbe dans la Florence de la Renaissance : « tout peintre se peint bien lui-même ». Côme a été un mécène du Bienheureux Fra Angelico (dont la mémoire est célébrée dans les chapelles de l’ordre dominicain le 18 février). Regardons de nouveau la peinture. L’exécution de ces cinq innocents prend place dans une prairie fleurie, avec une lumière éclatante et de la couleur partout. Les sommets des arbres montent triomphalement dans les cieux, afin que la verticalité de leur tronc soutienne l’agenouillement du martyr en robe rouge. C’est le martyre vu du point de vue d’un saint. La transformation de la perception et des matériaux dans l’art pointe vers la transfiguration finale du cosmos lui-même (Apocalypse 21) et l’accomplissement du désir le plus profond du cœur. « Regarde » dit le Crucifié, « je fais toutes choses nouvelles ».
James Patrick Reid est peintre et conférencier spécialisé dans le carrefour de l’art et de la théologie. Il vit à New York où il a enseigné à l’Art Students League et à la New York Academy. Illustration : « Le martyre de Saint Côme, Saint Damien et leurs compagnons » par Guido di Pietro dit Fra Angelico, vers 1440 [musée du Louvre, Paris] Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/04/03/beauty-and-providence/