BÂTON DE CHAISE, NÉVROSE ET HÉRÉDITÉ - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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BÂTON DE CHAISE, NÉVROSE ET HÉRÉDITÉ

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Quand nous étions en faculté (où nous apprenions, Dieu merci, tout autre chose), quelques amis et moi avions fait, en lisant Freud, une intéressante découverte : c’est qu’on pouvait, dans son système, remplacer le sexe et l’anus par n’importe quoi sans qu’il en perdît une ligne de sa cohérence et de son pouvoir explicatif. Nous avions même entrepris d’édifier un système jumeau fondé sur le bâton de chaise. Cela marchait très bien. Le bâton de chaise expliquait le totem, le tabou, Moïse, Œdipe, et pourquoi votre fille est muette. Il expliquait tout, y compris Freud lui-même.

Il n’y avait qu’une différence, une seule, et, pour tout esprit de bonne foi, infime, mais qui pourtant nous empêcha de donner à notre système l’essor mondial qu’il méritait : c’est qu’on, pouvait se permettre de nous réfuter − sans passer pour un cafard et un benêt. Les esprits forts exigeaient des preuves.

Nous avions beau leur faire remarquer que nos preuves étaient celles-là mêmes de Freud, puisque nous nous bornions à remplacer les mots « sexe » et « anus » par « bâton de chaise » sans rien changer au reste, ils en convenaient volontiers, mais persistaient à objecter effrontément. Et quand nous leur demandions pourquoi ils se montraient si hardis contre nous et si timides contre notre concurrent, ils nous répondaient que « ce n’était pas la même chose ».

Impossible et interminable

Et dame, il est bien vrai que ce n’est pas du tout la même chose. Pour contester le bâton de chaise, il ne suffit que d’un grain de raison. Au lieu que l’anus et le sexe ont une puissance démonstrative qui terrifie la raison et la rend muette.

Allez donc, dans un salon bien pensant 1973, essayer d’émettre quelques doutes sur l’explication sexuelle de Dieu, de l’État, de Flaubert, de la société capitaliste, de l’épanchement de synovie, de la lutte des classes, de l’homme unidimensionnel et de l’augmentation du prix du lait. On murmurera aussitôt que, si vous contestez une explication si évidente, c’est sûrement que vous avez devant vous, à défaut de mieux, une belle carrière de soprano dans les chœurs de la Chapelle Sixtine.

Chacun, glacé d’effroi à l’idée qu’on puisse le croire atteint de la même disgrâce, se hâtera de vous piétiner avec ardeur, démontrant ainsi à bon compte, par des mots, son intelligence et sa virilité. Et comme, depuis Reich et Marcuse, le concept freudien de répression1 a été magistralement étendu au social et au politique, vous ne serez pas seulement un castrat, vous serez un flic.

Vos adversaires, au contraire, passeront pour de rudes lurons au courant de ces choses de la vie dont vous ne pouvez malheureusement avoir la moindre idée, pour de courageux défenseurs de l’opprimé contre la conjuration des tartuffes, des fanatiques et des cagots. Il apparaîtra clair comme le jour aux yeux de chacun que, non content d’être un dangereux refoulé privé des vérités et joies suprêmes de ce monde, vous voulez faire la belle âme en les refusant aux autres avec le concours de la police, du sabre et du goupillon.

J’ai dit dans une précédente chronique que la psychanalyse est une chimère que nous devons apprendre à subir2. C’est en effet à quoi i1 faut se résigner, puisqu’elle imprègne tout : le cinéma, le roman, la chansonnette, l’Université, la politique, voire la religion, que les cuistres nous l’enseignent, que les éducateurs travaillent à y mouler nos enfants, qu’elle est enfin la grande idéologie du siècle, bien plus puissante et obsédante que le marxisme, dont elle a avalé tous les intellectuels, ou peu s’en faut.

Résignons-nous donc à subir la chimère comme nous subissons l’entassement citadin, le bruit, le gaz carbonique, c’est-à-dire en gardant quand même le droit d’aller parfois nous mettre au vert.

Idéologie toute-puissante, certes, la psychanalyse n’en est pas moins une fausse science, comme l’astrologie. La science du psychisme humain s’appelle psychologie, non psychanalyse. Et la place de la psychanalyse dans la psychologie est nulle, je l’ai déjà écrit ici3. Il n’existe ni expérimentation ni prévision psychanalytiques. Les seules expériences qu’on ait tentées, non pour tester ses hypothèses (il n’y a pas d’hypothèses au sens scientifique en psychanalyse, il n’y a que des mythes rebelles à toute expérimentation), mais pour évaluer ses vertus curatives, ont sombré dans le désastre.

On aurait pu concevoir en effet, pourquoi pas ? compte tenu des bizarreries de la pensée humaine, surtout pathologique, que certaines pratiques en soi superstitieuses, puisque fondées sur la croyance à des mythes, eussent eu néanmoins, par quelque biais inconnu et irrationnel, le pouvoir de guérir nos désordres mentaux. Mais Freud lui- même avait reconnu que ses malades ne guérissaient jamais.

Les innovations constantes qu’introduisait Freud dans son œuvre partent de la constatation que ses thérapeutiques restaient toujours incomplètes. En Freud se développe l’idée que la guérison d’une névrose est une entreprise très ardue, presque impossible… interminable. (a)

Impossible, interminable, mais en raison de quoi ? de la névrose, ou de son traitement par Freud ?

Une expérience plusieurs fois reprise aux États-Unis permet de répondre à cette question. Quand, dans un hôpital psychiatrique, on prend, disons, cent névrosés, qu’on les répartit au hasard en deux groupes de cinquante, que l’on confie chacun des malades de l’un des deux groupes à des psychanalystes, pris eux aussi au hasard dans le bottin de la ville voisine, et qu’on laisse les névrosés de l’autre groupe bien tranquilles avec leur névrose, sans leur faire rien du tout, on constate que ceux à qui l’on fiche la paix guérissent en moyenne au bout de quatre ou cinq ans, et que ceux qu’on livre aux psychanalystes ne guérissent qu’environ deux ans après les premiers, ou jamais.

De plus, il y a, chez ces derniers, davantage de suicides. Tout ce que fait la psychanalyse aux névrosés, c’est leur donner une recette pour gratter leur plaie, l’entretenir et l’aggraver.

C’est pourtant une outre vide

Si elle guérissait ou prévenait les névroses, la psychanalyse aurait peut- être une excuse pour nous obliger à vivre dans son écœurante atmosphère. Mais elle ne sait que les nourrir. La science des désordres mentaux est en train de naître actuellement, mais grâce à des recherches sans aucun rapport avec les mythes de la psychanalyse4.

L’une des plus fécondes est la génétique psychiatrique, qui recherche les désordres héréditaires (b). On a déjà pu montrer que le daltonisme et la tendance à la psychose maniaco-dépressive se transmettent ensemble. Non seulement cette découverte prouve que la psychose en question est héréditaire, mais elle permet de préciser que le gène responsable de sa transmission est dans le chromosome voisin du gène responsable du daltonisme (c). Ainsi, l’enfant qui ne distingue pas le vert du rouge doit être averti assez tôt de sa tendance à connaître des alternances inexplicables d’euphorie et de découragement, afin qu’il en prenne conscience et qu’il s’habitue à la surmonter.

Cette découverte permet de toucher du doigt ce qu’il y a d’absurde dans la prétention à guérir les psychoses par des bavardages sur la sexualité infantile du malade. De même, on a pu montrer la transmission héréditaire de la schizophrénie5, ce qui permet d’apprécier à leur valeur les divagations des « anti-psychiatres » sur l’origine sexuelle, sociale, voire politique, de cette maladie : comme si, par exemple, on imputait à la « répression » sexuelle ou sociale la couleur blonde ou brune des cheveux, ou le fait d’avoir des yeux bleus !

La psychanalyse est une outre vide, et tous les savants le savent. Mais cela ne l’empêchera pas de continuer à prospérer comme l’art de dire la bonne aventure.

De toutes les superstitions inventées par la jobardise humaine, elle est la plus ingénieusement conçue, parce que les mythes sexuels embarrassent leur réfutateur en le rendant suspect d’impuissance, d’intolérance, de tartuferie, parce qu’ils flattent l’autosatisfaction et la lâcheté de l’adepte.

Avoir tout cela sur les bras, c’est lourd. Et nous n’avons pas, hélas ! fini de le porter.

Aimé MICHEL

(a) R. Sarro Barbanto, in : Progrès en Sophrologie, par A. Caycedo, préface de Pedro Pons, président de l’Académie de médecine de Barcelone (Centre de sophrologie médicale de Barcelone, 1969). Ces savants sont les initiateurs d’une méthode expérimentale de psychothérapie (la sophrologie) dont je parlerai dans une autre chronique.

(b) Voir par exemple les arbres généalogiques de désordres mentaux publiés par P. Hays dans l’American Journal of Psychiatry d’août 1972.

(c) Cf. Quentin Debray : Génétique et psychiatrie (Fayard éditeur, 1973) et Psychologie (n° 37, février 1973, p. 61).

(*) Chronique n° 134 parue initialement dans France Catholique-Ecclésia – N° 1369 – 9 mars 1973.

Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 2 juillet 2012

  1. Le « concept freudien de répression » est expliqué dans la chronique n° 37, L’antipsychiatre et la boutonnière, parue ici le 08.02.2009 : « L’homme moderne crève sous le poids de siècles d’endoctrinements et de conformismes sociaux. Ce poids nous oppresse, nous agresse, nous accuse, nous enferme dans l’absurde carcan du “normal” et de “l’anormal”. La société exerce sur nos instincts les plus légitimes sa répression (mot clé, pensée émue pour Marcuse, le théoricien de la répression et de la sur-répression, pourquoi lésiner). Elle nous impose un mode de vie dans le cadre duquel il y a “ce qui se fait” et “ce qui ne se fait pas”, toute une tyrannie qui nous conditionne (deuxième mot clé, pensée émue pour Pavlov que l’on n’a jamais lu ou auquel on n’a rien compris, parce que pour lire Pavlov il faut connaitre la neurophysiologie), qui nous accoutume à la passivité, bref, qui nous aliène (troisième mot clé, royal celui-là, référence à la psychanalyse politicienne où nos petits maîtres ignares et trop paresseux pour s’instruire trouvent au prix d’un peu de pathos le facile substitut d’une science qui, elle, exigerait des études. »
  2. Voir la chronique n° 130, Une chimère qui se porte bien, parue ici le 18.06.2012.
  3. Aimé Michel fait peut-être allusion à sa chronique n° 70, Psychanalyse et expérience (La psychanalyse est-elle une science ?), parue ici le 21.03.2011. En tout cas, il reviendra plus en détail sur ce point un mois plus tard dans la chronique n° 138, Psychologie et psychanalyse, que nous publierons dans deux semaines.
  4. Dans cette même chronique Une chimère qui se porte bien, Aimé Michel explique : « Le postulat essentiel de la psychanalyse, c’est que les désordres psychiques sont un produit du refoulement et de la répression. Les instincts réprimés se transforment en complexes, et les complexes traumatisent le psychisme, le rendent malade. » Pour Aimé Michel, cette explication (ou du moins la généralité de cette explication) n’est pas confirmée par la recherche médicale. En effet, on peut montrer dans de nombreux cas que les désordres mentaux proviennent de dérèglements biologiques. Ceci est vrai tant des névroses (voir Une chimère qui se porte bien) que des psychoses (voir la présente chronique). Dans le glossaire qui accompagne Le mystère des rêves (Encyclopédie Planète, Planète-Denoël, 1965), Aimé Michel écrit sous l’entrée « Psychanalyse » : « Méthode thérapeutique des névroses supposées non organiques. On ignore s’il existe des névroses non organiques, et donc si la psychanalyse a un objet. » (p. 243, curieusement le second non a sauté à l’imprimerie mais il est clair qu’il faut le rétablir pour donner un sens à la phrase).
  5. Avant d’en venir à ses causes, disons deux mots de cette étrange maladie qu’est la schizophrénie, synonyme de folie pour la plupart des gens. C’est l’une des maladies mentales les plus graves et les plus répandues (elle atteint environ 1% de la population). Le professeur de psychiatrie R.E. Kendell décrit ainsi le vécu subjectif et les altérations observables du comportement des schizophrènes : « Le sujet cesse de vivre ses processus mentaux et ses volontés comme étant sous son contrôle ; il soutient parfois que des pensées sont introduites ou retirées de son cerveau par quelque force extérieure, ou pense qu’on l’a hypnotisé. Il entend des voix qui lui disent ce qu’il doit faire, commentent ou répètent ses pensées, et qui parlent de lui entre elles, ou menacent de le tuer. Lors des épisodes aigus de la maladie, divers autres types d’hallucination et d’aberration mentale peuvent se présenter. Ses processus de pensée acquièrent aussi une imprécision et un illogisme caractéristiques. Au début, il semble seulement faire de nombreuses digressions, mais chez certains patients, on finit par ne plus pouvoir retrouver de lien entre une idée, ou une phrase, et celle qui la suit, de sorte que leur discours devient pratiquement incompréhensible. Bien que l’intelligence et la mémoire restent relativement intactes, toute la personnalité est atteinte par la maladie. Par-dessus tout, le patient perd sa vivacité et son dynamisme ; son intérêt pour les autres et sa capacité à être touché par eux le quittent ; il devient de plus en plus apathique, excentrique et isolé. » (article « schizophrénie » du Dictionnaire encyclopédique Le cerveau cet inconnu, sous la direction de R. L. Gregory, trad. J. Doubovetzky, coll. Bouquins, Laffont, Paris, 1993).

    La schizophrénie est progressivement distinguée des autres formes de démence, comme la démence sénile, au cours du XIXe siècle. Le psychiatre munichois Kraepelin parle alors de « démence précoce » car les malades sont souvent « frappés de stupidité dès leur plus jeune âge ». Le mot « schizophrénie » est introduit en 1911 par Eugen Bleuler, directeur médical de l’hôpital Burgholzli de Zurich. Il signifie « esprit divisé » ce qu’il ne faut pas comprendre comme dissociation de l’esprit en plusieurs entités (personnalités multiples) mais comme désagrégation de la pensée et séparation de l’esprit d’avec le réel. Les symptômes de la schizophrénie varient beaucoup d’un individu à l’autre, ce qui peut rendre son diagnostic difficile.

    On admet généralement que la maladie est due à un dérèglement du cerveau dont la nature exacte demeure difficile à préciser. Aimé Michel mentionne la transmission héréditaire de la maladie. De fait, il existe des facteurs génétiques puisque les enfants de schizophrènes courent un plus grand risque d’être atteint. Plusieurs études ont montré que les taux de concordance chez les vrais jumeaux étaient plus élevés que chez les faux jumeaux, ce qui exclut l’hypothèse d’une infection virale in utero, par exemple. Le milieu intervient aussi. S’il n’existe aucune preuve tangible que les tensions familiales durant l’enfance jouent un rôle, d’autres tensions (appel au service militaire, déception amoureuse) précèdent souvent le déclenchement de la maladie.

    Il n’existe à l’heure actuelle aucun test biochimique, biologique ou d’imagerie médicale permettant de confirmer le diagnostic de schizophrénie. Toutefois, la maladie se traduit par une altération du fonctionnement des neurones cérébraux qui utilisent la dopamine comme neuromédiateur. C’est ce qui explique que la neuropharmacologie a pu révolutionner le traitement des maladies psychotiques comme la schizophrénie. Le premier médicament capable d’améliorer plusieurs symptômes de la schizophrénie a été la chlopromazine, introduite par Henri Laborit, Jean Delay et Pierre Deniker en 1952. Son mode d’action, compris une dizaine d’années plus tard, est de bloquer les récepteurs de la dopamine. Normalement, les molécules de dopamine, libérée dans la fente synaptique séparant le neurone présynaptique (dit dopaminergique) du neurone postsynaptique, se lient à des protéines appelées récepteurs présents dans la membrane postsynaptique, permettant ainsi le passage de l’influx nerveux d’un neurone au suivant. Le blocage du récepteur par la chlorpromazine supprime ou au moins diminue ce passage. D’autres molécules d’action semblable (neuroleptiques) mais sans effets secondaires nuisibles ont été introduits par la suite. A l’inverse, d’autres molécules, comme l’amphétamine ou la lévodopa, qui augmentent la libération de dopamine, aggravent les symptômes des schizophrènes et produisent transitoirement un état semblable à la schizophrénie aiguë chez des sujets sains. Les traitements neuropharmacologiques ont vidé les asiles psychiatriques, qui souvent aggravaient l’état des malades, et ont permis à la plupart des patients de mener une vie normale.

    Sur les rapports de la schizophrénie avec la consommation de drogue, voir la chronique n° 208, La bousculade américaine (La source révolutionnaire de ce temps, c’est l’Amérique), parue ici le 05.12.2011. Sur les maladies mentales en général et leur prévalence dans la population, voir la chronique n° 132, L’accord sur le pire, parue ici le 20.09.2010.