L’inquiétude – le mot est faible – qui est la nôtre face à ce qui se passe en Irak et en Syrie ne saurait nous détourner d’un regard d’ensemble sur la situation du Moyen-Orient, et plus généralement du monde arabe. Il s’est produit, ces derniers mois, un retournement étonnant, qui change les équilibres fondamentaux de toute une région. D’ennemi numéro un, craint et même terrorisant, l’Iran chiite des mollahs est en passe de redevenir la puissance régulatrice qu’elle était autrefois. Les Américains, qui étaient intervenus directement sur le terrain, avec toute leur puissance militaire, sont désormais tentés par le repli, dès lors qu’ils sont beaucoup moins dépendants du pétrole irakien et que Téhéran pourrait se substituer à eux pour faire la police au Moyen-Orient. Qui aurait pu parier sur une telle hypothèse à l’heure où on espérait que les « printemps arabes » modifieraient toutes les structures, y compris mentales, tout autour de la Méditerranée dans un sens très différent ?
Les choses ne se sont pas du tout passées comme on l’escomptait. La disparition des dictateurs a produit des effets indésirables dans plusieurs pays. En Égypte, l’armée a repris la position hégémonique qui était la sienne. Est-ce à dire qu’il n’y aurait aucun élément positif, laissant entrevoir une éclaircie, une possibilité d’autres rapports entre la France, l’Europe et la rive africaine ? Le politologue Gilles Kepel, spécialiste de la question, désigne l’exemple tunisien qui est le seul à avoir échappé à la catastrophe. Si les islamistes ne compromettent pas toute chance de coopération, il faudra bien un jour envisager une négociation entre la France et le Maghreb sur des bases complètement nouvelles. La peur d’une immigration incontrôlée n’est plus, aujourd’hui, liée aux seuls pays d’Afrique du Nord, qui ont eux-mêmes à endiguer une formidable poussée migratoire venant de l’Afrique sub-saharienne. Du coup, les données géostratégiques se modifiant, c’est à une concertation avec la France et l’Europe méditerranéenne que se trouveront de plus en plus incitées les autorités de Tunis, d’Alger et de Rabat. Le monde change certes, mais il faut être attentif à toutes les données du changement.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 3 septembre 2014.