Aventures en philosophie à Notre Dame - France Catholique
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Aventures en philosophie à Notre Dame

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Dans son livre Adventures in Philosophy at Notre Dame (« Aventures en philosophie à Notre Dame »), Kenneth Sayre raconte la chronique de l’évolution de son département, de philosophie de la scolastique au pluralisme puis au professionnalisme. Dans son récit, les mauvais jours anciens du thomisme, représentés par le dogmatique mais plein d’esprit Ralph McInerny, a laissé la place aux années dorées d’un pluralisme vibrant, dont l’avocat en chef fut trouvé en la personne du prêtre charismatique et visionnaire Ernan McMullin.

Finalement, à la poursuite de plus hauts classements, le département a adopté un professionnalisme stérile, après lequel advint une perte de l’identité catholique de la faculté et des offres de cours, des difficultés de recrutement, une limitation de la distinction de la faculté et un recul dans les classements. Certains aspects du livre de Sayre sont informatifs, persuasifs et constructifs. Malheureusement, Sayre se trompe souvent, surtout lorsqu’il vise le philosophe de longue date de Notre Dame (et fondateur de TCT) Ralph McInerny.

Selon Sayre, « Ralph semble d’abord recevoir le concile sans sourciller. À la fin [des années 1960], cependant, son attitude envers Vatican II commence à changer de manière dramatique. Une attitude négative prévaut clairement dans son What Went Wrong with Vatican II: The Catholic Crisis Explained. » (« Ce qui a mal tourné avec Vatican II : explication de la crise catholique »). En fait, Ralph avait une si haute idée du concile qu’il a mené une série nocturne de séminaires du soir pour étudiants (en plus de sa charge normale d’enseignement) sur les documents de Vatican II. Ralph soutenait le concile ; il s’opposait aux interprétations fantaisistes du concile. Son livre devrait plutôt avoir pour titre : « Ce qui a mal tourné après, mais pas à cause de, Vatican II ».

À l’appui du thomisme de McInerny, Sayre écrit : « Le Pape a parlé et Ralph obéit. L’obéissance à l’autorité ecclésiastique est enracinée dans sa nature profonde. » Mais ainsi qu’un des articles de McInerny dans le Wall Street Journal à propos de la peine de mort l’établit clairement, Ralph ne se contente pas d’adopter comme parole de sagesse tout ce que dit le pape. Après une immersion dans la philosophie laïque lors de l’obtention de son master à l’Université du Minnesota, le jugement argumenté de Ralph fut que le thomisme est rationnellement supérieur à ses rivaux.

Sayre écrit : « L’opposition sans compromis de Ralph à toute forme de modernité est resté forte au sein du département jusqu’à l’année de sa mort (2010). » Curieux, alors, que McInerny ait régulièrement proposé un cours avec de sympathiques références prises chez John Henry Newman (mort en 1890) et Soren Kierkegaard (mort en 1855), ni l’un ni l’autre n’étant en aucune façon thomiste. Ralph avait également choisi de participer à un groupe de lecture de la faculté qui discutait de philosophes comme Strawson, Sartre, Merleau-Ponty, Husserl et Wittgenstein.

Lorsque Ralph a organisé les Perspective Series en 1967-68, il a invité un thomiste, Joseph Pieper, et trois représentants de la philosophie moderne. Une lecture, même désinvolte, de Characters in Search of their Author (« Personnages à la recherche de leur auteur ») de McInerny, le livre qui est ressorti de sa présentation des prestigieuses Conférences Gifford, révèle un engagement appréciable avec des personnages modernes et contemporains de toutes sortes.

Sayre poursuit : « Pour des traditionalistes comme Ralph McInerny et Herman Reith, être un philosophe catholique équivalait à être thomiste. » En fait, Ralph respectait le fait que d’autres philosophes catholiques fussent dans la ligne de personnages tels qu’Augustin, Scotus Newman et Husserl. Ralph admirait beaucoup les penseurs catholiques qui, comme Joseph Ratzinger, ne partageaient pas son goût pour l’Aquinate.

Sayre présente systématiquement sous un jour peu flatteur non seulement les croyances, mais aussi les actions de Ralph : « Dans ses dernières années, Ralph consacrait de moins en moins de temps à ses tâches académiques. » Il prétend que Ralph n’assumait pas sa charge de travail avec les étudiants. « Avec la croissance de sa fonction d’orateur en soutien des causes conservatrices, Ralph passait de moins en moins de temps à l’université. À partir du milieu des années 90, sa charge d’enseignement habituelle était de l’ordre de deux cours par an, avec quelques lectures dirigées. Il passait également beaucoup moins de temps à diriger des thèses. »

Par contraste, Al Plantinga reçoit les éloges de Sayre pour s’être consacré à la direction d’étudiants. De 1985 à 2010, Plantiga a dirigé ou co-dirigé vingt thèses. « En termes de thèses par an, écrit Sayre, ce nombre n’est dépassé que par Yves Simon. » Mais de 1985 à 2009, McInerny a dirigé ou co-dirigé vingt-quatre thèses, totalisant dans sa carrière un total de 48 thèses, un record à Notre Dame. (Depuis son arrivée à Notre Dame en 1958, Sayre a dirigé 12 thèses, la dernière en 1991).

Ceux qui ont travaillé avec Ralph comme directeur de thèse dans les années 90 (j’en fais partie) peuvent attester que Ralph était plus disponible qu’aucun autre professeur que nous connaissions. À peu près chaque après-midi, n’importe lequel d’entre nous pouvait aller à son bureau sans rendez-vous et passer autant de temps que nécessaire pour parler de notre travail.

« Dans l’ensemble, déclare Sayre, il a probablement passé plus de temps à travailler avec de jeunes thomistes à l’extérieur de l’université qu’avec les étudiants inscrits en doctorat à Notre Dame. Un bon exemple est son travail avec l’Institut de Thomistique, financé par la Fondation Saint Gerard et la Fondation Strake, qui convoquait chaque été sous sa direction pendant bien plus d’une décennie. Les participants passaient une semaine ensemble dans les locaux du campus, assistaient à la messe quotidienne ainsi qu’à des prières matin et soir, et passaient l’essentiel de leur temps à discuter de St Thomas et de la vie de l’Église. »

Loin d’être négligés, les étudiants de troisième cycle et les récents diplômés de ND étaient au centre de ces réunions d’été. Nous passions même plus de temps avec Ralph pendant ces semaines que nous ne le faisions autrement. Sayre loue McMullin d’avoir organisé des conférences qui furent « autant de lieux pour de que de jeunes philosophes rencontrent des anciens confirmés dans leur discipline. » L’Institut de Thomistique servait le même objectif. Si c’était un aboutissement de service pour McMullin de placer « de jeunes facultés en contacts fructueux avec des membres plus anciens de leur profession », comment cela pourrait-il constituer un manquement au devoir pour McInerny, qui a fait la même chose ?

Le livre de Sayre contient beaucoup d’anecdotes charmantes. Il y a des années, tôt un samedi matin, Ralph, Hal Moore et David Solomon arrivent à la maison en cours de construction de Sayre. Ces professeurs de philosophie ont offert leur travail manuel pour participer à l’œuvre d’achèvement de l’édifice. « Ralph McInerny a passé la journée à décaper le ciment de briques anciennes. » J’aurais souhaité que Sayre fît preuve d’une même charité dans son portrait de McInerny, plutôt que de jeter des briques sur un vieil ami.


Christopher Kaczor est professeur de philosophie à l’Universite Loyola Marymount et l’éditeur de O Rare Ralph McInerny: Essays and Stories (« Sur le rare Ralph McInerny : essais et histoires »), à propos d’un professeur légendaire de Notre Dame.